Fyctia
Chapitre 7: 35 ans - 46 ans
35 ans
Je termine mes études cette année. J’ai un boulot assuré. Je serai en gériatrie, ça me connaît ! Mais de l’autre côté… du couloir.
Je survis entre les études et la vie de famille. J’ai parfois l’impression de passer à côté de certains moments. Noa me sourit, me regarde et je suis dans le vague, j’ai la tête ailleurs. Prise dans mes révisions, les stages et la pression de la réussite. Pas de diplôme signifierait pas de boulot d’infirmière. Je pourrais rester aide-soignante mais je n’ai pas fait tout cela pour rien. Passer à côté des jeunes années de notre garçon, pour échouer, non, je ne le souhaite pas.
Je n’ai même pas la force d’organiser mes 35 ans. Préparer un fête, la financer, et – peut-être encore - faire garder Noa, c’est trop pour moi. Je me sens dépassée par la vie en général.
Je chercher un appartement avec une chambre supplémentaire pour nous trois. C’est un sacré défi ! Une chambre de plus se traduit avec 500 euros supplémentaires de loyer par mois. Certes, je serai infirmière mais, sur le papier, je suis encore étudiante et Émile – ou plutôt sa feuille d’impôts – est mécanicien. Je ne lâche pas mais j’ai des doutes quant aux fruits de mes recherches….
Émile, avec ses nouvelles responsabilités, passe plus de temps au garage. Encadrer une équipe est un challenge pour lui, plutôt en retrait d’habitude.
Le temps à deux est rare, j’en ai marre. J’ai l’impression d’être une mauvaise mère, une amante catastrophique et une personne à côté de ses pompes. Est-ce que le couple supporte l’arrivée d’un enfant ? Ne plus être deux quand on l’a été durant toutes ces années me perturbe. Émile est centré sur son fils ou son travail, je fais partie des meubles. Un peu de tendresse partagée parfois, trop peu à mon goût. Cela rend fragile notre relation. Le couple n’a plus sa place.
Le passage à l’école pour Noa, après ses 3 ans, a été une étape salvatrice pour moi. Je pensais qu’il aurait un rythme calé, orchestré. Que néni, école en grève, professeurs malades, personne pour te le garder. Quand tu as épuisé ton quota de jours enfants malades (six pour être précise), tu fais quoi ? Émile prend trois jours pour la varicelle. Ma mère me dépanne. Bon, on s’en sort. Je ne peux pas payer une personne qui le dépose, le récupère le soir ou même pour le garder les jours ou l’Éducation Nationale à décidé une énième fois d’avoir des syndicats hargneux, revanchards avec leurs panneaux scandant maintes réformes désapprouvées. Non, je ne peux pas.
Heureusement, la sœur d’Émile, Maëlle, vient nous voir régulièrement, plus jeune, elle aime profiter du temps avec Noa. Créer un lien avec sa « tatie » comme il l’appelle est beau à voir. Entre deux boulots dans l’évènementiel, elle a du temps qu’elle veut bien consacrer à notre famille.
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46 ans
Être mutée signifie quoi ? Suis-je une mutante, un peu en quelque sorte. Je l’ai demandé, je l’ai eue. Finalement, un collègue de la Drôme voulait permuter avec moi. Nous avons juste échangé nos postes.
Nous avons pu nous croiser à Valence, avant qu’il parte à Paris. Étienne est sûr de lui, bel homme et m’a fait un effet non négligeable. Ça m’est tombé dessus sans que je m’y attende. Croisés dans les couloirs de l’hôpital avec nos blouses similaires. J’ai eu une absence au moment de lui serrer la main. Son aura transpirait la lumière. J’avais rarement vu ça. Sauf avec Victorien, mon grand-père, malgré ses addictions, il était rempli d’une sagesse infinie et d’une lumière qu’il avait du mal à contenir et c’est peut être cela qui le poussait à boire.
Étienne est grand. Sa main est chaleureuse au premier contact. Je me noie dans ses yeux. Quand il m’explique que suite à son divorce et à la perte de la garde de ses enfants, il a voulu quitter Valence. J’acquiesce bêtement. Dommage qu’il parte si loin… En train, ça se fait non ?
Nous allons prendre un café à la cafétéria du personnel pour faire un point sur nos postes respectifs. Je ne l’écoute pas, je le bois.
Il parle, je ne l’entends pas. Je le sens. Je le dévore.
Et bien, ça faisait longtemps ! Depuis Émile, rien de neuf sous la jupe. Et là, ça se réveille en fanfare ! C’est troublant et agréable à la fois.
Oui, je suis en mutation, en pleine mutation. Dans tous les sens du terme. Je veux bien être mutée, changer de ville. Et par la même occasion muter de cerveau et de pensées. Deux ans de vide intersidéral. Trois ans que je tente de me reconstruire. Et là, mutée pour de bon me convient tout à fait. Me voilà donc à l’hôpital de Valence.
J’ai trouvé une maison charmante à Malissard, près de l’hôpital.
J’aime les senteurs du sud : lavande, soleil, fleurs et abeilles sont toutes ravies, comme moi. Je me sens émerveillée par chaque brin de soleil, odeur nouvelle et joyeuse dans mon cœur. Depuis pas longtemps, je trouve que la vie est belle et vaut la peine d’être vécue. Même loin de mon fils. Un revers de la souffrance ? Après l’errance…
Je suis, comme l’art japonais, un kintsugi, un bol en porcelaine recollé minutieusement à la colle avec de fines cicatrices dorées.*
Cet or vient de la douleur éprouvée et dépassée. Elle est mise en lumière par une laque dorée et donne toute sa valeur au nouvel objet, réparé et enjolivé.
« Se pardonner, ce n’est pas oublier, c’est décider de se tourner vers la vie », La part des Anges, Bruno Combes (2021), résume très bien ce que je vis.
Noa, 14 ans, est en troisième et reste à Paris pour la suite. Ma mère est heureuse de quitter son appartement à Ivry pour la « capitale » et d’avoir son petit fils juste à côté d’elle. Ils devraient se trouver un quotidien agréable, enfin, je l’espère. J’ai dû faire des choix. Je me suis choisie.
*Consolations, C. André, ed. L’Iconoclaste, coll. Proche, 2022, p. 266-267.
4 commentaires
Chris Vlam
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Il y a 10 mois
Dixy
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Il y a 10 mois
Le Mas de Gaïa
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Il y a 10 mois