Fyctia
Chapitre 3 : 31 ans- 50 ans
Ce matin, j’ai 31 ans et toutes mes dents. J’ai une boule dans la gorge. Toutes mes peurs ancrées ressortent régulièrement. Je n’y arriverai donc jamais. Seul Émile croit en moi. Ma mère n’a pas eu le choix que de m’aimer. Lui, il m’aime, sans conditions.
Il faut que je prévois cette journée de repos. La cafetière ne marche pas, ça commence bien… Sans caféine, que vais-je devenir pour affronter cette nouvelle journée ?
Émile me rejoint ce soir. D’ici là, je peux préparer un truc sympa, sauf que les plombs ont sautés et que je ne comprends rien à ce tableau électrique. Ce sera différent de ce que souhaitais, moins bien évidemment. Toujours pareil, je veux un truc super et plouf, ça tombe à l’eau.
Je ne sais pas dire ce dont j’ai besoin ni mes envies. On me demande : tu veux quoi à ton anniversaire ? Pas d’idée, sauf pas d’alcool déjà. Au moins, je sais ce que je ne veux pas.
Cette année a été étrange, j’ai travaillé durant trois mois de nuit. Au terme de cela, c’en est suivie une gastro-entérite carabinée qui m’a conduite chez le médecin. Travaillant auprès de personnes âgées fragiles, c’est inconcevable de refiler cette maladie.
Arrivée chez le médecin, difficilement, j’entends sa voix chaleureuse.
— Madame, comment allez-vous ?
— Je pleure, je n’arrête pas.
— Quelque chose de grave vous arrive ?
Je me fais dessus tout le temps et je vomis… Comment exprimer ça de manière pudique ?
— Je vous prescris des analyses et revenez me voir dans deux jours. Voilà un arrêt de travail de sept jours. Reposez-vous.
Trois jours plus tard. C’est tombé, la sentence. Certains l’appellent la libération. Moi, non.
Covid : négatif, dosage d’hormones bêta-HCG plasmatiques : positif.
Je consulte le résultat de mes recherches : « Dans la mesure où l'hormone chorionique gonadotrope humaine (HCG) est détectable dès 9 jours après l'ovulation, si la valeur inscrite est supérieure à 5 UI/L, le résultat du test sanguin est positif. Vous attendez un enfant. »
Je suis enceinte. Je pleure de plus belle.
Comment expliquer à Émile qu’avec deux salaires, on galère déjà. Mais avec une bouche, aussi petite et mignonne soit elle, de plus à nourrir, nous n’allons pas nous en sortir…
Oui, on a évoqué cela il y a deux ans, on n’en parlait plus et là, Bam ! Ça nous tombe dessus. Ça ME tombe dessus, et s’il partait par peur ?
Bref, on sait bien comment on fait les bébés, la question n’est pas là. 31 ans, est-ce vraiment le moment ?
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50 ans
J’ai des comptes remplis, un cœur serein, une maison agréable et on me pose la question : as-tu refais ta vie ?
Voilà comment je comprends refaire sa vie : est-ce comme repeindre sa chambre ? Ça n’a pas de sens ; je la continue, un point c’est tout.
Mon fils vit à Strasbourg pour ses études de dessin. Noa de son prénom. C’est un joli choix de prénom : big up aux parents ! Un peu de félicitations à moi-même me font du bien. J’ai saisi cela en regardant les débits de mes comptes bancaires :
- école Liconograf : 550 euros tous les mois.
Pas donné tout de même. Et ça dure combien de temps ses études ? Je dois lui poser la question.
Il est en première année.
Quand on y pense notre banquière a accès à toute notre vie en un clic, c’est épatant et flippant à la fois. Est ce que je gagne ma vie ? En tous cas, je la vis. La gagner ça veut dire quoi ? Être méritant d’être en vie ? Gagner est un verbe transitif : est-ce une transition ? On gagne et puis, après, que se passe-t-il ? La descente en enfer ? Je gagne un match. Celui de la vie. C’est peut-être juste ça. Ai-je gagné l’estime de mon grand-père ? J’espère avoir un signe de lui.
J’ai aussi compris que mon salaire avait changé.
Mon pass de l’hôpital indique : F.F. Cadre infirmière, ce qui signifie que je suis dorénavant « faisant fonction » de cadre infirmière d’un service. J’encadre un service de pédiatrie « grands enfants », plus spécialement dans l’unité « coco » qui accueille six adolescents en souffrance avec des risques pour eux et pour les autres. Sympa comme ambiance. Ils sont tellement touchants, tristes parfois.
Anna, cette année, en famille d’accueil depuis ses un an, pour violences parentales, est revenue à plusieurs reprises dans le service. Elle a bien exprimé son désir d’en finir et nous ferons tout pour qu’elle aille mieux. Ces vies brisées dès la petite enfance me touchent profondément. J’y retrouve un peu de moi, à 8 ans, ayant perdu mon paternel à cet âge-là. Mais ma mère est toujours restée bienveillante malgré ses douleurs.
Les soigner, c’est aussi soigner mon enfant intérieur qui ne demande qu’à être bien depuis tout ça.
Victorien, son grand-père, de là-haut
À 8 ans, Victoire n’a plus de papa, ni de papy. Je la surveillerai comme le lait sur le feu. J’enverrai des embûches sur son chemin pour qu’elle comprenne ce qu’elle vaut. Et que je suis toujours là. Qu’elle ait confiance en ses étoiles malgré tout.
16 commentaires
Sarah Pegurie
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Il y a 10 mois
Chris Vlam
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Il y a 10 mois
Le Mas de Gaïa
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Il y a 10 mois
Maria Karera
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Il y a 10 mois
WildFlower
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Il y a 10 mois
Maria Karera
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Il y a 10 mois
Debbie Chapiro
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Il y a un an
Maria Karera
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Il y a 10 mois