Fyctia
Chapitre 2 : 30 ans-51 ans
30 ans
Mes parents se sont trompés de prénom. À la mairie, déclarer ma naissance sous le prénom : Échec aurait été adapté ?
Vraiment, ce matin encore, c’est la déconfiture.
— As-tu toujours voulu faire ce métier ? Me demande ma collègue, plus âgée que moi et désenchantée depuis longtemps.
Ben, c’est vrai, évidemment depuis la naissance je me dis « Je veux laver des fesses, ridées, c’est plus marrant d’avoir à passer dans les plis multiples ». Quand ma mère changeait ma couche, déjà, à 2 ans, j’avais en tête de faire la même chose sur les grands ! Bien sûr, tout le monde rêve de faire ça !
— Pas vraiment eu le choix … Réponds-je.
— Ah, pour quelles raisons ?
— Seule avec ma mère, le travail était la priorité pour vivre, et toi ?
— Pareil, mon mari a demandé le divorce, j’avais 42 ans et j’étais femme au foyer. J’ai fait une formation courte, et je suis à l’aise avec les personnes âgées. J’ai aussi la fibre.
— Je l’ai découvert en étant avec eux. La délicatesse des « anciens », leurs histoires et la vie racontée d’une autre époque. On a de la chance au final.
— Oui, Victoire. Je trouve aussi.
Ce que je ne dis pas à ma collègue, c’est que j’aimerai passer à la vitesse supérieure. Tous les lits ne sont pas faits, les petits-vieux ne sont pas tous habillés et j’ai besoin de ma pause-café.
Aussi, je n’ose pas lui parler de mon projet de tenter l’école d’infirmière (I.F.S.I : Institut de Formation en Soins infirmiers). C’est possible de la faire en interne, mon cadre me l’a proposée et j’hésite encore. Peur de ne pas y arriver, peur d’échouer, peur de décevoir, peur de réussir aussi… Tout ce fardeau me pèse.
L’interne entre dans la chambre, pas un bonjour. Je dois être transparente, pourtant il voit bien le patient alité. Lui par contre, je ne suis pas certaine qu’il voit le médecin, encore moins qu’il l’entende avec sa petite voix fluette sans charisme.
La fin de la tournée me sort de mes pensées. La salle de pause est baignée de lumière. Les vitres sont bloquées, hôpital oblige. Le lino a été neuf un jour mais ne s’en rappelle plus. Les couleurs, ternes et fades, m’apparaissent tout de même sur la rétine. L’odeur caractéristique des couloirs hospitaliers emplit la pièce de repos du personnel. En m’asseyant, je vois sur la table les traces de gras du petit-déjeuner de ce matin. Ça ressemble à du beurre de croissant. Les rois de l’hygiène qu’on disait, tu parles ! Je trouve même un grain de riz des sushis que mes collègues se sont fait livrer hier soir. Personne ne semble concerné par l’espace commun et sa propreté. Un comble.
Le liquide brûlant dégouline à l’intérieur de mon œsophage. Bref, je bois un café avec mes collègues. J’entends ma voisine de chaise croquer dans sa pomme, puis avaler des chips de manière très bruyante. Insupportable. Dans « pause » je crois qu’elle n’a pas saisit le sens de mes besoins.
Mais ce moment reste bénéfique et je peux rigoler de la dernière de Gustave, chambre 212 qui a encore essayer de me piquer mon stylo dans ma poche avant. Un vrai cleptomane celui-là. Tout ça pour faire ses mots croisés et narguer Richard de la chambre d’à côté. Ces deux-là, ils seraient capables de faire une bataille de petits pois à travers le couloir, des gamins. À qui volera le plus d’affaires à l’équipe, à qui bipera le plus de fois, histoire de nous faire rager. Mais on les aime malgré tout.
Cette journée était bien remplie, j’ai hâte de rentrer à la maison. Être dans le canapé sera mon remède. C’est un bien grand mot, vivant dans un deux pièces avec Émile, on peut juste dire « chez nous temporairement ». Locataires, jeunes, pas trop d’argent, on a fait comme on a pu pour dégoter un logement à Paris. On a réussi, avec de l’aide.
Émile rentre tard ( non, il n’est ni chirurgien, ni avocat, ni homme d’affaires) avec ses mains noires, comme tous les soirs. Je crois qu’il va finir par ne plus les laver tellement c’est tenace.
On s’embrasse, comme il y a 15 ans. Je crois que c’est la personne qui me connaît le mieux, à qui je peux tout dire et avec qui je peux être moi-même.
Mon chat est déjà sur mes genoux. Il ronronne. Je l’envie terriblement d’avoir passé la journée chez nous, dans le calme et la flemmardise. On cuisine des pâtes, fin de mois oblige. Le choix d’un film ne se pose pas, trop fatigués, on s’écroule dans notre lit.
J’observe la pièce : les habits par terre, les cadres au mur (avec nous deux), la peinture qui s’effrite dans les coins. Ce petit tour me rassure avant de dormir. Dès qu'arrive Krokmou, le chat, toutes moustaches devant, fier comme le patron qu’il est, me voilà sereine pour dormir.
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51 ans
Le matin, j’ai du mal à me lever, il me semble que je suis d’après-midi. Je vais me dérouiller petit à petit.
Dans le miroir de la salle de bains, j’ai du mal à reconnaître, je croise un visage avec quelques ridules au coin des yeux, la ride du lion et pas des cheveux blancs ni blonds, je dirai une tignasse « blonche ». Un truc plié en deux sonne à côté de moi (j’ai l’air d’être seule dans cette pièce). Instinctivement, j’appuie sur le bouton vert. Apparaît sur le miroir de cette pièce d’eau un beau jeune homme brun, tout sourire. Je recule, le regarde. Je ne comprends pas.
— Maman, bon anniversaire !
— Mmhh, merci, mais qui es-tu ?
— Maman, tu as fumé ou bu hier soir ?
— Non. Il m’appelle maman, ça doit être un signe.
— Chéri, comment ça va ?
— C’est plutôt à toi qu’il faut demander ! 50 balais et des poussières, ça se fête ! Tu as prévu quoi ce soir ?
Ah ouais, quand même… Ça en fait des balais pour nettoyer. Pour les poussières ?
— Voir ton père. Je tente.
— Très drôle maman. Non, mais vraiment ?
— Je ne sais pas encore.
— Tu penses à mon virement.
— Je dois viré quoi ?
— 150 euros, pour Prague avec mes potes.
— OK, je fais ça ce matin. Ça va toi sinon ?
— Oui, les études, les sorties, on se voit bientôt.
— Oui, oui. Bisous.
— Je t’aime maman, belle journée et profite.
Je raccroche, enfin, c’est lui, je ne sais pas comment ça marche ces appareils.
Sonnée, j’avance dans cette maison, que je ne connais pas. Je descends des marches en bois clair, ça craque. J’arrive dans une cuisine, simple mais fonctionnelle. Je vois un cadre photo de ce garçon ( le mien apparemment) et moi, il y a 10 ans je dirais, vers mes 40 ans, ou juste un peu avant. Je cherche une cafetière : échec. Je trouve une bouilloire ultra-technique que j’essaye d’allumer. Sans eau, pas possible. J’y arriverai. Un thé en vrac trouvé, je sors une casserole et tente d’allumer ce qui ressemble à un appareil qui pourrait chauffer de l’eau.
Je ne sais pas où j’ai atterri ni si c’est une blague mais ce n’est pas drôle.
Rien ne va comme d’habitude, j’ai eu une sensation agréable en me regardant dans la glace, j’étais sereine. Limite, je me trouvais belle, c’est bizarre.
17 commentaires
Chris Vlam
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Il y a 10 mois
Le Mas de Gaïa
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Il y a 10 mois
Maria Karera
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Il y a 10 mois
Christelle Emilie
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Il y a 10 mois
WildFlower
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Il y a 10 mois
Zebuline
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Maria Karera
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Siha
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Maria Karera
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Aria Maberley
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Il y a un an