Fyctia
Chap. 29
36 JOURS
Je n'ai pas réussi à fermer l'oeil de la nuit. Savoir que ma soeur est venue au club m'a complètement chamboulée. Je me pose encore des questions et je sais qu'elles resteront sans réponses. Même en connaissance de cause, ça a gâché ma nuit de sommeil. Alors pour m'occuper, j'ai repris la lecture du journal intime de ma mère.
Il y en avait plusieurs dans le carton qui était posé au grenier, mais je n'ai pris que les deux derniers qu'elle avait écrit, même si j'ai rapidement laissé tomber le premier. Je ne comprenais pas un mot de ce qu'elle écrivait. Il y avait des dessins et des chiffres dans tous les sens ; Maman avait créé un programme détaillé pour un événement mais elle n'a jamais atteint le jour J. Elle est morte avant.
Alors je me suis concentrée sur le deuxième qu'elle tenait en parallèle. Il s'agit de toutes ses réflexions qu'elle avait envers le système mais aussi ce qu'elle ressentait avec nous, sa famille. Lire ses mémoires me fait me sentir plus proche d'elle, comme si un lien plus fort nous unissait, à présent.
Je lis ce qu'elle a écrit huit mois avant sa mort, lorsqu'elle était encore enceinte de moi. Les dernières pages que j'ai lu me concerne majoritairement ainsi que Cassandre ; elle parle cependant beaucoup moins du système de retrait, même si d'après ce que j'ai lu, elle en a eu un tas !
"Le bébé va bientôt naître et nous sommes prêts, beaucoup plus que lorsque Cassandre est venue au monde. Je n'avais que vingt-et-un ans, après tout. Et malgré mon jeune âge, cela ne m'a pas empêché d'avoir une fille bien éduquée. Cassandre est l'enfant la plus sage qu'il m'est été donné de voir et j'en suis fière. Tout le monde l'aime. J'ai hâte de présenter le bébé à tout le monde. Cet enfant symbolisera l'espoir ; il va naître au pire moment de l'histoire, quand tout sera chamboulé par nos plans. M'excuser de l'exposer à autant de problème ne m'effleure pas l'esprit car tout ce que je fais sera pour lui. Pour qu'il ait une meilleure vie. Pour que nous ayons tous une meilleure vie, même si cela signifie qu'il y aura des vies sacrifiées."
Je referme le carnet en cuir noir, le coeur battant. Que veut-elle dire par "quand tout sera chamboulé par nos plans" ? Que prévoyait-elle de faire ? Je nage dans un aspect de la vie de ma mère, et peut-être de mon père, que je ne connaissais pas. Alors, en quête de savoir, je tourne la page.
"L'arrivée du bébé est imminente. Nous ne pouvons plus attendre et Cassandre a hâte de rencontrer son petit frère ou sa petite soeur. Je vois déjà un tableau se dessiner ; nous quatre, ou peut-être serons-nous encore plus nombreux, assis dans le jardin. Nos enfants joueront ensemble et nous les regarderons tendrement. Puis, nous vieillirons. Ils nous donneront des petits-enfants et je mourrais dans les bras de l'homme que j'aime, vieille de cent ans, mais heureuse. Voilà le parfait avenir que je vois. Même si pour cela, il va falloir se battre."
Maman a toujours voulu une famille nombreuse, je le savais déjà. Voir tout l'espoir qu'elle nourrissait en quelque chose qui est encore indéterminé me serre le coeur. Elle se voyait déjà mourir à cent ans, mais pas à vingt-six ans. Même si je n'étais qu'un bébé à cette époque, que je ne pouvais rien y faire et que chacun est maître de ses décisions, je ne peux m'empêcher de m'en vouloir ; si elle est morte, c'est à cause de moi.
Refoulant ma culpabilité une seconde, je poursuis ma lecture.
"C'est une fille. Ma fille. Mon deuxième enfant est une fille. Nous sommes aux anges et Cassandre est obnubilée par sa petite soeur. Dès que je l'ai prise dans mes bras, j'ai su qu'elle serait vouée à de grandes choses. Phoebe sera notre avenir, je n'en ai aucun doute. Un jour, elle reprendra ma place parmi les nôtres."
Quand je lis ce qu'elle a écrit il y a presque vingt ans, je me demande comment c'est possible de vouer autant d'espoir en un nourrisson de quelques jours à peine. Comment peut-elle savoir que je vais changer le monde, comme elle le prétend ?
Savoir qu'elle a écrit ça me met mal à l'aise. Quand je lis ses derniers mots, je vois qu'elle avait une croyance inouïe en moi. Est-ce que je la mérite ? Je n'en sais rien ! Et le pire dans cette histoire, c'est que je veux la rendre fière. Cela voudrait dire que je dois accomplir une certaine destinée qu'elle m'a prédit. Cependant, je doute que j'en sois capable.
"J'ai toujours prôné qu'il faut se lever et dénoncer les injustices, mais je ne sais pas si c'est ce qu'il y a de mieux à faire. Peut-être qu'il vaudrait mieux se taire et mener une vie paisible. Lorsque nous avons eu Cassandre, j'étais jeune et insouciante. Aujourd'hui, alors que je regarde Phoebe dormir, je me rends compte que j'ai deux beaux enfants et qu'il serait peut-être temps que j'arrête de vivre dans le danger. Je ne peux pas les abandonner. Je dois arrêter."
Lorsque je parcours ses notes, j'observe qu'elle mentionne toujours quelque chose qu'elle doit arrêter, mais elle ne met jamais un nom clair dessus. C'est ce qui me frustre le plus.
Mais je comprends mieux certaines choses. Par exemple, j'imagine que ce qu'elle doit "arrêter" n'était pas très droit envers les lois. Peut-être que c'est pour cette raison qu'elle avait aussi peu de temps à vivre devant elle, même si voler un vaccin l'a anéanti.
Je suis tout à coup curieuse de connaître la suite des aventures de ma mère. Alors que je tourne la page pour continuer d'en apprendre davantage sur ma mère, j'entends des cris au niveau du salon. Ayant un passé avec le danger, je me précipite pour ranger le journal de ma mère entre le matelas et le sommier. Ensuite, je vérifie que le sac contenant les trente-cinq milles dollars est bien dissimulé dans mon armoire, derrière mes sous-vêtements. Personne n'oserait aller vérifier, si ?
J'ouvre la porte de ma chambre avec précaution, passant uniquement ma tête. Il y a tellement de personnes qui me veulent du mal que je veux être préparée à toute éventualité. De ce que j'ai appris ces dernières semaines, c'est qu'il ne faut jamais se frotter aux mauvaises personnes mais surtout : ne jamais ramasser un téléphone.
Je progresse jusqu'au salon d'un pas léger. En passant ma tête par l'entrebâillement de la porte, je vois mon pire cauchemar. Deux hommes sont devant la porte que Papa barre de son corps. Ils se disputent violemment et Papa refuse de les laisser passer.
— Écoutez, monsieur. Nous avons un mandat, ne vous risquez pas à perdre les quelques jours qu'il vous reste.
Mon père se fait brusquement bousculer l'épaule, et le premier homme entre. Le second débarque à son tour d'une démarche presque sautillante. Il arbore, comme à chaque fois, un large sourire de vainqueur et passe une main dans ses cheveux.
Et à cet instant précis, je sais que je suis foutue. Voir le policier qui m'a brutalement interpelé l'autre jour et Banks dans mon salon me pousse à croire que je n'en sortirais pas indemne.
7 commentaires
Sand Canavaggia
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Il y a 6 ans
clara15
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Il y a 6 ans
Carazachiel
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Il y a 6 ans
Camille Jobert
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Il y a 6 ans
Rose Lb
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Il y a 6 ans
Clair d'eau
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Il y a 6 ans