Fyctia
Chap. 26
37 JOURS
C'est à quatorze heures que je me réveille, encore fatiguée de la veille. Nathan et moi avons discuté jusqu'à la fin du couvre-feu. Nous avons majoritairement parlé de l'organisation ainsi que des missions à venir. Mais nous avons aussi mentionné brièvement nos vies respectives. J'ai appris de lui qu'il était fils unique et que c'est Martha qui l'a élevé après la mort de ses parents. Il la considère comme sa mère et Jett comme son frère, bien qu'ils ne partagent pas le même sang. Je sais par ma propre expérience avec Daisy qu'il ne faut pas forcément avoir les mêmes parents pour se considérer comme frère et soeur.
Nathan m'a ensuite raccompagné jusqu'au perron et il est parti, sans un mot de plus. Passer du temps avec lui s'est avéré plutôt agréable ; il est très loin de la personne qu'il a prétendu être la première fois que nous nous sommes vus. Il est davantage chaleureux et bienveillant.
C'est en repensant à cette nuit que je descends les escaliers, avec un léger sourire sur les lèvres. Cassandre est déjà partie travailler et Papa se trouve dans la cuisine, à boire un café en ayant les yeux rivés sur son carnet de compte. Il ne le quitte presque plus.
— Comment ça se passe ?
Il sursaute et me lance un regard réprobateur par-dessus ses lunettes. Je lui souris innocemment en croquant dans une pomme que j'ai trouvé sur la table.
— Tout se déroule bien.
— Tu devrais penser à arrêter. Profite du temps qu'il te reste sans devoir te tuer à la tâche !
Il se lève en retirant les lunettes de son nez, avec une mine grave.
— Je dois finir, Bee.
— Oh, s'il te plaît... tes clients trouveront un autre menuisier !
Il rince sa tasse, me tournant le dos. Chaque fois c'est la même chose ! On arrive à ce moment de la discussion, il se braque alors je m'énerve, et on finit tout les deux par faire la tête, chacun de notre côté. Je devrais peut-être abandonner, à force. Mais ai-je réellement envie de dire adieu aux derniers moments avec mon seul parent encore en vie ? C'est vrai que je peux le sauver, mais si jamais il y a un problème avec monsieur Dane, j'aimerais avoir pu au moins profiter de mon père une dernière fois.
— Tu ne comprends pas. Tu ne comprends jamais.
— Explique-moi, dans ce cas ! Parle-moi, dis-moi quelque chose autre que des banalités ! m'écrié-je.
Il se retourne vivement, et nous nous toisons, dans l'attente que cette tension palpable diminue. Mais elle ne le fait pas. Papa finit par soupirer.
— Tout ce que je fais, c'est pour vous. Pour mes deux filles.
Je fronce les sourcils, ne comprenant pas, et il poursuit :
— Quand votre mère est morte, nous n'avions pas beaucoup d'économies et mon travail de menuisier ne pouvait suffire pour élever deux enfants en bas âge. Alors j'ai travaillé sans relâche. Je ne m'occupais plus de vous. C'est une connaissance qui m’a aidé, pendant presque deux années.
Je ne sais pas ce qui me choque le plus ; le fait que mon père vienne d'avouer qu'il nous a presque abandonner durant deux années, juste après la mort de notre mère ou bien le fait que je ne le sache que maintenant. Et qui est cette fameuse connaissance ? J'étais trop jeune pour m'en souvenir, certes, mais je trouve cela irréaliste qu'une autre personne nous ait élevé, Cassandre et moi.
— Je voulais vous assurer un avenir alors j'ai dû sacrifier de vous voir pendant deux années. Aujourd'hui, je sacrifie mes derniers moments à vos côtés pour que vous ayez suffisamment d'argent pour vivre quand je serais parti.
Les larmes me sont montées aux yeux. J'ai toujours cru qu'il voulait s'isoler de nous. En faite, il veut simplement nous assurer une meilleure vie, même s'il doit dire adieu à celle qu'il veut lui-même vivre. Il préfère renoncer aux derniers jours qui lui restent à vivre pour nous. Alors, tremblante, je lui dis :
— Papa... nous ne voulons pas d'argent. Nous ne voulons pas avoir une vie plus aisée. Nous... nous voulons simplement t'avoir, toi. Je veux pouvoir profiter de mon père une dernière fois. Je veux...
J'en perds mes mots et Papa reste muet. J'essuie discrètement la larme et détourne les yeux. Ce n'est pas notre fort de parler de nos sentiments. Nous sommes plutôt une famille pudique qui n'exprime pas ce que nous ressentons les uns avec les autres, même si nous avons beau nous aimer inconditionnellement.
— La dernière fois que nous avons ouvert un album photo remonte à plus de cinq ans. Je n'ose pas le faire parce que je ne suis pas sûre de vouloir voir le fantôme de Maman. Et le pire, c'est que je ne sais même plus à quoi elle ressemble ! Son visage s'évapore avec le temps et je l'oublie.
Je ne retiens plus mes larmes puisqu'elle dévale maintenant à grande vitesse mes joues.
— Et je ne veux pas en arriver au même point avec toi. Je ne veux pas qu'un jour, je me réveille en me demandant à quoi ressemble mon père. Je ne veux pas avoir à regarder une image fixe pour me rappeler la forme de ton visage. Mais c'est inévitable. Tu mourras un jour et j'oublierais.
Ses yeux s'humidifient aussi. Cela doit bien être l'une des premières fois où j'exprime autant mes sentiments.
— Mais je n'oublierais jamais ce que nous avons fait. Je n'oublierais pas la fois où tu m'as appris à faire du vélo ou même celle où tu m'as emmener pour la première fois voir un match de football ! Papa, je n'oublierais jamais les derniers moments que nous avons passé ensemble.
Papa contourne la table qui nous séparait et me prend dans ses bras. Je ne me souviens pas de la dernière fois où je m'y suis réfugiée. Mes bras s'accrochent à son dos et j'enfouie ma tête dans son épaule, appréciant ce geste que je demande indistinctement depuis longtemps.
— Ta mère serait tellement fière de toi, Phoebe, chuchote-t-il au creux de mon oreille.
Je relâche la pression qui s'était emparée de mon corps au fur et à mesure de notre conversation.
Je n'ai jamais eu la chance de connaître ma mère ; tout ceux qui l'avait rencontré, ne serait-ce qu'une fois, ont toujours dit que c'était une personne admirable. Je n'en doute pas ; elle a donné sa vie pour me sauver. Certes elle avait déjà eu de nombreux retraits durant sa jeunesse, mais elle a perdu la vie lorsqu'elle a volé des médicaments et plus précisément un vaccin. Le vol de ce vaccin coûte douze ans d'une vie puisqu'ils sont les plus difficiles d'accès et presque rare.
Néanmoins, ma mère s'est tuée pour me protéger parce qu'ils n'avaient pas les moyens de payer le vaccin contre la rougeole qui sévissait en ville. Si on ne m'avait pas administrer le vaccin, j'aurais probablement eu la maladie et j'en serais peut-être morte. C'est en me sauvant que ma mère a payé le prix de sa vie, en laissant un mari et deux enfants derrière elle.
Ma mère a voulu bien faire. Elle avait conscience des risques qu'elle encourait, mais ça ne l'a pas empêcher de foncer. Elle croyait en l'humanité malgré tout. Alors, je ferais de même en combattant ce projet qui va tuer des innocents pour honorer sa mémoire, car je sais que c'est ce qu'elle aurait fait.
10 commentaires
Gabriele VICTOIRE
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Il y a 6 ans
clara15
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Il y a 6 ans
Sand Canavaggia
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Il y a 6 ans
Lollly
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Clair d'eau
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clara15
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Il y a 6 ans
Camille Jobert
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Il y a 6 ans
clara15
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Il y a 6 ans