Fyctia

38 JOURS

J'ai suivi Martha sur plusieurs kilomètres de détours pour arriver dans un petit local à mi-chemin entre le club et le centre ville. Pour y entrer, il a fallu trouver une porte dérobée, dans une ruelle sans éclairage. Ensuite, nous avons dû zigzaguer entre des tas de ferrailles rouillés jusqu'à arriver dans une vaste pièce. L'un des gigantesques murs est couvert de carreaux bleus qui diffusent la lumière de la lune, comme seul éclairage de la pièce. Excepté ce qui est illuminé, les côtés sont très sombres et renforcent l'atmosphère inquiétante de l'endroit.

Il y a déjà un attroupement d'une trentaine de personnes, toutes tournées vers ce murs de vitre. Martha s'approche et salut de nombreuses personnes, toutes souriant jusqu'aux oreilles. Plus je les observe, plus je vois une vraie solidarité les lier les uns aux autres. Ils se font des accolades, se sourient, rient ensemble... Ils connaissent tous l'état de la situation, comme me l'a informé Martha en venant ici. Nathan leur a expliqué que la situation était suffisamment grave pour qu'ils se préparent.

Au bout d'un certain temps, Martha se retourne vers moi. Je n'ose pas bouger, comme si je n'étais pas à ma place, ce qui est le cas. Je joue avec la manche de mon gros sweat kangourou, anxieuse. Soudain, toutes les personnes autour de Martha suivent son regard et tombent sur moi. Je me sens épiée par ces gens, qui me scrutent des pieds à la tête. Martha me fait signe de la rejoindre et timide, j'avance. Nous restons toutefois à l'arrière du groupe.

Et puis, Nathan arrive. Il monde sur une table pour pouvoir plus clairement être entendu et vu. Il y a quelques acclamations qui se calment progressivement. Nathan se tient là, sous le clair de lune qui se reflète sur ses cheveux qui lui barrent légèrement la vision.

— Je suis content de vous voir, même si cette réunion a été organisée à la dernière minute.

Je parcours des yeux l'assemblée pour remarquer que tous lui sont pendus aux lèvres.

— Comme vous en avez déjà entendu parler, la situation est grave. Le projet Jouvence nous concerne tous ; il faut qu'on s'en occupe rapidement. Ça ne sera pas facile car on s'en prend directement au gouvernement, et non pas au maire ou à des firmes comme on le fait d'habitude. Ce qu'on s'apprête à faire va bouleverser tout ce en quoi ce pays croit. Que cela se passe bien ou non pour nous.

Je dois l'admettre, Nathan est un bon orateur.

— Mais nous ne pouvons pas attaquer maintenant. Nous n'avons pas assez d'informations et...

Il s'interrompt pendant une ou deux secondes en m'apercevant parmi le reste de l'organisation. Il fronce les sourcils mais reprend, troublé :

— Euh... donc... nous n'avons pas assez d'informations ! Nous devons d'abord apprendre quand ils veulent lancer le projet pour pouvoir attaquer lorsqu'ils seront les plus faibles, c'est-à-dire lors de la mise en marche du projet. Nous devons aussi découvrir comment ils comptent le faire, avec quel algorithme pour qu'on puisse le brouiller et aussi qui sont toutes les personnes impliquées, même si j'en ai une petite idée avec la liste qu'une certaine personne m'a rapportée.

Comme s'il avait clairement énoncé mon prénom, tout le monde se retourne vers moi. Le rouge me monte aux joues, gênée d'avoir autant d'attention. Je n'ai pas l'habitude d'être remarquée par une foule quand je ne suis pas déguisée en Baby et je n'ai pas sa confiance en elle.

— On va donc se diviser en quatre groupes. Le premier ira avec Jett. Vous devrez mettre sur écoute chaque personne de la liste.

Il veut mettre Cassandre sur écoute et ça ne me plaît pas, même si je sais que c'est nécessaire. C'est pour cette raison que je tais cette voix intérieure qui me dit de m'opposer à cette décision. Et puis... qui suis-je pour donner mon opinion auprès d'une organisation qui n'a presque jamais entendu parlé de moi ?

— Le deuxième groupe ira avec Martha. Vous devrez pirater leur système pour trouver l'algorithme. Il peut ne pas être encore mis en place, mais je pense qu'ils y travaillent fortement en ce moment.

Martha fait signe à quelques personnes de la suivre. Ils se dirigent vers l'un des côtés sombres de l'immense pièce.

— Le troisième groupe ira avec Sofia. Vous devrez découvrir qui d'autre est impliqué. Élargissez au maximum pour qu'on est un meilleur champ d'action.

Sans faire signe comme Martha, elle sort du groupe et quelques personnes la suivent sans un mot.

— Nous, on s'occupera de découvrir la date de lancement. Il va falloir parfois aller sur place, d'autre fois écouter les personnes ciblées. Nous serons étroitement liés à la première équipe. Si vous avez besoin d'aide, allez voir Jett.

Il saute de la table. Il donne encore quelques instructions aux personnes restantes puis ils se dispersent. Ensuite, Nathan plante son regard dans le mien. Je ne saurais dire s'il est amusé ou bien en colère. Il n'aurait pas le droit d'être en colère puisqu'il avait accepté que je participe. À croire qu'il est rapidement revenu sur sa position.

— Je peux savoir ce que tu fais là ?

Je pince les lèvres en détaillant un peu plus son visage. Malgré sa voix sèche, ses expressions faciales me prouvent qu'il est plus heureux de me voir ici. Il est difficile à suivre, ce chef.

— Eh bien, Martha m'a appris que vous vous rassembliez ici aujourd'hui, pour discuter du projet Jouvence. Puisque tu m'as accordé le feu vert pour collaborer, aux dernières nouvelles, je suis venue. Tu sais... pour participer.

J'appuie nécessairement sur le dernier mot de ma phrase, ce qui le fait sourire. Nathan passe une main dans ses cheveux pour les dégager de sa vision.

— Je vois... tu es en vexée parce que je ne t'ai pas invitée ?

— Entre autre. Maintenant que je suis là, je vais pouvoir m'intégrer dans l'organisation.

Il m'attrape le coude et me fait me retourner. Nous marchons lentement, tout en continuant notre conversation.

— Je ne voulais pas que tu viennes, même si j'ai dis le contraire la dernier fois que nous nous sommes vus. J'espérais surtout que tu oublierais rapidement cette histoire.

— Pourquoi ?

Il jette un coup d'oeil autour de nous pour s'assurer que personne ne s'intéresse de trop prêt à notre discussion.

— C'est dangereux ce qu'on fait ici. Ce n'est pas l'endroit idéal pour une... pour quelqu'un de dix-neuf ans.

— Pour une enfant, c'est ce que tu allais dire, pas vrai ?

Nathan ne répond pas, mais il n'en a pas besoin. Cette fois-ci, je suis vraiment offensée. Je pense que le terme d'enfant n'est plus adéquat à ma situation depuis quelques mois, notamment depuis que je travaille pour Max, même si mon nom de scène peut prêter à confusion. Je décide toutefois de ne pas m'attarder sur ce détail .

— Place-moi dans une de tes équipes. Je m'y intégrerais.

— Tu connais l'informatique ? demande-t-il, dubitatif.

Je secoue négativement la tête.

— Je suppose que tu seras ma coéquipière.

Je souris et il soupire, défaitiste. Je suis persuadée que nous allons former une équipe de choc !