Fyctia

42 JOURS

Complètement éreintée de mon show de la veille, je me lève vers dix heures, les yeux encore endormis. Plusieurs filles ont décidé de ne pas se montrer et Max m'a demandé d'assurer trois shows supplémentaires, pour combler l'absence de ces filles. J'ai quitté le club à cinq heures et je suis arrivée ici vers six heures, quand le couvre-feu prenait fin. J'aurais volontiers profiter de quelques heures de sommeil en plus. Malheureusement pour moi, tout le monde n'était pas du même avis.

J'arrive dans le salon, les cheveux en désordre. Depuis une dizaine de minutes, il y a un certain raffut qui m'empêche de me rendormir, même avec un oreiller sur la tête. Mes yeux s'écarquillent quand je vois des boîtes en carton disposées partout autour du canapés. La porte d'entrée sur la gauche est grande ouverte et je peux apercevoir la voiture de ma soeur. Qu'est-ce qu'il se passe ?

Je sors pour retrouver mon père et ma soeur portant des boîtes. Cassandre me fait un petit sourire en passant à côté de moi, me laissant complètement ahurie.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

— Ta soeur revient à la maison !

Le cauchemar.

— Pourquoi ?

J'aime ma soeur, il ne faut pas se méprendre. Mais elle est insupportable à vivre avec. Depuis qu'elle a quitté le nid familial pour s'installer dans le centre ville, il y a trois ans, je ne me suis jamais sentie aussi légère. Cassandre a une vision des choses que je ne partage pas forcément. Elle aime que tout soit à sa place alors que je vis dans une chambre où mes vêtements sont disposés au sol et sur mon bureau. Je n'ai pas forcément envie qu'elle vienne fourrer son nez dans mes affaires pour tout changer !

Le pire, c'est qu'elle aime jardiner. Si elle vient à tomber sur le sac d'argent enterré, je suis morte. Il faudrait que je le déplace maintenant, mais déjà que le faire quand Papa était là c'était compliqué, là, ça va s'avérer limite impossible.

— Et ton fiancé ?

— Nous ne sommes plus fiancés, soulève-t-elle en revenant prendre une nouvelle boîte, et je l'ai définitivement quitté. Ne t'inquiète pas, petite soeur, je ne serais ici que pour quelques mois.

Notre père nous rejoint et couvre un regard doux sur nous deux.

— Et puis... nous pourrons passer les derniers moments qu'il me reste, ensemble. Vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis heureux.

L'expression joyeuse peinte sur son visage me noue l'estomac. Je suis là à m'inquiéter de ce qui pourrait advenir si Cassandre emménageait de nouveau et je n'ai pas pensé à ce qu'il pourrait ressentir. Bien sûr qu'il veut vivre avec ses deux filles avant de faire face à la mort. Je le comprends. Ce n'est pas pour autant que ma soeur va tout compliquer.

Papa nous embrasse chacune notre tour le front. Malgré toutes les disputes que nous avons eu par le passé, comme dans chaque famille, on reste toujours soudés. Notre père a sacrifié tant de chose pour nous permettre d'avoir une belle vie, surtout lorsqu'il s'est ruiné pour payer les études de Cassandre. Il ne l'a jamais regretté. Notre mère est partie trop tôt alors il a dû endosser le rôle de mère et de père pour pouvoir subvenir à nos besoins. Il a été notre roc pendant très longtemps, et c'est pour cette raison que je lui en serais indéfiniment reconnaissante.

— Bee, tu pourrais mettre mes affaires dans ma chambre ? J'ai un rendez-vous important que je ne peux pas manquer.

— Quoi ? Mais...

Je m'interromps soudainement. Ce n'est pas une si mauvaise idée qu'elle revienne à la maison, en fin de compte. C'est l'occasion rêvée pour fouiner dans ses affaires pour trouver la raison de son implication avec le projet Jouvence.

— Naturellement, continué-je avec un sourire ironique, je vais même installer tes affaires !

— C'est gentil de ta part, répond-elle, un peu désarçonnée. Ne touche pas à la boîte "travail" ! Je l'emmènerais au boulot, ça ne sert à rien de l'ouvrir.

Elle monte dans sa voiture et je m'empresse de rentrer. Papa retourne à son atelier et je sais que c'est le moment ou jamais de dénicher des informations. Je mets au moins une demi heure à installer les boîtes dans sa chambre et à en déballer quelques unes pour donner l'illusion que j'ai fais ce que je lui avais promis. Quand il ne reste que les boîtes contenant ses vêtements, je passe directement à celles où est inscrit le mot "travail". Il y en a exactement deux. Ça devrait être rapide.

Mon coeur bat sous l'appréhension de me faire avoir, mais je commence à ouvrir la première boîte. Le sourire qui avait pris place sur mon visage parce que je pensais que j'allais trouver quelque chose retombe. Cette boîte contient une dizaine de dossiers avec des pages remplies de haut en bas. On dirait que je vais y passer ma matinée...

Le premier dossier concerne une de ses affaires en cours. Il s'agit d'un homme qui aurait battu sa femme et qui s'expose à seulement deux ans de retrait. Quand je dis que les retraits sont inégaux... Je ne dis pas que ce que j'ai fais n'était pas grave, mais on m'a retiré sept ans pour agression sur un agent des forces de l'ordre tandis que cet homme, qui a récidivé, n'encourt que deux ans ! Et même si je hais l'idée qu'on retire du temps au gens pour ce qu'ils font, j'espère que ma soeur arrivera à lui ajouter quelques années. Je me sentirais presque ignoble si je ne pensais pas à cette pauvre femme qui a subi les coups de son mari.

Les dossiers suivants concernent aussi ses affaires en cours et je passe rapidement. Normalement, ces informations devraient rester confidentielles et j'ai la sensation de m'introduire dans des vies qui ne me concernent pas.

Je me décourage rapidement quand je remarque que trois quarts d'heure sont passés et que je n'en suis qu'à la moitié de la première boîte. Sauf que je ne sais pas quand Cassandre doit rentrer.

Enfin, je range soigneusement les dossiers à leur place et referme la boîte, comme si je ne l'avais jamais ouverte, pour maintenant passer à la seconde boîte. Il est presque midi. La boîte est presque vide ; il n'y a que deux dossiers et un petit livre. Ce livre en question est le nouveau droit pénal américain. Il regroupe l'ensemble des lois de notre pays depuis les nouvelles règles. Je me souviens avoir souvent vu ma soeur travailler avec pendant ses études. Il a tellement été utilisé que les coins sont cornés.

Le premier dossier est assez lourd. En le feuilletant, je m'aperçois qu'il s'agit de tout ce qui concerne la limite des soixante ans, la puce qu'on nous injecte dans la nuque ainsi que certaines des lois. Il a l'air vraiment complexe à étudier. Quand je passe au second dossier, ma respiration se suspend en voyant le nom écrit en lettres capitales. Le projet Jouvence.

Fébrile, je l'ouvre en découvrant qu'il n'est pas très lourd. Plus je lis ce qu'il y a écrit, plus les battements de mon coeur s'affolent. Tout est explicitement décrit et je me demande à quel moment notre pays a pu prendre ce virage étroit.

Ma soeur est impliquée dans quelque chose qui la mènera à sa perte, j'en suis persuadée.