clara15 DEADLINE Chap. 14

Chap. 14

46 JOURS

Cassandre passe son temps à venir déjeuner ou dîner au domaine familiale depuis qu'elle a rompu ses fiançailles, il y a plus de deux semaines. Je n'ai rien contre ; voir ma soeur plus souvent me plaît car je dois admettre, ne plus la croiser autant qu'avant m'a manqué. Elle m'a manqué. Mais depuis ma dispute avec notre père, je sens qu'ils se liguent tous les deux contre moi. Cassandre est une partisante des lois sur les retraits et mon père ne veut pas que je gaspille ma vie, alors ils trouvent leur compte ensemble, contre moi.


Comme à ce repas, précisément. Mon père m'a annoncé vouloir dîner avec ses deux filles et je sentais le coup venir. Ils allaient me rabâcher de bonnes paroles toute la soirée.


En passant devant le miroir du salon, je grimace ; Papa voulait qu'on se comporte comme s'il s'agissait d'un repas de fin de semaine. Il a exigé que l’on soit bien habillé et que l’on se tienne convenablement. Il sait que malgré nos sentiments positifs entre soeurs, nous avons une certaine animosité, comme pour beaucoup de fraternité. Alors me voilà habillée d'une robe et maquillée sobrement. Cela me fait penser à la version sage de Baby. Mais il faut que j'arrête de me comparer à elle, surtout qu'elle va cesser d'exister un jour prochain. Je serais presque nostalgique avant l'heure.


Cassandre est dans la cuisine, en train de remuer la sauce du plat qu'elle a cuisiné. Si Papa veut avoir un repas du dimanche, il nous faut un vrai plat. Mais ni Papa ni moi ne savons cuisiner. Tout ceci est quand même ridicule ; je ne me rappelle pas avoir déjà eu un repas comme celui-ci. Pourtant, à présent, ce que notre père veut lui sera accordé. Je ne veux pas qu'il meurt en ayant des regrets.


— On peut passer à table ! crie Cassandre.


Nous nous asseyons tous et commençons à manger en silence. Cassandre nous raconte comment sa journée s'est passée, comment elle a pu faire condamner un petit revendeur de drogue à trois ans de retrait. Elle en est fière.


— Demain, j'ai un procès contre un homme de vingt-cinq ans qui a récidivé pour la troisième fois pour vol à l'étalage. Si je réussis à faire admettre son côté récidiviste, il ne lui restera que deux ou trois années.


Je serre les couverts, si bien que mes mains blanchissent.


— Il mérite d'être puni, approuve mon père.


Je ne comprends pas qu'on puisse jubiler de tuer à petit feu un être humain. Certes, il a volé. Mais ce n'est pas si grave que ça quand on remarque qu'il n'y a eu que des pertes matérielles. On parle de perte humaine. On tue une personne dans cette histoire.


— C'est sûr, et...


— Et tu trouves ça normal ? la coupé-je un peu trop violemment, tu es en train de tuer une personne.


Cassandre me regarde, étonnée de mon interruption soudaine. Elle recoiffe vaguement sa frange fraîchement coupée, et reprend, embarrassée :


— Il le mérite, Bee. Tu ne le comprends pas parce que tu crois que le monde est beau, mais il faut se réveiller. Si on ne respecte pas les règles, on nuit à l'équilibre de la société. Et si on ne veut pas céder à l'anarchie, il faut qu'on punisse. Depuis que le gouvernement a banni les prisons et a instauré le système de retrait d'années, on peut noter une baisse des récidivistes.


Je l'écoute déblatérer son discours presque propagandiste. C'est drôle comment on peut faire admettre quelque chose par le lavage de cerveau. Je ne pense pas qu'instaurer un régime de peur soit la meilleure façon de diriger un pays. Après tout, restreindre un peuple ne veut pas dire respecter les règles de la liberté que ce pays prônait, à une époque.


— Je pense juste qu'on ne peut pas laisser une chance à la population en punissant les gens avec des années en moins à vivre. Ce que je veux dire, c'est qu'on perd du temps précieux qu'on ne pourra jamais rattraper. Et parfois, c'est injuste. On ne nous laisse même pas le temps de nous défendre qu'on nous tue à petit feu. Et puis, pourquoi devrions-nous n'avoir que soixante ans à vivre ?


Cassandre ne sait plus quoi dire le temps d'une seconde. Papa nous regarde sans un mot.


— Pour les soixante ans, c'est une manière de faire régénérer la population, tu sais pour éviter un vieillissement qui pourrait nous mener au chômage et le gouvernement n’a plus à payer les retraites. Sinon, les gens n'ont qu'à bien se tenir s'ils veulent vivre au maximum. Ils devraient juste éviter les délits.


— Comme Maman ?


Un silence plane au-dessus de la table pour quelques instants. Ma soeur écarquille les yeux. C'est Papa qui coupe le mutisme.


— Ne ramène pas ta mère dans cette conversation.


— Si. J'aimerais bien que Cassandre me réponde. Est-ce que Papa méritait de perdre du temps en protégeant notre mère ? Est-ce que Maman méritait vraiment de mourir pour me sauver ? Aurait-elle dû me laisser mourir pour continuer de vivre ?


Assaillie sous la montagne de questions que je lui inflige, Cassandre ne sait plus quoi dire. Et je continue encore et encore. J'ai envie qu'elle comprenne ce que je pense. J'ai envie qu'elle se rende compte que notre pays nous interdit de vivre pleinement. Certes voler ou tuer est mal et cela mérite d'être puni, mais pourquoi perdre du temps parce qu'on rentre un peu trop tard ou parce qu'on veut s'amuser et profiter de la vie en allant danser en boîte de nuit ? Je pense simplement qu'on devrait se soumettre à un système plus juste.


— Maman a fait des erreurs.


— Me sauver ?


— Elle a fait un tas d'erreurs autre que ceci. Et ça l'a tué. Elle aurait dû prendre conscience de...


— D'accord, j'ai compris. Tu ne changeras pas d'avis. Cela m'attriste, pour toi. Je suis vraiment navrée de voir que tu penses que la mort de notre mère était légitime, que notre père mérite de savoir qu'il n'a plus qu'une quarantaine de jours à vivre. Tu t'imagines ? On sait quand on va mourir. On sait quelle est notre date limite !


— Et alors ? On naît pour mourir. Pourquoi ne devrions-nous pas mourir pour ce que nous faisons. Pour nos actes. C'est la chose la plus sensée. On ne devrait pas nuire à la société sans le payer de notre vie. Pourquoi gâcher la vie des autres sans que ça n'ait un impact sur la nôtre ?


Je suis choquée de ce qu'elle vient de dire. Je me demande quel événement dans sa vie a pu la faire s'éloigner de ce qu'elle pensait, il y a des années de cela. Elle tient férocement sa position. Et je ne pourrais la faire changer d'opinion, pour le moment.


Je me lève de table, m'excuse auprès de mon père qui me lance un regard peiné et me rends dans ma chambre.


Maintenant, je n'ai plus qu'à trouver des informations à propos de ce projet Jouvence. Avec un peu de chance, ça aura avoir avec la loi de retrait. De nos jours, tout à avoir avec cela. Mais si ce n'est pas le cas, je demanderais d'autre information à Nathan. Il pourrait peut-être m'aider.


Tout ce que je souhaite, c'est faire changer ma soeur d'avis pour qu'elle comprenne que ce qu'on vit n'est pas normal.

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11 commentaires

Camille Jobert

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Il y a 6 ans

Aïe ca va être dur de faire changer d'avis a sa sœur !

clara15

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Il y a 6 ans

Ah, ça oui :)

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 6 ans

Je suis venu, j'ai lu et cela m'a plu. Continues à m'emmener dans ton monde.J'espère que Phoebe n'aura pas trop de mal à rentrer dans ce bâtiment. Pourra-t-elle se racheter pour regagner quelques années ? Ce qui est injuste c'est qu'elle ait perdu des points à cause de ce policier pourri qui s'est mal conduit en service. Est ce que par hasard elle n'aurait pas la protection du groupe de Martha ? Cela semble se profiler malgré l'entretien froid avec Nathan. Je vois bien Phoebe comme très menue un peu comme l'héroïne de Millénium (version Américaine). J'ai peur pour la sécurité de son amie et de sa famille, de sa sœur et son père. Ca sent pas bon là! Le gros Banks a l'air d'une pourriture sans âme. J'attends la suite.

clara15

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Il y a 6 ans

Je suis contente que ça te plaise :) ce monde est très injuste en effet et personne n’est à l’abris avec des gens comme Banks...

Sand Canavaggia

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Il y a 6 ans

Ah ! Fin de lecture et le manque déjà d'une suite !!! Pour parler des choses que j'aime moins et auxquelles je ne prête pas attention par ce que d'autres en parlent et je pense qu'elles sont déjà démasquées par tes relectures, quelques fautes mais rien de gênant pour ma lecture. La réalité presque cruelle de ce monde qui a pour moi un vrai sens et une probabilité plus que présente même si l'avenir lui donnera d'autres chemins du possible. Problèmes environnementaux, régulation de la population, fin des retraites, etc... Belle approche de ce système perverti et de la difficulté de s'adapter des petites classes tout en leur conservant "l'espoir". Félicitation Clara15.

clara15

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Il y a 6 ans

Merci beaucoup pour tes commentaires :)) Je m’excuse pour les fautes mais je les corrigerais quand je pourrais toucher aux chapitres déjà publiés. Le prochain chapitre arrive dans la soirée !

Sand Canavaggia

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Il y a 6 ans

Le projet "Jouvence" est une solution, elle défend le droit à la vie, j'aime..; Quelle cohérence dans ce texte tout s'imbrique avec une si belle facilité.
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