Fyctia
Chap. 10
58 JOURS
La nuit que j'ai passé à sûrement été la meilleure de ma vie. Je crois que tout le stress accumulé m'a épuisé à un niveau que je n'attendais pas. Et même si j'ai encore certaines interrogations, telles que comment l'homme au téléphone m'a retrouvé le jour dans la ruelle, j'ai décidé de passer outre et de faire comme si cet événement n'avait jamais eu lieu. C'est totalement revigorée que je me lève. Maintenant, je dois régler au plus vite l'histoire de monsieur Dane, mais ça attendra pour aujourd'hui. Mais pour le moment, je vais avaler un grand bol de céréales !
C'est avec un t-shirt trois fois trop grand que j'entre dans le salon, les cheveux en bataille et les yeux encore à moitié clos. Mon sourire matinal retombe rapidement quand je découvre, attablés l'un en face de l'autre, Cassandre et mon père. Ils ne se regardent pas et jouent avec les couverts. Et à ce moment-là, je réalise qu'avant l'histoire du coup de poing, j'ai invité Cassandre à venir se réconcilier avec Papa. Mais de ce que je vois, ça ne s'annonce pas si bien que ça et que je vais devoir participer à son moment absolument gênant. Parfait.
— Nous n'attendions plus que toi, Phoebe.
La voix de mon père tonne et je me rends compte qu'il n'apprécie pas forcément cette idée de déjeuner. Déjà, si je me souviens bien, j'avais proposé à Cassandre de dîner et non pas de déjeuner. Ce n'est qu'un détail qui aurait pu me préparer à ce qui va suivre.
— Qu'est-ce qui est arrivé à ton oeil ? demande Cassandre, un peu affolée.
— Une porte, lancé-je un peu trop rapidement, oh, Cassandre a cuisiné ! C'est génial !
Il s'agit de la seule diversion que j'ai trouvé pour détourner l'attention de mon oeil qui vire lentement au vert. Et ça semble fonctionner puisque ma soeur me foudroie du regard sans s'attarder trop longtemps sur mon anatomie mutilée et douloureuse. Elle sait que je moque d'elle et de ses talents culinaires assez... singuliers. Je m'assois entre eux-deux et attrape le plat. S'ils ne se décident pas à manger, on va un peu bousculer les choses. Alors je sers mon père et ma soeur dans un silence monacal.
— Et si nous parlions de la raison pour laquelle ce repas est aussi silencieux, proposé-je au bout de cinq minutes sans un mot.
Mais aucun des deux ne se décident à en placer une. Je lève les yeux au ciel loin d'être étonnée. J'aurais même dû m'y attendre quand j'y pense. Qu'est-ce qu'ils peuvent être têtus quand ils s'y mettent !
— Cassandre. Tu voulais t'excuser, n'est-ce pas ?
Toujours sans ouvrir la bouche, elle acquiesce vaguement en jouant avec ses aliments. Je lève les yeux au ciel, encore une fois ; elle n'y met pas du sien.
— Bon, et si vous m'expliquiez la raison de cette dispute ? Parce que ni l'un ni l'autre n'a décidé de faire un pas en avant, alors...
— Ta soeur m'a dit, et je cite : "tu es aussi égoïste que Maman".
Je ne trouve rien à répondre, sur le moment. Un coup d'oeil jeter en direction de ma soeur m'indique que c'est effectivement ce qu'elle a dit. Je suis vraiment surprise qu'elle ait pu dire ça parce que notre mère était tout sauf égoïste. Et je sais à son expression peinée que Cassandre ne le pensait pas et qu'elle le regrette aujourd'hui. Mais même en ayant dit ces mots sous l'effet de la colère, ils ont été dit.
Je comprends maintenant pourquoi Papa lui en veut. Toutefois, je ne pense pas que ce soit un motif suffisant pour lui en vouloir à ce point-là. Je pense que, au vu du temps qui lui reste, ce serait mieux qu'ils oublient cette conversation.
— Je suis désolée, Papa.
Mais mon père semble vraiment remonté pour ne pas la regarder dans les yeux. Je ne suis pas vraiment sidérée par ce manque de communication.
— Je n'en pensais pas un mot et tu le sais !
Cassandre se heurte une nouvelle fois à un silence frigide.
Notre mère est un sujet sacré dans notre famille. Même si elle est morte il y a environ dix-neuf ans, nous avons toujours été baignées dans l'idée que notre mère était le héros de notre famille. Je n'avais que sept mois quand elle a été tuée par la loi des retraits et Cassandre en avant cinq. Mon père ne s'est jamais vraiment remis de sa mort, même si ça fait presque deux décennies. Des fois, il parle à son portrait qu'il garde sur sa table de chevet. Elle lui manque atrocement. Et avec le temps, mon manque à moi s'est atténué. Certes je penses toujours à elle, mais, je ne l'ai pas vraiment connu. Juste par l'intermédiaire de notre père.
Nous avons un souvenir assez flou de la personne qu'elle était, surtout moi, mais mon père a toujours tenu à nous parler d'elle comme si elle était encore vivante. Même morte, elle a toujours une place cruciale au coeur de notre famille. Son souvenir est ce qui nous lie tous les trois. Et le fait que Cassandre ait pu, même involontairement, bafouer sa mémoire peut mettre en colère mon père.
— Votre mère a toujours tout fait en pensant à votre intérêt, répond enfin Papa, et je suis choqué que tu puisses penser cela d'elle.
— On le sait, dis-je pour calmer les tensions.
— Mais j'avais raison sur un point.
À quoi bon essayer de calmer les tensions si Cassandre arrive pour tout détruire ? Je suis supposée être l'intermédiaire entre eux deux mais on dirait qu'ils n'ont pas besoin de moi.
— Depuis presque dix mois tu t'enfermes dans ton atelier, reprend-elle, et tu ne penses même plus à passer du temps avec nous. Il ne te reste que soixante jours !
— Cinquante-huit, pour être exacte.
Les deux me foudroient du regard. Cette remarque n'était peut-être pas indispensable, je l'admets.
— Nous n'avons pas eu la chance de connaître notre mère ou du moins, brièvement. Tu peux comprendre qu'on veut passer le plus de temps possible avec toi, non ?
Elle se lève et sort de table, les yeux noyés de larmes. Mon père a baissé la tête. Il revit la même conversation qui l'a bouleversé il y a quelques temps, mais je dois admettre un point : Cassandre n'a pas totalement tort. Utiliser notre mère n'était certes pas une bonne idée, mais elle a raison sur le point que notre père préfère s'isoler que passer du temps avec ses filles.
D'un autre côté, je travaille au club et je passe mes journées en ville alors je dois admettre ne pas être toute blanche dans l'histoire. Cassandre a sa part de responsabilité, elle aussi, puisqu'elle habite à l'autre bout de la ville et qu'elle a un travail assez prenant. J'imagine que la date limite qui approche à grands pas nous effraie tous.
— Tu n'es pas le seul à blâmer, lui dis-je.
Mon père passe une main sur son crâne aux cheveux grisonnants et me jette un coup d'oeil triste.
— Elle n'a pas tort non plus. Elle s'est mal exprimée.
Je hoche la tête, ne trouvant rien à dire de plus. Notre famille est la reine des sentiments inavoués. Aujourd'hui, ça a probablement été un surplus d'émotions pour tous.
— Je vais aller la retrouver pour qu'on s'explique.
Il quitte à son tour la table, me laissant seule avec le repas refroidissant.
2 commentaires
Gabriele VICTOIRE
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Il y a 6 ans
Sand Canavaggia
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Il y a 6 ans