clara15 DEADLINE Chap. 2

Chap. 2

74 JOURS


Une fois Max dehors, je commence à retirer les vêtements de scène de mon personnage pour les mettre dans le panier à linge sale dont Martha, la femme de ménage, s’occupera. Je remets mes vêtements initiaux, c’est-à-dire un jeans brut avec sweat-shirt noir trop ample. Après avoir enfilé mes baskets qui vont donner du répit à mes pauvres pieds, je fourre l’argent dans la poche avant de mon sweat kangourou et sors par la porte qui donne sur les escaliers, qu’il faut monter pour être en dehors des souterrains, qui eux-mêmes mènent à une ruelle.


Il est presque trois heures du matin et le silence règne. Je me fais discrète en longeant les petites ruelles, puisque le couvre-feu est en rigueur depuis plus de cinq heures. Nombreuses sont les personnes qui se font avoir en sortant du club, mais ils n’oseraient jamais dénoncer le club ; ça leur coûterait beaucoup trop. De plus, être dehors alors qu’il y a un couvre-feu ne cause qu'un mois de retrait. C’est raisonnable.


Il me faut une demi heure pour arriver chez moi, dans un quartier résidentiel peu convenable. On se contente de cette maison, car la communauté est plus chaleureuse qu'autre part. J'entre par la porte de derrière. Mais bien sûr, mon père l’a verrouillé avant d’aller se coucher. Il dort tôt. Il ne pensait sans doute pas que j’allais rentrer aussi tard. Je dois grimper à la fenêtre de ma chambre que je laisse toujours entrouverte, suffisamment pour que je le sache mais pas assez pour que les voleurs le sachent, eux aussi. Et puis, il n’y a pas grand monde qui vole dans ce coin de la ville ; les habitants se font confiance et personne ne veut risquer cinq ans pour trahir des voisins.


Je me laisse finalement tomber sur le lit, avec cet appel au sommeil. Mais je dois résister encore un quart d’heure ; il faut que je compte l’argent. Ce soir, j’ai réussi à amasser presque trois cents dollars toute seule, en cinq heures. C'est énorme. J’attrape le sac de sport sous mon lit et l’ouvre. Je ramasse la feuille blanche qui fait le compte de l'argent dans ce sac et y ajoute les dollars en plus. Je replonge toutes les économies de ce soir avec celui des autres soirs. Il me faut encore quelques milliers de dollars et l’espoir de sauver mon père sera justifier.


La porte de ma chambre s’ouvre et j’ai juste le temps de cacher le sac sous mon lit que mon père entre. Son dos est voûté et ses yeux cernés par des marques bleues et noires. Il dort beaucoup moins ces derniers temps. Il sait que son heure est proche. Du moins, c’est ce qu’il croit. Et bientôt, je lui prouverai qu'il a tort.


— Tu rentres encore tard, Bee, gronde-t-il.


— Je sais, je sais... Daisy m'a rejoins, et on n'a pas vu l'heure passée.


À court d'excuse, je me tais. Mon père hoche la tête, pas totalement convaincu, mais il s'en contente.


— La prochaine fois, dors chez elle. Ne risque pas de te faire surprendre dehors. Encore.


Je fronce les sourcils. Pour répondre à mon manque de lucidité, il sors une enveloppe de la poche arrière de son pantalon, et me la tend. À l'en-tête, je me rends compte qu'il s'agit d'une lettre officielle du gouvernement. Un retrait.


— Le couvre-feu est instauré à vingt-deux heures, Phoebe. Peux-tu me dire pourquoi j'ai reçu, pour la sixième fois depuis le début de l'année, des contraventions qui te retirent à chaque fois un mois ?


Je n'ose pas lui dire que j'ai réussi à en intercepter trois autres. Il n'apprécie pas que je mette ma vie en danger pour des raisons aussi futiles. Ils pensent que je rentre tard par manque de conscience mais en réalité, je sors directement du travail.


Mon père s'approche et s'assoit à côté de moi, sur mon lit.


— Écoute, chérie... je ne fais pas ça contre toi. Tu sais très bien que je ne veux que ton bonheur. Je veux que tu vives le plus possible.


J'acquiesce. Ce discours, je l'écoute depuis environ de dix mois, depuis que mon père a eu le rappel de sa "dernière année". J'absorbe que la vie mérite d'être vécue et qu'il faut faire en sorte de se compliquer le moins possible ces soixante années qu'on nous attribue à notre naissance. Visiblement, il a vraiment du mal a accepté que sa vie va bientôt toucher à sa fin. Mais c'est ce qu'il croit.


— Tu devrais prendre exemple sur ta soeur, Bee.


Je lève les yeux au ciel. Bien sûr qu'il devait prendre l'exemple de la si irréprochable Cassandre. Ma soeur qui vit dans le centre ville, qui a un métier parfait contrairement à sa soeur... Cassandre est la parfaite fille dont mon père aurait pu rêver.


— Elle va bientôt se marier et...


— Après avoir refuser cinq fois, souligné-je.


Ma soeur tient énormément à sa liberté et n'a jamais voulu se marier. Mais son futur mari a tellement insisté malgré les refus, qu'elle a fini par abdiquer. Ça devait forcément finir ainsi.


— J'aimerais partir en sachant que ma fille ira bien. Promets-moi que tu feras tout pour te préserver.


À chacun de ses discours, il finit par me faire promettre cela. Et à chaque fois, je lui mens. Certes, je fais tout pour me mettre le moins possible en danger ; je ne suis pas suicidaire. Mais d'un autre côté, je travaille en tant que strip-teaseuse et je risque gros. Je risque neuf ans de ma vie pour un job illégal. Je mens à mon père pour le protéger.


— Promis, Papa.


Il hoche la tête, satisfait de la direction vers laquelle notre discussion a pris un tournant. Après m'avoir embrassé le front, je le regarde fermer ma porte comme si le poids du monde pesait sur ses épaules. Les soixante-quatorze prochains jours approchent à grands pas.


Et même s'il est condamné à mourir dans soixante-quatorze jours, j'ai trouvé une alternative. Il y a de grandes chances qu'à l'issue de sa "date limite", il ne décède pas comme il est prévu que ce soit le cas.


Mon père a une connaissance, un technicien qui « contrôle » la mort des gens. Il est en charge de réactualiser les compte avant que l’âge maximal ne soit atteint. Il est l’une des personnes qui réduit notre vie et il peut aussi, au contraire, enlever toutes les charges pour remettre la mort à son âge maximal, c’est-à-dire à soixante ans. Mais mon père n’a que cinquante ans. Il n’a commis que deux délits : un vol lorsqu’il était mineur, qui lui a valu une réduction de cinq ans ainsi qu’une réduction de quatre ans pour avoir protégé ma mère du gouvernement.


Mon père est quelqu’un de bien. Il n’a jamais vraiment causé de trouble à la société mais il est condamné à bientôt mourir. Et je sais que son ami le technicien peut y faire quelque chose. Nous en avons déjà parlé, mais il est imperméable à l'idée. Donc j’ai pris les devants et j’ai appelé ce fameux Frank Dane. À cause des risques encourus, il m’a demandé une compensation financière assez élevée. Pour donner à mon père encore quelques années, je dois payer plus de soixante-quinze mille dollars. La raison pour laquelle j’ai postulé comme strip-teaseuse est parce que c’était le métier qui allait me rapporter le plus d’argent pour atteindre la somme exigée.


Et je vais bientôt y arriver.

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17

17 commentaires

Jobas

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Il y a 6 ans

je découvre ton histoire et j'accroche bien. Je trouve l'idée de la vie limitée intéressante. cela me fait penser au film Time out. Je ne sais pas si tu connais, mais c'est le meme principe où notre vie est définit par le nombre d'heures que nous possédons dans un compteur. En tout cas je t'encourage

clara15

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Il y a 6 ans

Je suis contente que mon histoire te plaise ! Au départ, non, je ne connaissais pas ce film mais une amie m’a fait remarqué que mon histoire lui ressemblait. Merci beaucoup :)

EmilyChain

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Il y a 6 ans

Pour l'instant j'adhère à ton univers !

clara15

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Il y a 6 ans

Merci :)

Sand Canavaggia

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Il y a 6 ans

J'aime beaucoup la tournure, avec une écriture qui a une forme de fraîcheur je sens aussi beaucoup de maturité par la réflexion. Le fait d'avoir une limite d'âge qui peut réduire suivant les méfaits m'interpelle, un peu comme une régulation de la population. Bizarre peut-être mais pour moi crédible (si on prend réf des japonais-loi eugénique sur contrôle des naissance 1934 à 38 et chine 1956 la limite des naissances avec diminution de moitié dans les 2 cas moins de 5 ans après les lois qui semble demeurer encore hors lois, plus de décès que de naissances)->donc si il y a si longtemps de telle mesure je peux sans aucun doute dire que dans ce texte l'accroche est là et j'y crois.

clara15

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Il y a 6 ans

Je voulais vraiment que mon histoire paraisse un minimum réaliste tout en ayant une touche effrayante. Savoir que le Japon et la Chine ont instauré un système qui puisse s’y apparenter consolide l’atmosphère pesante. Je suis contente que l’effet fonctionne :)

Cyril L

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Il y a 6 ans

Je n'ai pas trop de temps ce soir mais je reviendrai lire la suite, ton histoire me plaît bien.

Lana.M

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Il y a 6 ans

Jaime que tu prennes le temps de développer un peu la psychologie et lunivers de ton personnage principale avant de rentrer dans l'action. Personnellement jai besoin de ça pour m'approprier l'histoire et me l'imaginer donc cest un gros point positif. Si jai une petite remarque à faire ça serait d'expliquer pourquoi personnes n'oseraient dénoncer le club. Bisous

clara15

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Il y a 6 ans

Je suis contente que tu aimes la description psychologique du personnage, car c'est important de comprendre qu'il y a des personnes qui sont pour ce système et d'autre contre, et que Phoebe fait partie de ce second groupe, ce qui va la mener à toutes les péripéties de l'histoire. Pour ce qui concerne le fait que les gens n'osent pas dénoncer le club, j'en prends compte et je t'en remercie. J'essayerais de plus le développer à l'avenir :))

Camille Jobert

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Il y a 6 ans

C'est horrible de perdre son temps de vie juste a cause de délits ! Maintenant je comprends pourquoi elle risque de voir son temps de vie raccourci pour son père c'est touchant !
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