Fyctia
Chapitre 16:Confrontation(2/2)
Il était resté un long moment immobile, abattu. Il ne la reconnaissait plus. Autrefois, Marie était bienveillante, compréhensive. Aujourd’hui, elle était amère et distante. Il savait qu’elle avait été injuste envers lui. Mais il connaissait aussi ses torts. Une dispute, c’est rarement unilatéral.
Depuis des années, il avait consacré son temps libre à ses passions. Chaque soir, au retour du travail, il enfilait ses chaussures de randonnée et s’élançait sur les sentiers reliant sa ville à sa voisine. Il ne rentrait qu’à la nuit tombée, s’occupait du repas et partait se coucher, parfois sans voir Marie. Cette routine, qu’ils avaient tous deux laissée s’installer, avait duré assez pour briser leur couple. Il en était conscient.
Et c’est ce qui le brisait le plus. C’était sa faute s’il avait laissé cette situation s’envenimer. Il n’avait pas le droit de se sentir triste. Mais il ne pouvait s’en empêcher. Après tant d’années ensemble, il était impossible pour lui de balayer tout leur vécu d’un revers de main.
Après un long moment où Marc se perdit dans ses pensées coupables, il attrapa son téléphone et écrivit un message à Yarah.
“Je suis désolé qu’elle soit arrivée comme ça. On se voit au repas ?”
Il regarda l’écran, attendant une réponse. Les minutes étaient interminables, tortueuses et angoissantes.
Il se sentit tiraillé entre la tristesse, la colère et la honte. Les accusations de sa femme, cruelles et blessantes, le touchaient particulièrement. Dépité, il reposa l’appareil et leva la tête. Face à lui : la porte de la salle de bain restée ouverte. Au sol, des mèches de cheveux noirs et gris parsemaient le carrelage et les ciseaux posés sur le tabouret lui rappelaient ce moment complice.
Il passa sa main dans ses cheveux quelque peu mal coupés, mais il n’avait rien dit à Yarah tant elle était fière. La voir aussi joyeuse était contagieux et il se nourrissait de son bonheur. Il tendit sa main pour prendre ses béquilles et s’avança vers le siège ; il devait rendre ces ciseaux.
Il clopina ensuite vers son fauteuil roulant et se dirigea dans le couloir, regardant à droite, à gauche, en quête du bureau des infirmières. Il réalisa qu’il ne savait pas grand-chose. Après un mois et demi, il aurait dû connaître l'emplacement de ce bureau. Plus il avançait, plus la culpabilité l’envahissait. Certes, c’était leur travail de s’occuper de lui. Mais il n’avait jamais accordé la moindre importance à ces femmes qui s’affairaient avec beaucoup de soin à son égard.
Il arriva devant la petite pièce et frappa à la porte entrouverte pour s’annoncer. L’infirmière qu’il voyait le matin apparut, une tasse à la main.
— Monsieur Langlait ? Je peux vous aider ? lui demanda-t-elle.
Il croisa brièvement son regard avant de baisser les yeux vers sa main. Il lui tendit les ciseaux d’une main peu assurée.
— Je venais vous rendre ceci.
— Oh oui, les ciseaux, merci. C’était donc pour vous ? demanda la femme avec un sourire aimable.
— De quoi ?
— La coupe de cheveux, précisa-t-elle.
— Ah. Oui, c’était pour moi, avoua-t-il.
Il sentit la chaleur lui monter aux joues. Depuis son arrivée dans ce centre, un florilège d’émotions se disputait en lui. Chaque jour, un peu plus de lui réapprenait à vivre.
— Et donc, vous et Yarah, vous semblez bien vous entendre ?
Il releva immédiatement la tête, tiré du tourbillon de ses pensées.
— Je… Non… Oui… On est ami, s’empressa-t-il d’ajouter.
Il se sentit idiot. Pourquoi bégayait-il comme un enfant qu’on venait de prendre en flagrant délit ?
— Je vais y aller, merci encore pour les ciseaux.
Il fit pivoter précipitamment son fauteuil et retourna s’enfermer dans sa chambre. Il se glissa sous son plaid et alluma la télévision, cherchant un fond sonore, une distraction, pour occuper son esprit embrouillé.
Ce mélange confus d’émotions qu’il ressentait le perturbait et il ne savait plus que penser. Il avait besoin de repos, de calme, de sommeil.
Il soupira en voyant que les épisodes de La petite maison dans la prairie tournaient encore sur le petit écran. Il en était certain : cette série serait encore diffusée dans trente ans !
Ses yeux se fermèrent et il se sentit vide. Vide et pourtant la tête si pleine. S’il avait été plus jeune, il aurait probablement cédé sous le trop-plein de pensées qui menaçaient de déborder : il allait divorcer, les infirmières aimaient beaucoup trop les commérages, Yarah n’avait toujours pas répondu, il ne marchait pas, il se sentait épuisé, il ne voulait pas dormir…
Il réussit finalement à s’assoupir. Le générique de fin qu’il connaissait déjà par cœur le fit sombrer, lui offrant la sieste dont son esprit avait besoin.
Il se réveilla en fin d’après-midi, hagard. Le plafond blanc. Cette chose qu’il ne voulait plus voir mais qu’il continuerait d’observer jusqu’à ce qu’il soit apte à réintégrer dans la société, à être autonome. Il devait y arriver. Il devait progresser.
Il s’assit sur le bord du lit pour se glisser ensuite dans son fauteuil. En appuyant sur les mains-courantes, il entra dans la salle d’eau, se dirigeant vers sa prothèse, posée contre le mur. Les manchons de silicone et de tissus sur le meuble voisin, prêt à être enfilés.
Il retira son pantalon et enfila les différentes couches sur son moignon, avant de prendre la prothèse. Elle paraissait légère mais dans les faits, elle était lourde. Près de quatre kilogrammes était attachée à sa cuisse. Quatre, ce n’était pas énorme, mais à soutenir avec seulement un morceau de jambe, c’était un vrai défi.
Il enfonça son moignon dans l’emboîture et vérifia que tout était bien fixé. Dès lors, il remit son pantalon, levant sa jambe artificielle tremblante sous le manque de force de sa cuisse pour la caler sur le repose-pied.
Il sortit de la salle de bain et prit son téléphone en quittant sa chambre. Toujours rien. Une sortie à la bibliothèque le tentait. Peut-être y croiserait-il Yarah ?
Elle n’y était pas. Il craignait que la rencontre avec Marie l’ait touché plus qu’il ne l’avait imaginé. Parcourant les étagères, il trouva l’objet de ses recherches. Le deuxième tome de la saga Toi, moi et le monde. Il n’avait pas accroché à l’histoire, mais il voulait lire ce qu’elle avait écrit.
Après deux heures de lectures, et l’observation d’une mer agitée au loin, il emprunta le livre et le glissa dans la petite poche à l’arrière de son dossier. Il était l’heure de se diriger vers le restaurant.
Elle n’était pas encore arrivée. Il attendit un peu avant de passer sa commande et s’installa à une table, ses yeux rivés sur son téléphone. Pouvait-il lui envoyer un message sans paraître envahissant ?
La coïncidence faisait bien les choses : une notification s’afficha au centre de l’écran. Son léger sourire disparu.
“Pardon, fatiguée, je vais pas manger bonne nuit”
Il écrivit une réponse, ses doigts lents à parcourir le clavier tactile, comme s’ils portaient le poids de sa tristesse.
“Pas de problèmes. Repose-toi. Bonne nuit.”
Il posa son téléphone. Il n’avait plus faim.
1 commentaire
Juliette Delh
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Il y a 2 mois