Fyctia
Chapitre 14 : Progrès (2/2)
C’était un livre… sympathique. En toute objectivité, c’était le terme. L’histoire était bien construite, les protagonistes attachants. Tout était bienveillant, mielleux, enrobé d’une couche de naïveté et parfaitement ennuyeux à son goût. Il aimait davantage les romans psychologiques ou d’horreur où l’angoisse grandissait à chaque page qu’il tournait. Il adorait ce sentiment qui l’étreignait. Quand il restait fictif…
Marie se moquait souvent de ses goûts sans personnalité. Il aimait et vénérait pratiquement Stephen King. Le roi. Le maître incontesté. La perfection faite auteure. Il n’avait jamais su dire ce qu’il trouvait de si spécial dans sa plume. Il n’avait jamais trouvé de tic d’écriture, de tournures particulières ou un schéma classique et répété dans ses œuvres. Mais il se savait parfaitement novice dans l’analyse d’un texte ; il ne pouvait donc comprendre les subtilités. Mais les mondes qu’il construisait, les scènes, la montée en pression, les personnages… c’était tout simplement magistral.
Alors en lisant ce roman, qu’il savait pourtant bon, il ne pouvait s’empêcher de s’ennuyer. Une romance adolescente… il n’était pas le public visé, mais il voulait en apprendre davantage. Assise devant lui, l’auteure semblait être au bord de la crise de nerfs, prête à s’arracher le reste de ses cheveux. Fort heureusement pour elle, ils étaient bien cachés sous sa capuche.
Elle ronchonnait devant son écran depuis déjà une bonne dizaine de minutes alors qu’il lisait pour la cinquième fois la même ligne. Il se cacha derrière le livre pour camoufler son sourire quelque peu moqueur.
— Ça veut rien dire, c’est débile…, râla-t-elle en marmonnant.
Il reprit sa lecture. Sixième fois.
— Pourquoi j’ai écrit ça ?
Il ne savait pas s’il relisait cette phrase pour la septième fois parce qu’il ne parvenait à se plonger dans l’histoire, ou si c’était la voix de la jeune femme qui l’arrachait constamment à sa lecture.
— Mais non, pas “é”, c’est “ait”…
Il souffla du nez d’amusement.
— Je te fais rire ?
Il baissa le livre et la regarda. Bougonne et faussement vexée, elle le fixait d’un regard légèrement accusateur.
— Peut-être un peu, oui, avoua-t-il.
Elle leva son œil au ciel et effaça sa dernière phrase dans une petite rage silencieuse. Depuis qu’elle avait réussi à serrer sa balle une semaine plus tôt, elle avait fait d’incroyable progrès. Portée par sa réussite, elle parvenait désormais à écrire avec ses deux mains. Loin d’être aussi rapide qu’elle le fut autrefois, elle s’enthousiasmait de pouvoir écrire de longues minutes sans se fatiguer.
Durant leur temps ensemble, après leurs journées de rééducation et de thérapie, Yarah et lui se posaient toujours près de deux heures ensemble dans la bibliothèque.
Marc ne voulait pas encore se poser la question de l’après. Ce futur où ils quitteraient le centre était encore trop lointain pour lui. Alors, il profitait simplement de ce temps pour guérir à son rythme. Si cela devait lui prendre des mois, alors qu’il en soit ainsi. Mais il voulait essayer.
La présence quasi permanente de Yarah dans sa vie le poussait à donner le meilleur de lui-même. Probablement par fierté mal placée. Après tout, avec ses dix-sept ans de plus qu’elle, il se sentait le devoir de montrer l’exemple.
Il se redressa vers la table.
— Dis-moi sur quoi tu bloques.
— Hum… tout ? soupira-t-elle, défaitiste.
Il posa le livre et déplaça son fauteuil pour venir se placer aux côtés de celui de la jeune femme. Il lut rapidement le tapuscrit tandis qu’il entendit un petit rire étouffé.
— Pourquoi ris-tu ? demanda-t-il.
— Tu lis, mais tu sais pas quoi faire, hein ?
Il s’appuya sur le dossier de son fauteuil et fit un petit bruit guttural.
— J’en ai aucune idée, avoua-t-il avec sérieux.
Elle rit et il sourit en entendant ce son joyeux.
— Qu’est-ce qui te bloque ?
— Je n’arrive pas à me mettre dans l’histoire. Tout ce que j’écris semble trop… dur pour mes personnages, expliqua-t-elle. Ça ne leur ressemble pas, mais je n’arrive pas à écrire quelque chose de doux, de romantique, de… bien.
— Si tu écris des choses dures, pourquoi ne pas écrire une nouvelle histoire avec de nouveaux personnages ? suggéra-t-il.
— J’ai déjà commencé une nouvelle histoire. C’est ce que tu m’avais conseillé, d’ailleurs, dit-elle doucement. Mais… Et eux ?
Elle désigna son écran d’un geste vague de la main et soupira. Marc observa son dépit, compatissant.
— Ce n’est pas grave, tu pourras toujours y retourner plus tard, quand tu seras dans une meilleure période ?
Elle le fixa, ne sachant vraiment que faire, partagée dans ses sentiments. Finalement, elle glissa son index sur le pavé tactile de son ordinateur et cliqua sur la petite croix. Marc l’observa ouvrir un nouveau fichier dont les pages étaient déjà remplies de lignes de caractères.
Il recula son fauteuil, lui laissant davantage d’espace afin qu’elle se sente plus à l’aise pour travailler.
— Tu veux un café ?
Elle leva vers lui des yeux brillants.
— Avec plaisir !
— Je reviens.
Il s’éloigna et se dirigea vers le distributeur dans la pièce voisine. Le hall d’accueil commençait à se vider petit à petit et Marc attendit son tour derrière un homme au dos voûté. Il jeta un coup d’œil en arrière, observant Yarah penchée sur son ordinateur, sa main gauche posée sur sa jambe, la droite volant sur les touches du clavier.
Cela faisait à peine plus d’un mois qu’ils avaient échangé leurs premiers mots. Depuis, il trouvait en elle le soutien qui le faisait tenir et avancer ; une ancre qui le gardait centré sur sa guérison. C’était sûrement égoïste, voire inapproprié en raison de leur différence d’âge, mais, en sa présence, il se sentait rassuré.
Lorsque son téléphone vibra, indiquant la réception d’une notification, il fronça les sourcils. En dehors de Yarah et quelques e-mails de ses collègues de travail lui souhaitant un prompt rétablissement, il n’avait plus grand contact.
Marie.
Il sentit son estomac se nouer et se recula pour laisser passer une personne qui attendait derrière lui, trop concentré sur le message pour se soucier des cafés.
“Je passerai après-demain, j’ai des documents pour toi. Marie.”
Il verrouilla l’appareil et le rangea dans sa poche. Il était l’heure de retrouver la réalité.
5 commentaires
Juliette Delh
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Il y a 2 mois
Mad May
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Il y a 3 mois
IvyC
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Il y a 3 mois