Fyctia
Chapitre 14 : Progrès (1/2)
Il était idiot. Et ridicule. Et… pas à sa place. Ses pensées tournaient en une boucle incessante. Une pulsion d’optimisme l’avait conduit ici mais, pourtant… Il voulait simplement partir. Retrouver son confort habituel, sa routine rassurante, ses petites habitudes.
Il hésita. Peut-être pouvait-il fuir d’ici et prétexter un oubli ?
Il se sentit encore plus ridicule face à cette pensée immature et il s’enfonça dans un sentiment d'apitoiement renforcé par son propre embarras.
Un bourdonnement se fit entendre lorsque son téléphone vibra et il lut le message, un léger sourire sur les lèvres. Elle était là, cette poussée optimiste. Il écrivit sa réponse.
“Ceux qui ont lu te saluent. Bon courage.”
— Monsieur Langlait.
Il rangea son téléphone et roula dans le cabinet avant que le psychiatre ne ferme la porte après lui, les enfermant dans un silence lourd, presque oppressant. Ce dernier contourna Marc pour rejoindre son bureau et s’assit sur son siège noir qui protesta dans un grincement. Il ferma quelques fenêtres sur son ordinateur et en ouvrit une nouvelle, celle du dossier de Marc, ses doigts frappant lentement les touches du clavier. Ce dernier tentait tant bien que mal de se distraire, son regard s’attardant sur la décoration : des peintures au mur, des plantes vertes, une lampe sur pied au style ancien, quelques photos de famille…
Il frotta ses mains moites sur son pantalon et observa les paysages peints et encadrés.
— Je suis tout à vous, Monsieur Langlait.
Marc reporta son attention vers le médecin, le regardant sans vraiment le voir avec des yeux fatigués. Que devait-il dire ? Il chercha soigneusement ses mots, évitant autant que possible de croiser le regard de l’homme accoudé au bureau face à lui. Enfoncé dans son fauteuil roulant, il se sentait presque en sécurité alors que le monde autour lui semblait hostile.
— Ça fait un mois qu’on se voit. Comme je vous l’ai déjà dit, je ne veux pas vous forcer à parler. Ce que vous avez subi est complexe, mais pas insurmontable. Je tiens à vous rappeler que je suis là pour vous aider.
Marc inspira et soupira profondément, puisant en lui la force de parler.
— J’ai… Fais une promesse à quelqu’un.
Il se tut et le bruit du clavier remplaça le silence. Il essaya d’apaiser son esprit en jouant avec ses mains, passant un ongle sous un autre, retirant les petites saletés qui s’y étaient logées.
Il n’ajouta rien de plus, le psychiatre non plus. Leurs rendez-vous duraient généralement une demi-heure, parfois moins. Marc parlait rarement et lorsqu’il le faisait, c’était simplement pour échanger quelques banalités à propos de ses dernières lectures. Mais aujourd’hui, il avait ce sentiment d’être à un tournant.
Yarah l’avait poussé à avancer sans même s’en rendre compte. Elle l’avait encouragé par sa force d’âme et sa détermination à se retrouver une vie plus normale. Cet optimisme, c’était elle.
— Je…, commença-t-il.
Il ferma les yeux. C’était dur. C’était trop dur pour lui qui n’était plus rien. Comment pouvait-il revivre ? Comment pouvait-il retrouver le cours de sa vie alors qu’il n’avait plus rien. Il avait coupé les ponts avec sa famille suite à des histoires absurdes et égoïstes. La mort, l’argent et les affaires de succession pouvaient si facilement détruire des liens. Ses amis étaient surtout ceux de sa femme. Ou plutôt, de celle qui serait bientôt son ex-femme.
Il ne pouvait plus avancer. Pieds et poings liés, il n’avait plus le courage de le faire. Et c’était une jeune femme qui lui avait insufflé cette nouvelle impulsion. Il était censé être l’adulte mature, confiant, sûr de lui… Et pourtant… Il se sentait vide. Complètement vide. Incompétent. Un fardeau.
Finalement, sans qu’il ne les retienne, les mots sortirent seuls.
— Je ne vais pas bien.
Son cœur lui faisait mal. C’était presque physique.
Ses yeux lui brûlaient et, la tête basse, il vit des gouttes tomber sur ses mains.
— Je… je ne sais même pas par où commencer… soupira-t-il.
— Nous avons tout notre temps. Commencez par ce que vous voulez. Ce qui vous vient à l’esprit, ce qui vous pèse le plus. Ça peut être une pensée, un questionnement… ce que vous voulez.
La voix du professionnel était calme, posée, presque apaisante. Marc crispa ses poings sur ses cuisses, sentant cette jambe de plastique sous le tissu. Cet ersatz de jambe, artificiel, ridicule, venant combler le vide que cet évènement avait créé dans sa vie.
— Comment peut-on accepter… ça ? demanda-t-il.
— Que désignez-vous par ce terme ?
— Ce… la prothèse.
Le médecin laissa échapper un bruit grave et bas, à peine audible mais résonnant dans le silence entre leurs échanges.
— Ce n’est pas facile d’accepter quelque chose d’aussi nouveau et étranger. C’est une sensation perturbante qui peut être dérangeante. Mais ce que vous n’acceptez pas, c’est la prothèse ? Ou ce qu’elle représente ?
Marc s’affaissa dans son fauteuil, la gorge nouée. Il ne savait pas. Ou plutôt, il le savait mais ne voulait pas le dire à voix haute. Cela aurait été rendre cette affirmation plus vraie. Il voulait rester encore un peu dans ce refuge qu’était le déni. Ne pas l’accepter, c’était ne pas faire face à une réalité aussi difficile.
Il entendit son téléphone vibrer, comme un doux rappel de sa promesse.
— J’ai perdu ma vie, lâcha-t-il d’une voix basse et nouée par l’émotion.
— Vous avez perdu une jambe, Marc. Votre vie, c’est à vous de la construire. Ou la reconstruire, lui expliqua le psychiatre avec une détermination presque contagieuse. Je suis là pour vous aider. Vous n’êtes pas seul dans cette épreuve.
Il hocha la tête, incapable d’ajouter quelconque autres mots.
Marc quitta le cabinet, les yeux un peu rougis et chauds, mais le cœur plus léger. La douleur était toujours là, mais il était soulagé. C’était une sensation étrange mais pas si désagréable. En attendant l’ouverture des portes de l’ascenseur, il glissa sa main dans sa poche pour sortir son téléphone. Il sourit en voyant le message qu’il avait reçu lors de la séance.
“JE L’AI FAIT ! J’AI SERRÉ LA BALLE ! J’SUIS LA MEILLEURE ! Dis bonjour à la prochaine Nadal !”
Il l’imaginait parfaitement. Derrière son écran, elle avait dû avoir ce grand sourire et son œil brillant.
“Nadal est un homme. Tu serais peut-être Osborne ?”
Il entra dans l’ascenseur et regarda son reflet. Depuis quand souriait-il ainsi, aussi naïvement ? Qu’importe, c’était une bonne journée. Il se sentait, pour la première fois depuis ce qui lui semblait une éternité, heureux.
Il lut le message qu’il venait de recevoir.
“C’est pareil ! J’ai l’impression d’avancer. Tu es sorti de ton rendez-vous ?”
Il tapa son message, lentement et, quand l’ascenseur s’arrêta à son étage, il descendit avant de s’immobiliser à nouveau, fixant l’écran, ses doigts parcourant le mobile.
“J’en sors. On l’a fait.”
“Tu* l’as fait.”
Il sourit.
C’était, décidément, une bonne journée.
4 commentaires
Juliette Delh
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Il y a 2 mois
Mad May
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Il y a 3 mois
DIANA BOHRHAUER
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Il y a 3 mois