Fyctia
Chapitre 13 : Promesse (1/2)
Elle se réveilla au milieu de l’après-midi, l’esprit encore embrumé. Ses yeux fatigués se posèrent sur le carreau de la fenêtre, face à un ciel toujours aussi gris et déprimant. Elle espérait que les jours de février accorderaient un peu de répit à son moral. On lui avait vanté ce centre de rééducation comme l’un des meilleurs de la région. Mais personne ne l’avait averti de ce microclimat, comme si le temps semblait s’être figé un jour de pluie.
Elle tourna la tête, voulant prendre son téléphone et des vertiges la saisirent. Tout en maudissant les effets secondaires des médicaments, son regard glissa sur l’homme endormi, la tête sur ses bras. Elle profita de son sommeil pour l’observer, consciente que c’était toutefois malpoli. Mais elle ne put s’en empêcher et esquissa un sourire en entendant le souffle irrégulier de sa respiration ponctuée de ronflements.
Ses traits fatigués étaient devenus sa marque de fabrique. La peau plus lâche sur les joues creuses d’un visage taillé à la serpe suggérait qu’il avait été plus charnu, tandis que sous ce corps maigre et affaibli, se cachait une silhouette autrefois plus athlétique. Des cheveux grisonnants tombaient mollement sur son front discret et elle se demandait s’il les laissait pousser ou si, contrairement à Roxanne pour elle, personne ne venait s’occuper de lui.
Elle remonta sa main vers ses propres cheveux pour replacer une mèche derrière son oreille et remarqua l’absence de sa capuche. Elle sourit. Étrangement, aucune peur ou inquiétude n’étreignait son cœur.
Quelques coups annoncèrent la venue de son infirmière et elle reconnut Sandrine. La femme entra et écarquilla les yeux en découvrant l’homme assoupi. Yarah porta un doigt à ses lèvres, lui demandant silencieusement de ne pas le réveiller.
— Laisse-le dormir s’il te plaît, il est fatigué, murmura-t-elle.
Sandrine hocha la tête et contourna le fauteuil. Elle prit le bras de sa patiente pour le glisser dans le brassard du tensiomètre et lança la machine qui vint faire pression sur le bras.
— Qui est ce visiteur exténué ? demanda l’infirmière en posant le stéthoscope dans le creux du coude.
— C’est un des résidents ici. Marc, euh… Langlait, hésita Yarah.
Le femme sourit face à l’hésitation de la patiente et se concentra sur le rythme régulier des battements cardiaques.
— Et donc, vous vous connaissiez déjà ? Sacrée coïncidence, non ? s’étonna-t-elle à voix basse.
— Non, non ! On se côtoie depuis peu. On… s’entraide, en gros.
Sandrine reposa son matériel avant de s’occuper de la perfusion, injectant les antibiotiques et analgésiques. Elle nota les différentes observations et traitements administrés dans le dossier médical avec tous les détails et, lorsqu’elle eut terminé les soins et relevés, elle rangea ses affaires dans son chariot.
— Je vais voir pour qu’on t’apporte un en-cas, lui dit Sandrine en chuchotant toujours.
— Merci. Au fait ! Je suppose que des gens pourraient s'inquiéter de ne pas le voir dans sa chambre, est-ce que tu pourrais…
— Je préviens mes collègues, ne t’en fais pas, la rassura-t-elle avec un clin d'œil complice.
Elle quitta la pièce dont le silence était seulement perturbé par les sons étouffés de l’agitation du couloir et le ronflement de Marc.
La jeune femme laissa ses pensées voguer au loin. Elle s’autorisa une petite pensée égoïste : celle qu’il s’était vraiment inquiété pour elle malgré leur récente rencontre.
Elle sourit et ses joues prirent la douce teinte du soleil au crépuscule.
Elle écrivait quelques messages pour ses amis et sa famille, les rassurant quant à son bon retour lorsque Marc se réveilla en grognant un peu.
— Ronchon au réveil ? le taquina-t-elle.
Il fronça les sourcils et se redressa sur son fauteuil.
— Je suis désolé, je ne pensais pas dormir...
— Pas de soucis, tu avais l’air fatigué.
Il se renfrogna légèrement en s’adossant, ses bras croisés, comme s’il se fermait à toute discussion et érigeait une barrière entre eux.
— Pardon, je n’aurais peut-être pas dû ?
— Non, pardon, fit-il en soupirant. C’est juste que…
Il leva la tête et fixa un spot lumineux sur ce plafond blanc. Sans le presser ou l’inciter à parler, Yarah attendit simplement, son téléphone posé sur le lit, à côté d’elle, et son attention toute tournée vers l’homme.
Elle le vit fermer les yeux et soupirer, résigné.
— J’ai l’impression que rien ne va. Tout avance, évolue, et moi je… Je ne bouge pas. Je ne fais que tout empirer.
— Comme dans une impasse sans trouver de sortie, ajouta Yarah.
— C’est ça ! acquiesça-t-il plus vivement. J’ai l’impression de voir tout le monde avancer alors que moi je suis bloqué. Et…
Il posa une main sur sa prothèse et frotta le plastique au travers du pantalon. Elle avait bien remarqué la nouvelle jambe mais la jeune femme avait rapidement deviné qu’il s’agissait là d’un sujet sensible, aussi, elle n’avait pas, d’elle-même abordé le sujet.
— Et même quand je veux essayer, je n’y arrive pas.
Elle écoutait patiemment sans vraiment savoir quoi répondre. Elle savait écouter, c’était son talent et les gens se confiaient à elle, lui offrant leur fardeau. Mais quand il s’agissait de donner des conseils, elle se savait démunie. Mais cette fois, avec lui, elle voulait faire plus. Elle voulait l'aider.
— C’est un conseil bête mais… Et si tu ne regardais pas les autres ? C’est ton parcours, pas celui des autres, suggéra-t-elle.
— Et comment ? Je n’arrive pas à marcher, j’ai quitté ma femme, j’ai tout perdu.
Son âme sensible la rendait très souvent émotive et face à la confession de l’homme, elle sentit sa gorge se nouer et ses yeux se mouiller. Elle déglutit en cherchant ses mots.
— Tu es toujours là, finit-elle par dire d’une voix un peu enrouée.
Il soupira en secouant la tête et leva vers elle des yeux remplis d’honnêteté, de fragilité et de détresse.
— À quoi bon ? lâcha-t-il.
— Il y a peut-être une raison pour laquelle tu es en vie.
Il ne répondit pas immédiatement. Laissant la phrase de Yarah cheminer dans le flux de ses pensées.
— Comment tu fais ? demanda-t-il, fatigué.
— De quoi ?
— Tenir… rester forte.
Cette fois, ce fut Yarah qui resta silencieuse, déstabilisée par la question. Certes, elle n’avait pas ce doute de vouloir vivre ou non. Mais elle luttait aussi. Chaque jour, elle combattait son dégoût de soi qu’elle dissimulait sous ses sourires et une amabilité parfois exagérée.
Son cœur se tordit et une boule d'angoisse l'étouffa. Elle baissa les yeux. Ridicule, faible honteuse. Elle aurait voulu se cacher, ne pas montrer sa faiblesse… mais pas devant lui.
— Je ne le fais pas, murmura-t-elle, sa voix menaçant de se briser à tout moment.
Sa main serra la couverture, ses articulations blêmes. Elle leva les yeux vers lui et n'y trouva qu'un écho à sa propre douleur.
Ils étaient tous deux brisés. Il lui sourit tristement. Ils se comprenaient.
— On a peut-être tous les deux besoin d’aide, dit-elle en retenant un sanglot.
Il hocha la tête, leurs mains entrelacées l'une dans l'autre.
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Juliette Delh
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Il y a 2 mois
bilbo
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Il y a 3 mois
DIANA BOHRHAUER
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Il y a 3 mois
IvyC
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Il y a 3 mois
Mad May
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Il y a 3 mois
Nyh
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Il y a 3 mois