Fyctia
Chapitre 10 : Écouter (2/2)
On lui avait laissé la prothèse pour qu’il s’habitue à sa présence. Il était étrange de voir cette jambe de pantalon, autrefois vide, désormais pleine. Son estomac grognait et un coup d'œil à l’horloge lui indiqua l'heure tardive Il quitta son lit, se laissant tomber dans le fauteuil, et releva sa jambe droite, s’aidant de ses mains pour porter le nouveau poids que son moignon peinait à soulever.
Il quitta sa chambre, sans oublier de la verrouiller et se dirigea vers l’ascenseur. Son reflet dans les portes métalliques lui renvoyait l’image d’un homme désormais entier d’apparence, mais aux yeux vides et ternes. Il regrettait un peu ses paroles dures envers sa femme mais il n’avait plus la patience pour la supporter.
Les portes s’ouvrirent, brisant le fil de ses pensées, et il s’avança, passant aisément le petit interstice avant d'appuyer sur le bouton. La secousse et la lente descente se firent sentir jusque dans son estomac criant famine. Il passa ensuite la porte et se dirigea vers l’aile est où se trouvait le restaurant.
Roulant lentement, il s’arrêta au comptoir pour passer sa commande et, une fois fait, s’éloigna en direction de la grande salle.
Une petite flamme vacillante éclaira un peu son cœur fatigué lorsqu’il la vit un peu plus loin, lui adressant un petit signe timide. Il roula jusqu’à sa table.
— Bonsoir. C’est la première fois qu’on se voit ici.
Elle lui sourit en posant sa fourchette.
— Bonsoir. Il semblerait que ce nouveau fauteuil me permette de me déplacer toute seule maintenant ! lui répondit-elle avec une joie qu’elle contenait difficilement.
— Je suis heureux pour vous.
Un serveur apporta son repas à Marc et il le remercia poliment. Une assiette garnie d’un filet de lieu citronné et d’une généreuse portion de ratatouille, ainsi qu’un verre et un yaourt nature, remplissaient le plateau devant lui. Il prit ses couverts et coupa un morceau du poisson.
— Je n’ai pas l’impression que vous soyez très heureux.
Il se figea, ses épaules tendues s’affaissèrent. Il fixa son assiette, gêné que cette jeune femme ait pu lire si aisément en lui. Certes, il ne faisait pas spécialement d’effort pour masquer son abattement mais tout de même… Il ne se pensait pas si transparent.
— Vous avez raison, répondit-il avec un sourire empreint de tristesse.
Il releva la tête et vit cette moitié de visage le regarder. Il ne connaissait pas cette femme. Seules quelques paroles échangées, quelques regards, rien de plus. Et pourtant, elle semblait prête à l’écouter. Comme si elle avait pu lire ses pensées, elle ajouta:
— Si tu as besoin de parler, je peux t’écouter. Oh pardon, s’exclama-t-elle, je… On peut peut-être se tutoyer ?
Un rictus, plus proche d’une grimace que d’un sourire, étira légèrement ses lèvres et il soupira doucement, déplaçant quelques morceaux de courgettes dans son assiette afin d’occuper sa main.
— C’est… compliqué.
— Si on est tous les deux ici, c’est bien parce que ce n’est pas simple, s'esclaffa-t-elle.
Il la regarda boire et eut un sourire compatissant en la voyant si concentrée sur ce geste simple.
— Et v… toi ? Quelque chose de compliqué en ce moment ?
Tandis qu’elle finissait d’avaler l’eau de son verre, il prit une bouchée du poisson et quelques légumes. Ce n’était pas le meilleur qu’il ait mangé mais à cet instant, il était excellent.
— Une info contre une info, proposa-t-elle.
— Très bien, toi d’abord, lui répondit-il en se prêtant au jeu.
— Okay. J’ai ma dernière greffe de peau dans quatre jours et ça m’angoisse, avoua-t-elle.
Elle se mordit la lèvre et posa sa main valide sur sa jambe sous la table.
— La dernière ? C’est une très bonne nouvelle ! La dernière et ensuite, c’est terminé.
— Ouais, marmonna-t-elle d’une voix plus basse. Mais… je vais retourner à l'hôpital pendant une semaine pour le suivi et… je… j’ai un peu peur.
— Tu n’as pas à avoir peur, la rassura-t-il. Ce sont des spécialistes, ils connaissent leur travail et… ce n’est pas ta première, je suppose ?
— Non, du tout, mais… ça reste douloureux. À toi maintenant !
Elle s’affaissa un peu dans son fauteuil, le fixant d’un œil triste, qu’une lueur curieuse faisait toutefois briller. Il la regarda et rit doucement, un peu gêné.
— Une info triste ou dramatique ? demanda-t-il.
— Les deux semblent terribles.
Tandis qu’elle lui répondait, elle prit un morceau de pain et tenta de saucer son assiette. Il la vit lutter, son assiette glissant sur la surface du plateau rendant l’opération laborieuse et frustrante.
Marc tendit la main et tint l’assiette. Elle leva vers lui un œil rond d’étonnement.
— Pardon, je ne voulais pas être intrusif.
Il s'apprêtait à retirer sa main lorsqu’elle s’empressa de répondre.
— Non, c’était très gentil, merci !
Elle lui sourit avant de finir de nettoyer son assiette grâce à son aide.
— Donc… Pour en revenir au sujet, je dois choisir entre triste ou dramatique ?
— Je te laisse le choix, effectivement.
Elle réfléchit un instant en tapotant l’accoudoir du fauteuil de l’index.
— Je dirais dramatique, finit-elle par décider.
Il la regarda avec un demi-sourire et leva les yeux au plafond. Des bandes lumineuses d’un blanc éclatant y étaient fixée, pendantes et leur lumière éclatantes le fit cligner des yeux. Il hésita s’il devait mentir ou non. Après tout… Elle avait partagé ses propres craintes, il lui devait au moins de l’honnêteté.
Cette petite lumière vacillante grandissante lui redonnait un peu de confiance. Alors, oui, il pouvait bien le lui dire. Il déglutit et fixa un point au loin, refusant de voir le jugement dans le regard de cette jeune femme.
— Je… Je ne sais pas si j’ai encore envie de vivre…
Elle resta silencieuse. Lui n’ajouta rien de plus. Et entre eux, le silence s’installa. Étrangement, il ne ressentait aucune douleur, seulement une sorte de délivrance d’avoir osé dire ces mots à voix haute.
Il baissa les yeux sur son assiette et une main se posa sur la sienne qui tenait fermement son couteau.
— Je me mêle peut-être de ce qui ne me regarde pas… commença-t-elle.
Il sourit en l’entendant reprendre ses mots lorsqu’il l’avait abordé à la bibliothèque.
— Mais je comprends. À ta place, je me sentirais désarmée et perdue. Mais… hésita-t-elle, tu n’es pas seul… je… je peux être l’oreille qui t’écoute. Si tu le veux.
Il tourna la tête vers elle, les yeux écarquillés, sans voix. Cette fois, c’était lui qui ne savait quoi répondre. Elle s’empressa de parler, cherchant à masquer sa gêne trahie par la teinte écarlate de son visage.
— Je suis seule la semaine et je ne sais pas quoi faire de mon temps, alors je me dis qu’il serait mieux utilisé pour, au moins, écouter quelqu’un qui en a besoin.
— Et ce roman ? Comment va-t-il avancer si tu passes ton temps libre à écouter les pleurs d’un vieux quarantenaire ?
Elle gloussa en retirant sa main.
— Pour le coup, je n’ai vraiment pas du tout envie d’y penser !
Elle le regarda avec un sourire amusé et il sentit son cœur battre à nouveau.
6 commentaires
Juliette Delh
-
Il y a 2 mois
IvyC
-
Il y a 3 mois
TammyCN
-
Il y a 4 mois