Nyh De maux en mots Chapitre 10 : Écouter (1/2)

Chapitre 10 : Écouter (1/2)

Il quittait la bibliothèque, allégé d’un poids. Il s’y était rendu pour noyer ses pensées dans la lecture, pour distraire son esprit pris dans la tourmente de son incapacité à marcher.


Ses séances avec le kiné étaient au point mort. En dépit de sa présence régulière, son manque de volonté et de détermination ralentissait considérablement ses progrès. Durant les séances, il marchait péniblement avec les béquilles et, avec l'aide du spécialiste, ils travaillaient sur ce qu’il restait de sa cuisse : ce petit morceau, vestige de ce qu’avait été sa jambe, il y a encore quelques semaines de cela. L’objectif était de renforcer les muscles de sa jambe amputée, pilier de ce qui lui permettrait par la suite de marcher avec une prothèse.


Le professionnel lui avait clairement exposé les enjeux de leurs rendez-vous, mais cela ne changeait rien. Marc restait un spectateur de sa propre absence de progression. Tous lui certifiaient qu’il pourrait à nouveau retrouver un semblant de normalité. Mais il ne les croyait pas. Aucun d’eux. Au fond, il en venait même à se demander s’il voulait vraiment continuer à vivre ainsi.


À quoi bon s’acharner à vivre une vie qui n’était pas celle que l’on avait choisie ? Pourquoi subir des évènement dont on ne voulait pas ? Pourquoi devait-il se forcer à vivre et se conformer à ce que les gens voulaient ?


Alors, pour se changer les idées, pour ne plus penser à ces séances de tortures, il s’était rendu à la bibliothèque. Cet endroit le ramenait dans son passé, lui rappelant cette librairie où il travaillait. L’odeur n’était pas la même ici, mais il y avait toujours cette légère fragrance de papier qui flottait autour des livres. Il passa dans les rayons, touchant du doigt les ouvrages à son niveau, incapable d’accéder à ceux des étagères plus hautes.


Il décida de partir, ce lieu lui rappelant bien trop sa vie d’avant. Il fit demi-tour dans une allée et se dirigea vers la sortie. Il avait besoin de s’éloigner au plus vite, les rayonnages se resserrant sur lui, l’enfermant dans une prison qui alimentait peu à peu sa panique.


Puis il la vit. Penchée sur son écran, il la reconnut à cette capuche et cette main gauche meurtrie posée sur le clavier, pratiquement immobile. Les étagères s’éloignèrent de lui et il s’avança.


Leur échange avait été bref. Elle se lamentait sur son roman et n’avait pu voir l’évidence lorsqu’il la lui avait énoncée. La voir aussi surprise et souriante avait quelque peu réchauffé son cœur. Il avait pu lui offrir un petit sourire, encore faible, mais sincère et s’étonna lui-même d’avoir laissé échapper un rire.


Il l’avait ainsi laissé à son écriture, reprenant le chemin de sa chambre, le cœur plus léger. Il monta à son étage et avança dans le couloir, roulant avec plus d’aisance.


— Monsieur Langlait ! Tout va bien ? lui demanda une infirmière blonde.


— Oui, ça va, merci.


Elle lui offrit un sourire tandis qu’il poursuivait sa progression et déverrouilla sa chambre avant d’y pénétrer. Marc s’avança vers son lit et s’y hissa en claudiquant maladroitement sur sa jambe.


Il soupira sous l’effort et tendit la main pour attraper son téléphone et y vit quelques messages de sa femme, indiquant qu’elle serait présente pour son rendez-vous, deux jours plus tard. Il reposa l’appareil sans même se donner la peine de répondre. Qu’il le fasse ou non, cela ne changerait rien.


Il regarda le plafond et sourit en revoyant ce visage abasourdi, si innocent.



Marie était arrivée tôt, ne voulant pas rater cette étape importante dans la guérison de son mari. À peine sorti du réfectoire pour son petit déjeuner, sa femme était arrivée peu de temps après. Elle insista pour l’aider, poussant le fauteuil dans les couloirs.


Le prothésiste leur avait donné rendez-vous en fin de matinée, et le couple attendait dans la salle d’attente. D’autres patients étaient reçus avant eux et lorsqu’ils furent seuls, Marc sentit un sentiment de gêne l’envahir. Depuis quand ne se sentait-il plus à l’aise avec sa femme ? Depuis son accident ? Non. Non, il n’était plus vraiment proche de sa femme depuis déjà des années.


Il lui jeta un regard et la détailla. Vêtue d’une robe moulante et d’une veste longue, elle était l’image de la femme d’affaires stricte et sévère qu'un chignon tiré venait renforcer l’image. Pourtant, il fut un temps où elle était différente, bien plus libre et spontanée. Un temps où ils partageaient les mêmes rêves.


Son cœur se serra. Un temps où ils s’aimaient.


Elle dut sentir son regard car elle tourna la tête et se dessina un sourire doux. Ses yeux montraient une tristesse certaine et ses gestes trahissaient l’angoisse dans laquelle elle vivait.


Le prothésiste arriva et les fit entrer dans son bureau. Derrière lui, l’arrière pièce était un simple cabinet de consultation avec quelques outils et des barres de soutien.


Marc regardait l’entretien passer. L’homme lui parlait et sa femme répondait. Les mots qu’ils échangeaient lui échappaient, son esprit bien trop focalisé sur sa vie qui tombait en lambeaux sous ses yeux sans qu’il ne puisse rien y faire.


On l'installa dans la petite salle et il retira machinalement son pantalon afin de permettre au professionnel d’examiner son moignon. Une fois la peau vérifiée, il vint y placer un manchon en silicone avant d’installer la prothèse.


Marc observait sans réellement voir. Lorsqu’on lui demanda de lever la jambe portant la prothèse, il obéit sans protester, tremblant sous sa faiblesse musculaire. Il fixa la jambe de métal et de plastique sous ses yeux. Il n’y avait plus de vide mais au fond… Au fond, il voulait tout jeter. Il ne voulait rien de tout cela.


— Monsieur Langlait, on va essayer quelques mouvements. Vous allez vous lever.


Il s'exécuta et se mit sur ses deux pieds, tanguant un peu sous la sensation nouvelle.


— Est-ce que vous ressentez des douleurs ?


— Non, rien.


— C’est parfait. On va continuer, alors. Tenez vous bien et essayez de faire un premier pas.


Le spécialiste lui mit un déambulateur dans les mains et Marc l’observa avec ressentiment. S’il était parvenu à, finalement, accepter la présence du fauteuil roulant dans sa vie, cet objet ne lui renvoyait que l'image de son état délabré.


Il réussit à avancer sa nouvelle jambe en la levant et écouta les conseils du prothésiste, bloquant le genoux et essaya d’y mettre un peu de son poids en se soutenant sur le déambulateur.


Un instant, il s’était cru capable de le faire. Il y avait là, un léger espoir de réussite, une petite victoire s’approchant. Mais la réalité le rattrapa : il n’était plus rien qu’un incapable, un infirme. Il chuta lourdement au sol. Marie hoqueta et se précipita sur lui.


— Non ! Casse-toi ! hurla-t-il.


— Marc, j’essaie de t’aider ! répliqua-t-elle, la voix brisée.


— M’aide pas ! Dégage ! Dégage ! répéta-t-il.


— Vous devriez partir, conseilla le prothésiste à Marie.


Elle quitta la pièce, écoutant le médecin, et dès que la porte se ferma sur elle, Marc se laissa aller à son désespoir.


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6 commentaires

Juliette Delh

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Il y a 2 mois

Tellement horrible cette fin de chapitre 😭😭😭

Mad May

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Il y a 3 mois

Le faux espoir ! J'ai passé le chapitre à me demander comment ça allait dégénérer avec sa femme, et ça m'a quand même surprise, chapeau :') même si mon cœur se serre face au désespoir de Marc

Nyh

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Il y a 3 mois

Merci beaucoup ! ^^ J'ai eu le cœur serré en écrivant cette fin ha ha

Oswine

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Il y a 4 mois

Coucou ! Petit passage d'entraide pour t'aider à avancer dans le concours avec tes chapitres ! Je n'ai malheureusement pas le temps de lire, mais j'aide au mieux les autres ! 🥰

Alyssa Well

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Il y a 4 mois

Un petit coucou :D Je suis à jour <3

Sofia77

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Il y a 4 mois

☺️
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