Nyh De maux en mots Chapitre 9 : Volonté (2/2)

Chapitre 9 : Volonté (2/2)

Le lendemain matin, à sept heures, comme chaque jour, elle fut réveillée par Sandrine, l’une des infirmières attitrées à cet étage qui lui déposa son plateau repas. N’ayant pas encore assez d’autonomie, Yarah ne pouvait encore aller seule au réfectoire. Elle se contentait donc de son petit déjeuner habituel dans sa chambre.


Ce mercredi était calme. Elle n’avait qu’un rendez-vous avec une oculiste venue d’un laboratoire reconnu afin de prendre les diverses mesures nécessaires à la fabrication de sa prothèse. C’était une jeune femme charmante et avenante qui n’avait montré aucun signe de dégoût à la vue de son visage lorsqu’elle avait écarté précautionneusement la mèche de cheveux.


Elle avait inspecté la cavité et fait les vérifications d’usage avant de s’atteler au moulage, glissant une pâte durcissante dans le creux de l’orbite. C’était désagréable mais, heureusement, sans douleur.


L’étape qui s’en suivit fut de prendre quelques photos de son œil valide, notant chaque détail, chaque motifs, chaque variations de couleur.


— Tu as un œil magnifique. C’est pas pour me vanter, mais tu verras, tu seras ravie du résultat, lui avait-elle dit, confiante.


Yarah avait simplement sourit. Elle s’était habituée à ce nouvel handicap. Ne voir que d’un œil était, au début, perturbant, mais elle s’y était faite, oubliant presque sa semi-cécité. Ce nouveau rappel, bien que nécessaire, l’avait affecté plus qu’elle ne voulait l’admettre. Sous ce sourire aimable, la tempête d’émotion commençait à se lever et menaçait de faire chavirer le navire de son équilibre intérieur.


Il n’était que treize heures lorsqu’elle eut fini de déjeuner et de recevoir les soins sur ses brûlures. Les massages étaient parfois durs et douloureux, selon l’aide-soignante qui intervenait, mais la crème était un véritable miracle pour les tiraillements et la sécheresse. Là où les greffes avaient été faites, elle pouvait voir les couleurs s'estomper, devenant plus naturelles, plus harmonieuses avec le reste de son corps ; seuls restaient ces contours disgracieux où quelques chéloïdes s’étaient formées.


Elle demanda à l’infirmière en poste, la deuxième, celle dont elle confondait toujours le prénom, si elle pouvait l’emmener à la bibliothèque. Dès qu’elle avait appris l’existence de cet endroit, Yarah avait voulu s’y rendre mais la contrainte permanente d’être alitée l’en avait empêchée. Désormais assise dans un fauteuil, elle se donna pour mission de reprendre l’écriture de son roman dans un cadre plus studieux.


Elle dû descendre au rez-de-chaussée et la femme l’aida, la poussant dans les couloirs et l’accompagnant dans la grande pièce vitrée. Yarah resta béate d’admiration au moment d’y entrer. Petite mais fournie, elle offrait une grande variété d’ouvrages en tout genre au vu des pancartes dressées au bout des étagères. Des tables étaient alignées le long des fenêtres et quelques plantes et tableaux venaient habiller les murs et angles.


Elle remercia Marge… Margaux ? Martha ? Bref, elle la remercia et se battit ensuite avec son sac, cherchant à en sortir son ordinateur portable. Sa main blessée n’avait plus aucune force, mais elle réussit tout de même à caler le sac dans le creux de son coude pour en extirper l’appareil et le poser sur la table.


Elle alluma l’appareil et se redressa en prenant soin de garder sa capuche sur son visage. Patientant devant l’écran de démarrage, son esprit navigua vers le paysage derrière la fenêtre. Le ciel était gris et les arbres plantés le long des bâtiments se ployaient sous la force du vent. Avec une bonne ouïe, on pouvait même percevoir le léger sifflement de l’air cherchant à s’infiltrer dans les failles des joints.


Elle reporta son attention sur l’ordinateur et ouvrit son fichier avant de relire en diagonal les derniers chapitres qu’elle avait écrits. Elle commença à taper la suite avec lenteur, sa main valide couvrant pratiquement tout le clavier tandis que l’autre ne tapait seulement que quelques touches.


Des heures. Elle avait cette impression désagréable d’avoir passé des heures sur son récit, alors qu’à peine une quarantaine de minutes étaient passées depuis le début de sa session d’écriture. L’inspiration ne venait pas. Chaque phrase était écrite deux, trois, quatre fois puis effacée pour recommencer sous un nouvel angle. Elle peinait à trouver les bonnes formulations, les bonnes intentions, les bons mots.


Elle ferma les yeux et pencha la tête en arrière, la reposant sur le bord du fauteuil en soupirant.


— Attendez-vous que l’inspiration vous vienne ? fit une voix grave derrière elle.


Elle sursauta et grimaça sous le geste brusque. Elle tourna la tête et vit un visage familier qui l’observait, tandis qu’il s'approchait d’elle en roulant en silence dans son propre fauteuil.


— Pardon, je ne voulais pas vous faire peur, lui dit-il avec une légère inquiétude.


— Non, je ne m’y attendais pas, c’est tout, lui répondit-elle en passant sa main sur sa nuque pour soulager la douleur.


Elle le vit jeter un coup d'œil à l’écran. La jeune femme remarqua immédiatement qu’il semblait en meilleure forme. Il avait retrouvé quelques couleurs, bien que ses joues gardaient cet aspect creusé et que son visage marqué montraient encore des signes de faiblesses. Ses yeux brillaient désormais d’une lueur plus vivante.


— Vous écrivez ? lui demanda-t-il simplement, curieux.


— Oui. Enfin, j’écris… J’essaie, mais l’inspiration ne vient pas.


Elle lui adressa un sourire qui ne monta pas jusqu’à ses yeux fatigués, triste et démoralisé. Il passa une main dans ses cheveux, dont des mèches tombaient sur son front froncé sous la réflexion.


— Je suppose que ce doit être compliqué de faire face à la page blanche.


— Vous n’avez pas idée !


— Je me mêle peut-être de ce qui ne me regarde pas, commença-t-il doucement, mais êtes-vous obligée d’écrire la suite de ce roman ?


Elle regarda l’écran de son ordinateur : une page à demi vide qu’elle avait déjà effacée de trop nombreuses fois ces dernières dizaines de minutes.


— Si je veux le finir, il faut bien que j’écrive la suite, non ?


— Si vous voulez le finir, oui. Mais si vous êtes bloquée, pourquoi ne pas écrire autre chose ? Un exercice d’écriture ? Un poème ? suggéra-t-il en lui offrant un petit sourire aimable.


Elle le regarda un moment, oubliant qu’en levant ainsi la tête, elle exposait davantage les marques de son visage. Sa bouche entrouverte resta silencieuse, ne sachant que répondre, n’ayant pas même envisagé cette possibilité. Ses yeux le fixaient, grands ouverts, étonnés. Il rit doucement de ce rire grave et vibrant.


— J’ai l’impression que vous n’aviez pas envisagé cette possibilité, ricana-t-il avec gentillesse.


— Et bien… Pas du tout à vrai dire… Merci.


— Pas de quoi. Bonne écriture, Yarah.


Il commença à s’éloigner tandis qu’elle l’appela.


— Marc ?


Il pivota en manœuvrant son fauteuil.


— Oui ?


— À bientôt.


Elle lui sourit et se tourna sur son ordinateur, ouvrant un nouveau fichier vierge.


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4 commentaires

Juliette Delh

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Il y a 2 mois

J'ai envie de les voir échanger plus souvent ^^

Alexandra ROCH

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Il y a 4 mois

💕

Mad May

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Il y a 4 mois

Bientôt, le retour de l'inspiration pour Yarah ? En tout cas, le décor est planté, les personnages se sont rencontrés, il n'y a plus qu'à voir comment ils vont gérer leurs guérisons respectives :)
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