Fyctia
Chapitre 9 : Volonté (1/2)
En seulement quinze jours de soins, de rééducation et de suivi psychologique, elle avait l’impression d’avoir plus évolué qu’en un mois à l’hôpital. Les nombreuses heures qu’elle passait avec le docteur Savidan étaient éprouvantes, tant sur le plan physique qu’émotionnel. Elle en sortait très souvent exténuée, courbaturée et son corps réclamait désespérément un repos total.
Elle travaillait aussi avec une psychologue, une femme courtoise et agréable bien qu’un peu froide lors de leur premier rendez-vous. Yarah n’avait su comment l’aborder et était restée très silencieuse lors de leur rencontre. Mais, au fil de leurs séances, elle avait compris que derrière cette façade se dissimulait une personne observatrice et honnête. Et Yarah préférait entendre ces vérités, bien que dures et parfois brutales que d’être ménagée par de douces paroles. Elle avait déjà craqué à plusieurs reprises face à la professionnelle. Ses doutes, ses peurs la rongeaient et cette femme avait réussi à faire sortir d’elle ses douleurs profondes, à lui faire poser des mots sur les sentiments qu’elle peinait à décrire.
Depuis son arrivée, ses progrès étaient conséquents et elle avait pu se réapproprier son sourire. Mais, plus important encore, elle pouvait enfin quitter son lit. Certes, elle ne parvenait pas encore à marcher seule. Le kinésithérapeute ne voulait pas encore mobiliser ses jambes affaiblies avant la prochaine greffe, souhaitant simplement garder les muscles souples, mais elle pouvait enfin s’asseoir sans que la peau de son dos et de ses fesses ne soient tiraillée. Elle avait ainsi pu redécouvrir la vie assise dans un fauteuil et lorsque ses amis étaient venus lui rendre visite quatre jours auparavant, elle avait pu leur faire cette surprise.
Un nouveau monde s’ouvrait à elle : celui d’être libre de son lit. Ils avaient ainsi pu aller dans la grande salle où se trouvaient des banquettes, des tables et quelques espaces plus intimes. Dans ce vaste hall, de nombreuses familles venaient en visite et se réunissaient ici, profitant de la vue imprenable sur le port à une centaine de mètres au loin. Le défilé permanent des bateaux offrait une distraction plus que bienvenue pour les patients solitaires venant ici se changer les esprits. Lors des beaux jours, lorsque les nuages laissaient place au soleil, le panorama devait être encore plus saisissant.
Tandis que la jeune femme observait tant bien que mal le paysage, sa capuche rabattue sur son visage pour masquer les marques disgracieuses, elle s’imaginait même reprendre ses voyages et notait, sur la liste mentale qu’elle s’était faite, de prendre un jour la mer.
Ainsi, dans cette immense salle d’accueil, Yarah put profiter d’un moment plus ordinaire avec ses amis, comme si rien n’avait changé entre eux. Comme si, elle-même, n’avait pas changé.
Rencontrées au lycée, Roxanne et elle étaient devenues inséparables, presque fusionnelles. Quant à Timéo, son ami d’enfance, toujours présent dans les moments charnières de sa vie, la distance et ses études les forçaient à rester loin l’un de l’autre durant de longues périodes. Mais cela ne rendait leurs retrouvailles que plus intenses et heureuses. Habituellement.
Ils avaient passé la journée entière à parler et Timéo leur raconta les détails de sa thèse traitant de l’impact environnemental des hydroliennes sur les espèces marines des côtes atlantiques. Les deux femmes l’avaient regardé avec un scepticisme évident et il avait ri de leur manque d’intérêt profond pour un sujet pourtant passionnant.
Une fois le soir venu, ils durent quitter le chevet de Yarah, la laissant ainsi seule dans sa petite pièce nouvellement décorée par ses amis de photos et de plantes vertes en plastique. Une petite guirlande lumineuse clignotait le long de la fenêtre et une veilleuse en forme de champignon diffusait une lueur douce depuis la table de chevet.
Que ce soit sa chambre ou la salle d'eau, les miroirs étaient recouverts d’écharpes ou de serviettes. Son reflet, elle ne voulait pas le voir. Elle ne pouvait y faire face. Voir la pitié ou le dégoût dans les yeux des gens qu’elle croisait lui était déjà insupportable. Pourtant, avec ses amis ou les infirmières, elle était l’incarnation de la force et de la ténacité. C’était une battante capable de gravir les plus hauts sommets et d’accepter son sort avec dignité.
Cependant, dès lors qu’elle se retrouvait seule, elle s’effondrait, pleurant le souvenir de son corps autrefois athlétique et séduisant, désormais monstrueux, difforme et écœurant. Elle laissait les larmes noyer son malheur et ses doigts, pris de tics nerveux, parcouraient les cicatrices autour de la peau greffée, cruel rappel de sa nouvelle condition de bête de foire.
Sa vie semblait ne se remplir que de peines et de faux-semblants qui l’isolaient peu à peu malgré elle. Ses amis venaient pourtant lui rendre visite et lui envoyaient, chaque jour, des messages dans leur groupe de discussion, mais cela ne suffisait pas. Elle se sentait terriblement seule et, dans ces moments qui remplissait sa vie, ses pensées venaient graver dans son cœur des mots d’angoisse et de désespoir.
La semaine, lorsqu’elle côtoyait les médecins, elle pouvait essayer d’oublier un peu cette solitude dévorante. Elle était soulagée d’avoir de nombreuses séances de travail mais, au fond d’elle, elle savait qu’il lui faudrait un jour quitter la présence permanente et presque réconfortante de la foule de l'hôpital pour retrouver celle, plus angoissante, de la population du monde extérieur.
En regardant le plafond, Yarah chercha la force de tenir bon. Cela faisait à peine deux semaines qu’elle était ici et, déjà, elle ne se sentait plus le courage de poursuivre ce combat ni celui de faire bonne figure auprès de tous ces gens qui attendaient d’elle force et volonté. Mais au fond, elle n’avait plus ni l’un, ni l’autre. Elle se sentait vide et n’avait de cesse de lutter contre son propre corps qui l’épuisait en permanence, tiraillée par cette douleur supportable mais constante.
Elle ferma les yeux, cherchant toujours la motivation de tenir ne serait-ce qu’une journée de plus. Juste une journée. Demain, elle trouverait à nouveau l’envie de tenir une autre journée. Puis une autre.
À son arrivée, elle avait rencontré de nombreux visages mais un s’imposa à son esprit. Cet homme : Marc. Elle ne savait ce qu’il avait vécu pour perdre sa jambe. Comment pouvait-elle se lamenter sur son sort alors qu’elle était toujours entière, ou presque ? Qu’était un oeil face à une jambe ?
Si lui pouvait vivre, elle aussi. Elle se ferait. Elle serait forte comme tous voulait qu’elle le soit.
7 commentaires
Juliette Delh
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Il y a 2 mois
Nyh
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Il y a 2 mois
Mad May
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Il y a 4 mois
Nyh
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Il y a 4 mois
Sofia77
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Il y a 4 mois