Fyctia
Chapitre 6 : Abandon (2/2)
La route était belle, bien que longiligne et monotone. Ses yeux observaient tous les détails de la nature qu’ils traversaient: des champs où il put voir quelques biches sautiller et des bosquets d’arbres dépouillés de leur feuillage par le froid et de résineux.
Il n’avait jamais pris le temps de visiter sa destination alors qu’il n’habitait qu’à deux heures de route de là. Et pourtant, son désir d’explorer, de voyager était ancré en lui, mais l’appelait pour des espaces plus grands encore qu’une petite ville portuaire.
L’ambulancier avait essayé tant bien que mal de lui faire la conversation mais, face au mur de silence qu’était Marc, il avait rapidement abandonné. Ainsi, pour remplir un peu l’espace sonore et tromper l'ennui, la radio tournait à un volume doux.
Marc ferma les yeux en écoutant les paroles d’une vieille chanson des années soixante dix en quête d’un sommeil qui l’occuperait le temps du trajet. Mais le cahot du véhicule ne semblait pas vouloir lui laisser le moindre répit et, dès que sa conscience commençait à s’estomper, un nid-de-poule ou un dos d’âne venait le secouer.
Kilomètres après kilomètres, le véhicule avançait et se rapprochait inexorablement de la cité côtière normande.
— On arrive bientôt, indiqua poliment l’ambulancier. D’ici un quart d’heure.
— D’accord.
La voiture traversa une longue avenue sans charme, encadrée par les couleurs criardes d’enseignes diverses et variées. Les maisons elles-mêmes étaient touchées par le fléau de la publicité, leurs façades couvertes de panneaux d’affichage inesthétiques.
L’homme roula prudemment, enchaînant lentement les ronds-points et restant un modèle de patience aux feux rouges. Une fois le dernier virage passé, il se gara devant un bâtiment blanc aux contours de fenêtres bleues sur lequel était indiqué en lettres capitales : “Centre de rééducation et de réadaptation fonctionnelles”.
L’ambulancier descendit du véhicule et revint du hall du centre en poussant un fauteuil roulant. Il l’immobilisa en appuyant sur les freins avant d’ouvrir la portière. Avec des gestes malhabiles, il s’extirpa du véhicule, gêné par l’absence de sa jambe et sa faiblesse musculaire provoquée par un mois d’alitement. Avec un effort conséquent, il réussit finalement à s’asseoir en soupirant.
Sa femme arriva juste après eux, ses pas résonnant sur le bitume. Elle salua le conducteur et se pencha rapidement vers Marc, remettant en place son pull et replaçant le plaid sur ses jambes.
— Tu as fait bonne route ? demanda-t-elle.
Il hocha simplement la tête tandis qu’elle soupirait un agacement qu’elle ne dissimulait plus. Elle poussa le fauteuil vers l’entrée du centre et dut y mettre davantage de force pour franchir le seuil des portes automatiques. D’un coup d'œil, elle repéra la salle d’attente et, dans le crissement des roues en caoutchouc sur le carrelage, elle s’y dirigea en levant les yeux face à la foule de patients.
— On va attendre longtemps… fit-elle remarquer à voix basse. Ils ne sont pas fichus de gérer correctement leurs admissions ?
Marc l’ignora et regarda autour de lui. Des gens attendaient en silence, d’autres murmuraient. Il y avait là des vieux et, plus dramatique, des jeunes. Très jeunes.
Leurs regards se croisèrent et son cœur se serra devant le terrible spectacle. Allongée sur un brancard de transport, c’était une jeune femme, devinait-il, dont le visage à demi dissimulé par une capuche et une mèche de cheveux frisés d’un noir d’encre ne parvenait à masquer totalement la peau rougie et marquée par de profondes brûlures. Elle lui sourit étrangement ; seul un côté de son visage répondant à sa volonté.
— Madame Carding ? appela une voix au secrétariat.
— C’est nous ! répondit la jeune femme plus enjouée qui l’accompagnait.
Leurs regards se séparèrent et elle lui adressa un faible signe de tête auquel il voulut répondre. Mais elle était déjà hors de vue lorsqu’il reprit un peu ses esprits.
— Quelle horreur, tu as vu aussi ? questionna Marie.
Il tourna la tête vers elle dans un mouvement raide et fronça les sourcils, le visage interrogatif.
— Cette femme… Elle avait beau le cacher, que c’était affreux ! Elle ne pourra plus jamais se montrer comme ça.
— Elle est une victime. Comme nous tous, déclara-t-il un peu sèchement.
Sa chambre était au premier étage avec vue sur la mer. C’était magnifique, paisible et inspirant mais Marc y était aveugle. Il ne percevait plus que la solitude, le lit médical et l’odeur aseptisée dans les murs qui agressait son nez. Son monde s’était réduit à un abîme d'auto-apitoiement.
Marie déposa une valise dans un coin de la pièce et observa un instant le paysage par-delà les fenêtres.
— Toi qui aime la mer, tu vas te sentir comme chez toi, ici ! s'enthousiasma-t-elle presque gaiement.
Il posa ses mains sur les barres accrochées aux roues de son fauteuil et se dirigea tant bien que mal, forçant pour avancer d’un pauvre mètre vers le lit et, en utilisant la petite télécommande accrochée sur le côté, le baissa avant de s’y hisser. Il entendit sa femme soupirer légèrement, probablement agacée par l’absence de réponses de son époux, et s’approcher de lui. Elle prit soin de déplacer la couverture pour l’aider à se couvrir.
— Je ne vais pas pouvoir venir ici tous les jours comme avant, mais je vais essayer de venir les week-ends entiers, dit-elle.
Il hocha la tête quand elle s’approcha pour l’embrasser. Ses lèvres étaient douces, tendres, chaleureuses mais il ne ressentait rien. Il n’y avait pas de désir et la proximité avec elle commençait lentement mais sûrement à l'oppresser. Elle dû le remarquer et s’éloigna un peu de leur chaste baiser.
— Je vais y aller. On se voit dans trois jours. Tu as tout ce qu’il faut dans ta valise. Si tu as besoin de quoi que ce soit de plus, tu m’envoies un message pour que je le prépare.
Il tenta de lui sourire, le cœur lourd de sentiments confus tandis qu’elle quittait la chambre. Désormais seul avec ses pensées, il attendait simplement. Ses yeux dérivèrent en direction de la mer dont les vagues allaient et venaient au rythme des marées. Et il ne ressentait rien.
Il tourna la tête et s’allongea, observant le plafond d’un blanc crème uniforme, sans personnalité auquel étaient fixés des spots lumineux à la lumière douceâtre. Le visage attristé et marqué de cette jeune femme s’imposa à sa conscience. La vie n’était qu’un ramassis d'injustices, et il ferma les yeux, ses pensées abandonnant toute lutte.
12 commentaires
Juliette Delh
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Il y a 2 mois
labibliothequedeflavie
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Il y a 3 mois