Fyctia
Chapitre 6 : Abandon (1/2)
C’était un trois janvier et il sortait de l'hôpital. Il n’avait pas vraiment suivi le cours des choses, laissant le temps défiler, les infirmières faire leur travail avec sa jambe et ses poumons encore fragiles. Sa femme s’occupait toujours de tout et chaque jour, un peu plus que la veille, et l’assomait de reproches grandissants. Un coup il était son pauvre mari, une semaine plus tard il était un homme égoïste et sans cœur.
Il était resté une semaine de plus, la plaie refusant de cicatriser correctement. Le médecin leur avait expliqué l’importance du moral dans la guérison et dès qu’ils étaient seuls Marie n’avait de cesse d’accuser Marc de tous les maux qu’ils rencontraient. Ce jour-là, elle était partie et, isolé dans ses propres pensées, il n’avait pas remarqué son absence.
Il ne savait plus vraiment depuis combien de jours, combien de semaines, il était enfermé dans l’espace exigu et étouffant de cette chambre. Les murs blancs et bleus se refermaient sur lui et brisaient chaque petit espoir qui parvenaient à faire surface.
Il n’y avait pas d’issue et chaque jour qui passait, son moral était miné par les reproches et les pensées sombres qui s’insinuaient en lui, vicieuses et destructrices.
Il regarda par la fenêtre sans voir. Gris, sombre, froid. L’infirmière entra avec sa bonne humeur dans la pièce en poussant son chariot.
— Bonjour ! Comment allez-vous aujourd’hui ? demanda-t-elle enjouée.
— Comme hier, répondit-il simplement.
— Je vois, aujourd’hui c’est le dernier jour, c’est bien ça ?
Tandis qu’elle lui parlait, elle désinfecta ses petites mains avec le gel hydroalcoolique et commença à déballer le kit de pansements. Méticuleusement, elle déposa dans une assiette métallique de nombreuses compresses qu’elle arrosa généreusement de désinfectant.
— Oui, dit-il simplement d’une voix faible en tirant la couverture pour exposer sa jambe amputée.
Elle sifflota, comme à l'accoutumée, et retira les anciens pansements qu’elle jeta dans la petite poubelle de son chariot puis observa avec attention la cicatrice légèrement boursouflée.
— Et bien, c’est plus joli qu’avant-hier ! Parfait ! Allez, on nettoie tout ça et ensuite, zou ! Direction le centre !
Marc devait reconnaître les efforts qu’elle mettait pour lui redonner le sourire mais il n’y arrivait plus. Sa bouche refusait d’afficher les petits éclats de joie qui parsemaient ses journées. Elle chantonna une musique de Noël tout en désinfectant la jambe puis y déposa un nouveau pansement qu’elle dû découper pour le fixer correctement.
— Ce n’est plus Noël, fit-il remarquer.
— C’est vrai ! Vous auriez une musique à me conseiller à la place ? Je n’ai que des comptines autrement ! Vous savez ce que c’est… quand on a des enfants et tout !
— Non, je ne sais pas, dit-il froidement en tournant la tête vers l’extérieur.
La femme dû comprendre qu’il s’agissait d’un sujet sensible. Sans plus un mot, elle termina de fixer le bandage par une multitude de sparadraps dans un silence respectueux.
— Voilà, un pansement tout beau, tout neuf, s’exclama-t-elle. Je vous souhaite un bon rétablissement, monsieur Langlait.
Il la regarda et voulut lui sourire, mais il n’y eut aucun mouvement, aucune réponse.
— Merci, répondit-il simplement d’une voix basse et morose.
La femme reposa la couverture sur la jambe avec douceur, comme une caresse.
— Je suis sûr que l’air marin vous fera le plus grand bien. Vous ne l’avez pas demandé ici, mais vraiment, n’hésitez pas à parler à un professionnel, d’accord ?
Sa voix était douce, posée et réconfortante. Il l’observa, ses sourcils relevés et hocha la tête, un nœud dans sa gorge l’empêchant de répondre.
La porte s’ouvrit à neuf heures précise et une belle femme parfaitement apprêtée entra. Marie sourit à l’infirmière, aimable et polie, comme à son habitude.
— Bonjour. Est-il prêt à partir ? demanda-t-elle.
— Oui, il ne manque que l’autorisation du médecin.
La petite femme se tourna vers Marc.
— Rétablissez-vous. C’est le principal, lui dit-elle avant de finalement repartir avec son chariot. Madame Langlait, bonne journée.
Marie lui sourit aimablement et reporta ensuite son attention sur l’homme. Elle s’assit au bord du lit et croisa les jambes, récupérant au passage le dossier de sortie et en feuilletait les documents.
— Dès que le médecin sera passé, le taxi te récupèrera pour aller au centre.
Marc ne répondit pas, se contentant de la regarder tourner les pages. Sa robe courte mettait en valeur ses jambes galbées et il préféra détourner le regard que d’avouer se sentir en colère devant l’injustice de la vie.
On frappa à la porte et un homme d’âge mûr entra avec une infirmière. Marc ne l’avait rencontré qu’une fois : ce jour après l’opération lorsqu’il lui avait expliqué les détails de son intervention.
— Bonjour monsieur Langlait. Madame Langlait, ajouta-t-il en voyant la femme. J’ai eu les derniers résultats.
Il prit le dossier accroché au bout du lit, dont les dernières valeurs avaient été indiquées vingt minutes auparavant.
— Tout est stable, je n’ai aucune contre-indication à votre sortie de notre établissement. Vous verrez les détails de votre séjour directement au centre de rééducation, dit-il simplement d’une voix neutre et automatique. Je vous souhaite un prompt rétablissement.
Le chirurgien quitta la salle sans un mot de plus, poursuivant la tournée de ses patients qu’il ne voyait que rarement et dont il ne connaissait que le nom sur des dossiers. L'infirmière resta un instant afin d’aider Marc à s’installer dans le fauteuil roulant puis elle le salua une dernière fois avant de partir.
— Voilà. Une bonne chose de faite, fit Marie en s’installant derrière lui tandis qu’elle le poussait hors de la chambre.
Il voyait défiler sous ses yeux éteints des couloirs moroses où d’autres patients déambulaient, des infirmières les guidant dans leur marche parfois difficile. Ce ne fut qu’au moment où ils sortirent de l’enceinte de l'hôpital, bravant le froid du début d’année qu’il redressa la tête, se remémorant une escapade en montagne dans les Alpes, il y a deux ans de cela. Son cœur s’allégea un peu à ce souvenir mais il était toujours enserré dans ce carcan de désespoir.
Sa femme était silencieuse, à son plus grand soulagement, et lorsque le taxi ambulancier arriva, il monta péniblement avec l’aide d’une infirmière, levant le moignon de sa jambe comme si son pied absent pouvait entraver son installation et il grimaça devant l’absurdité de la situation.
Tout en fermant la portière, Marc regarda par la fenêtre et lorsque Marie lui fit un signe, il appuya sur le bouton afin de baisser la vitre.
— Je te rejoins là-bas. Si tu as le moindre problème sur le chemin, tu m’envoies un message, d’accord ?
Il hocha la tête en silence et remonta la vitre, l’isolant de la température glaciaire. Le conducteur démarra le véhicule qui s’éloigna lentement du parvis de l’établissement.
Il laissa ainsi l’hôpital derrière lui sans même un regard en arrière.
7 commentaires
Juliette Delh
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Il y a 2 mois
Zatiak
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Il y a 4 mois
maddyyds
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Il y a 4 mois