Fyctia
Chapitre 4 : Vie brisée (2/2)
Les jours passaient et comme il le craignait, se ressemblaient. Réveillé par une infirmière différente chaque matin, il les regardait, l'esprit absent, prendre ses constantes et administrer les antibiotiques en raison d’une suspicion d’infection. C'était deux jours après le début de son hospitalisation qu'il avait commencé à ressentir une gêne qui s'était aggravée dans les heures qui suivirent, provoquant une détresse respiratoire foudroyante qui obligea les infirmières à le placer sous respirateur en urgence.
Il était sorti des soins intensifs trois jours plus tard, les traitements et oxygénation efficaces l’ayant aisément remis d’aplomb.
Aujourd'hui, comme chaque matin, il se réveillait juste avant la venue de l’infirmière. Comme un rituel, elle entra, le salua, prit ses constantes et le félicita de sa guérison. Il ne se reconnaissait plus en se voyant si amer devant ces gens qui ne cherchaient qu’à l’aider. Comment pouvaient-ils penser qu'il vivrait à nouveau comme avant ? Il n'était plus rien.
Sa femme lui rendait visite chaque jour et c'était le même scénario. Elle parlait de son travail usant, de la quantité de recherches qu’elle faisait, des changements que son handicap allait apporter à sa vie.
— Marie… tu n’es pas obligée de faire ça.
— De quoi ? Te soutenir ? C’est aussi mon travail. On est ensemble là-dedans, lui répondit-elle calmement.
Il soupira.
— Tu as du travail, tu devrais rentrer à la maison.
— Et te laisser seul ici ? Non. Tant pis si je prends du retard.
— Marie… Ne perds pas ton temps ici, ça ne changera rien.
Il était fatigué et n'avait pas l’envie, pas la force, de supporter les jérémiades de sa femme.
— Je ne perds pas mon temps à rester avec mon mari ! S’exclama-t-elle.
— Si ! s’emporta-t-il en haussant le ton. Tu restes là, avec un homme brisé, inutile et incapable !
Il frappa le matelas du poing en serrant les dents.
Elle le fixa durement.
— Tout ce que je vois, commença-t-elle en le regardant avec colère, c’est un homme qui ne cherche même pas à se soigner. Je reste ta femme, Marc. Même si ça veut dire que je dois te forcer à guérir. Si tu ne veux pas de mon aide, alors débrouille-toi pour aller mieux.
Elle ramassa ses affaires et quitta la chambre en trombe, le laissant seul avec ses pensées et le son permanent de la télévision en fond. Il la coupa au milieu d’une publicité, désormais isolé dans le silence angoissant et vide, à l’image de sa vie.
Une semaine de plus a passé et Marie s’occupait de tous les documents administratifs, tandis que Marc laissait simplement le temps filer. Elle voulait se rendre utile, se sentir indispensable, alors il la laissait faire ; lui, n’avait plus l’envie.
Il voyait chaque jour les infirmières retirer le pansement de son moignon et c’était un rappel permanent à sa souffrance et la perte de sa vie et de son autonomie. Sa femme le voyait toujours comme l’homme qu’il était. Mais lui, n’était plus que l’ombre de lui-même.
Il se réveillait parfois la nuit en hurlant de douleur. Dans ces moments il serrait dans ses mains la couverture couvrant l’absence de sa jambe tandis que les infirmières se précipitaient pour lui injecter une nouvelle dose d’antalgiques ou d'opioïdes. Il se calmait souvent mais parfois la crise durait plus longtemps et la fatigue, combinée à l’intensité de la douleur, finissaient pas avoir raison de lui et il perdait connaissance.
À l’image de son humeur, le temps extérieur se couvrait de nuages gris et, pour le soir de Noël, leur soirée à tous les deux, les météorologues annonçaient une tempête.
En cette journée qu’il avait prévue, le mois dernier, magnifique et romantique, elle le poussait dans son fauteuil, son manteau enfilé et un plaid épais posé sur ses jambes asymétriques. La cour intérieure de l'hôpital n’était pas spécialement belle mais elle offrait tout de même un certain calme avec ses bancs et ses quelques massifs floraux et arbres nus.
Le fauteuil roulait laborieusement sur les dalles inégales mais l’air frais fit remonter les souvenirs de ses balades en montagne. Il ferma les yeux et se retrouva seul sur un chemin escarpé. Il voyait presque le dénivelé à côté de lui et le vent qui s’engouffrait dans sa veste lui tirait des frissons. Les oiseaux volaient haut dans le ciel et il observa le vol d’un rapace en pleine chasse.
Le son strident d’une ambulance résonnant sur les murs du bâtiment le tira de sa rêverie et serra les dents. Il ne monterait plus jamais ces montagnes. À la place, il peinait à rouler sur des dalles de pierres ridiculement mal agencées.
— Marc, ça va ? Tu veux rentrer ? demanda Marie comme si elle l’écoutait vraiment.
Il hocha la tête, refusant de parler de peur de finir de se briser. Elle le poussa dans l’enceinte de l’hôpital et ils traversèrent les couloirs, croisant d’autres patients et visiteurs qui le regardaient parfois avec pitié. Il y avait là de nombreuses victimes de l’attentat mais il était aveugle au monde autour de lui.
Marie ouvrit la porte et Marc réussit, seul, à rouler jusqu’à son lit. Il se hissa et grimaça sous l’effort en pleurant intérieurement sa faiblesse nouvelle. Le soleil commençait déjà à tomber et il alluma la veilleuse sur la table de nuit tandis que Marie retira son manteau et l’accrocha sur le patère avant de s’asseoir à côté de lui. Elle avait profité de l’occasion pour enfiler la magnifique robe bleue nuit qu’il avait repéré le mois dernier dans une ville qu’il avait visitée.
Mais en la voyant ainsi, il se sentait misérable. Dans le reflet du vitrage, il ne pouvait que contempler l’image d’un homme mal rasé aux cheveux plats et aux yeux fatigués et vides que des cernes noirs soulignaient.
— Juste pour ce soir, je vais pouvoir rester plus longtemps, dit-elle en sortant de son sac des documents.
Il soupira.
— Marc. Tu n’as pas dit un mot depuis que je suis arrivée. Non en fait, ça fait presque trois jours que je ne t’ai même pas entendu, fit-elle avec un peu plus de reproches.
Il s’affaissa dans l’oreiller en fixant la fenêtre et ces yeux inconnus qui l’observaient.
— J’en ai marre, tu sais ? Je fais tout ce que je peux alors que je travaille aussi à côté… Qu’est-ce que je dois faire, hein ? Dis-moi.
Il ferma les yeux. Il était fatigué.
— J’ai l’impression de ne pas être suffisante pour toi, en ce moment. Pourtant je pense que je fais bien les choses ! Tu m’écoutes ?
Il ouvrit les yeux en tournant la tête pour la regarder en silence.
— Tu ne veux toujours pas parler ? Je ne vaux pas cette peine peut-être ?
Il ne répondit toujours pas, les laissant tous deux dans un silence gêné. Finalement, Marie enfila son manteau et regarda Marc avec tristesse.
— Je ne sais pas quoi faire de plus. Je fais tout, Marc. Mais si de ton côté, tu ne fais aucun effort, je ne peux pas vivre pour nous deux. Les papiers du centre sont juste là.
Elle quitta la chambre tandis qu’il fixait la liasse de documents.
C’était le premier Noël qu’il passait seul.
13 commentaires
Juliette Delh
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Il y a 2 mois
labibliothequedeflavie
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Il y a 3 mois
Ella R Hart
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Il y a 3 mois
Mad May
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Nyh
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clairedust
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Nyh
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Samantha Beltrami
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Il y a 4 mois