Fyctia
Chapitre 4 : Vie brisée (1/2)
Il était allongé. De toute façon, il ne pouvait qu’être allongé. Où irait-il avec une seule jambe?
Bloqué au fond de son lit, dans cette chambre générique aux murs blancs et bleus ciel, il passait le temps en regardant la télévision. Il se désolait des émissions et films prônant, selon lui, la culture du vide chez la jeunesse. Il se sentait presque vieux con, alors qu’il n’était pas si âgé : quarante et un ans, ce n’était pas vieux ! Mais cette journée était longue et n’était que la première d’une longue, très longue, série de jours qui se ressembleraient et se succèderaient.
Il était là et sa femme assise dans le fauteuil attendait avec lui en silence. Elle était arrivée dans la chambre avec une attitude qui trahissait parfaitement son angoisse. D’un côté, elle l’avait insulté et d’un autre lui avait fait comprendre à quel point elle s’était sentie terrifiée. Il lui avait sourit en cherchant à se rappeler la dernière fois qu’ils avaient eu un échange avec des émotions aussi fortes. probablement cette fois, il y a dix ans de ça où il avait émis la possibilité d’avoir un enfant…
Il la regardait en attendant le médecin en espérant se focaliser suffisamment sur elle pour ne pas avoir à admettre qu’il était véritablement au fond d’un lit d'hôpital. Elle croisait les jambes qu’elle ne cessait d’agiter. Il fronça les sourcils, quelque peu agacé sans savoir d’où ce ressentiment venait.
— Ne stresse pas autant, lui dit-il simplement.
— Tu veux que j’arrête de stresser ? T’es pas sérieux là ?
— S’il te plaît…
Elle secoua la tête en levant les yeux au ciel et il sut qu’il ne servait à rien de discuter avec elle, comme d’habitude. Le soulagement allégea sa conscience lorsque la porte s’ouvrit à ce moment précis, comme si la providence était sur eux. Le médecin entra avec une liasse de papier dans les mains et, à sa suite, entrèrent deux internes armés de leurs calepins de notes, avides d’apprendre. Marc aurait pu sourire de les voir si enthousiastes s’il n’avait pas le poids manquant de sa jambe sur la conscience.
— Bonjour, comment vous sentez-vous ? demanda l’homme en blouse dont les lunettes tombaient sur le nez.
— À votre avis ? répliqua-t-il amèrement.
— Marc… gronda sa femme.
— C’est normal de se sentir ainsi, rassurez-vous. L’opération s’est très bien passée et il n’y a pas eu de complications. Cependant, en raison de l’importance de l’amputation, vous allez devoir rester hospitalisé pendant au moins trois semaines, annonça le chirurgien d’une voix posée et automatisée. Vous avez respiré beaucoup de poussières, le risque que vous développiez une infection n’est pas négligeable, vous allez donc être sous surveillance durant les prochains jours.
Marc fixait le lit. Cette zone vide, terriblement asymétrique dans son corps.
— Combien de temps ? demanda-t-il, lointain.
— Trois semaines ici, ensuite vous serez transféré dans un centre de rééducation.
Il resta silencieux, voyant sa vie courir loin de lui, l’abandonnant là, dans un lit, fixe et immobile. Adieu les grands espaces, les sorties en mer, les randonnées, l’exploration, les voyages…
— Pourra-t-il remarcher un jour ? demanda sa femme dont le ton constamment sec contrastait habituellement avec la voix plus chaleureuse de Marc.
— Oui, bien sûr. Avec une prothèse et de la rééducation, il pourra marcher et retrouver presque toute sa mobilité.
— Presque… répéta-t-il.
— Oui. On pourrait aussi envisager une prothèse électronique qui vous permettrait de retrouver une marche naturelle.
Il soupira et tourna la tête vers la fenêtre, s’isolant dans ses pensées. Il avait besoin de solitude. Il ne voulait plus voir la moindre personne. Il était brisé, sa vie aussi.
— Sortez, s’il vous plaît, dit-il faiblement.
Sa voix était enrouée sous la sensation d’une boule serrant sa gorge. Le médecin déposa les documents qu’il avait sur la petite table à roulette au bout du lit et quitta la pièce. Marc n’écouta pas un mot, son esprit bien trop encombré de sensations et d’émotions autodestructrices.
Sa femme s’approcha de lui et posa une main sur son épaule. Il la repoussa.
— Marc. J’essaie de t’aider, là. Je sais que c’est dur mais tu dois faire des efforts.
— Des efforts ? Tu crois que je n’en fais pas, là ? Marie… On m’a coupé la jambe !
Il tira la couverture, dévoilant un épais pansement couvert de bandages. Sa jambe gauche était meurtrie, une attelle venait immobiliser sa cheville et quelques pansements venaient couvrir des entailles qui avaient été refermées par quelques points de suture mais elle était toujours là.
Il sentit la douleur pulser dans ses membres tandis que son cœur battait plus fortement dans sa poitrine et il se doutait que sa tension montait sous l’énervement.
— Ne joue pas à ça, Marc. Je sais que c’est dramatique, mais tu ne peux pas te laisser aller comme ça. On a une vie ensemble, tu te souviens ? Tu n’es pas seul dans cette affaire.
— Ensemble, hein ?
Il rit amèrement en soufflant du nez et détourna le regard. Il ne voulait plus la voir.
— Sort d’ici, s’il te plaît. J’ai besoin d’être seul.
— Pardon ?
— J’ai besoin d’être un peu seul, s’il te plaît.
— Et mes besoins, hein ? s’emporta-t-elle, sa voix montant dans les aigus. J’étais morte d'inquiétude pour toi et là, je dois rentrer et te laisser seul ? Et qui pense à ce que, moi, je peux ressentir ? Tu n’es qu’un égoïste !
Elle attrapa son sac et son manteau avant de quitter la chambre en claquant la porte. De loin, il entendit une voix féminine faire une remontrance à sa femme et il ferma les yeux en soupirant avant de remettre la couverture sur lui, cachant sa jambe manquante.
Le ciel était bleu, magnifique, grand, infini. Et lui était enfermé dans une petite chambre aux murs blancs et bleus ciel.
21 commentaires
Juliette Delh
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Il y a 2 mois
labibliothequedeflavie
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Il y a 3 mois
Mad May
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Il y a 4 mois
illusiona
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Il y a 5 mois