Nyh De maux en mots Chapitre 3 : Âme brisée (2/2)

Chapitre 3 : Âme brisée (2/2)

Une semaine était passée et son ennui était terrible. Pour son plus grand soulagement, elle avait payé le service de télévision et fixait l’écran toute la journée ; c’était long, inintéressant, et cela lui rappelait pourquoi elle ne la regardait pas chez elle, mais au moins, ça la tenait occupée.


Ses amis lui avaient rendu visite au cours de cette semaine de tortures où les douleurs venaient par vagues destructrices qui inondaient l’entièreté de son système nerveux et jouaient avec sa patience. Aucun d’eux n'avait commenté les bandages et pansements, prenant simplement de ses nouvelles et restant avec elle afin de lui faire oublier les horreurs qu’elle avait vécues. Elle leur en était reconnaissante mais, amèrement et injustement, elle leur en voulait parfois de ne pas lui dire les choses. Ils devaient forcément être choqués ? Ils avaient des remarques à lui faire, non ?


La semaine était donc passée lentement, ponctuée des visites des infirmières, des médecins et ses amis ; sa famille prévoyait de lui rendre visite la semaine suivante.


Les spécialistes étaient optimistes et elle avait accepté une nouvelle intervention, la première d’une longue série. Ils lui avait parlé d’une dizaine de greffes réparties sur les mois à venir mais elle n’aurait pas besoin de rester à l'hôpital ; sa sortie prévue pour la fin du mois de janvier.


Elle attendait donc, patiente, écrivant sur son ordinateur d’une main malhabile, la suite de son roman dont elle peinait à retrouver l’inspiration.



Après deux semaines allongée dans ce lit confortable mais qu’elle commençait à ne plus vouloir voir, elle s’impatientait de, simplement, prendre l’air et s’aérer. Les infirmières étaient toujours amicales et adorables avec elle mais Yarah se sentait malgré tout comme prisonnière de ces murs froids et aseptisés. Elle se sentait déjà chanceuse d’avoir échappé à la chambre stérile !


Ainsi, lorsque le kinésithérapeuthe vint la voir pour l’emmener en rééducation dans une pièce nouvelle, remplie d’objets en tout genre, de barres et de dispositifs de rééducation, elle sourit comme elle le put. Un miroir se trouvait au fond de la pièce et elle voyait, depuis l’entrée, son visage bandé et elle détourna les yeux.


Elle essaya, contre l’avis du praticien, de marcher quelques pas qui lui semblaient une torture. Les muscles de sa jambe brûlée avaient été atteints par les flammes et à chaque fois que son pied touchait le sol, une douleur aiguë pulsait dans tout son corps et elle sentait presque la peau craquer en dépit des pansements gras et hydratant. Cet échec lui minait le moral et la vision de son visage défiguré caché sous les pansements la rendait aigrie.


Le spécialiste choisit donc de commencer par des étirements simples et doux auxquels elle ne participait que passivement.


Et plus le temps passait, plus elle se sentait déprimée. Sa vie d’avant, celle où elle travaillait en tant que serveuse dans un petit café de quartier, celle où elle écrivait son roman assise au bord d’un lac, celle où elle se promenait avec ses amis en ville, celle où elle flirtait avec des garçons en boîte de nuit… Tout ça était fini.


Évidemment qu’elle avait fait des recherches sur les grands brûlés et qu’elle avait vu les séquelles physiques. Elle allait être comme tous ces gens : un monstre difforme que tout le monde allait éviter comme la peste.



C’est au matin de son vingt-troisième jour d’hospitalisation que les infirmières retirèrent l’ensemble des bandages et pansements, ne laissant que ceux de sa poitrine où une nouvelle greffe avait été réalisée deux jours plus tôt. Son visage et son bras avaient déjà subi une intervention réussie.


Elle avait froid, regrettant tout d’un coup la chaleur de la protection des pansements. Et la vue de son corps la fit trembler d'une panique contenue.


— Ça va aller, Yarah, d’accord ? la rassura l’infirmière dont elle ignorait le nom.


La jeune femme hoqueta et sentit les larmes couler en silence.


La petite femme vint vers son visage et, avec des gestes doux et précautionneux, retira lentement les bandages compressifs et les tulles gras qu’elle jeta directement dans la petite poubelle de son chariot de soin.


L’air frais vint calmer ses pleurs et elle se sentit comme libérée d’un poids. Elle sourit à cette sensation de retrouver une partie d’elle mais le besoin de savoir était là, toujours, depuis le premier jour.


— Je veux voir… dit-elle d’une voix tremblante et anxieuse dont les syllabes peinaient à s’enchaîner.


Elle vit les deux femmes se regarder et l’un d’elle quitta la pièce avant de revenir quelques minutes plus tard avec un petit miroir. Durant son absence, sa collègue avait changé le pansement sur son œil énucléé.


Elle leva son bras valide où il ne restait que quelques petites marques de bleus sans importance et tint le miroir tremblant devant elle.


La moitié de son visage était inconnu. Elle ne reconnaissait pas ces plis, ni la forme de cette lèvre plus fine aux contours incertains. Elle ne pleura pas, s’étonnant presque tant elle se savait émotive. Mais, peut-être, est-ce parce qu’elle ne réalisait pas que cette femme marquée n’était autre qu’elle-même.


— Comment te sens-tu ? demanda la petite infirmière brune.


Yarah ne répondit pas et lâcha simplement le miroir en détournant le regard. Sa main valide se leva et palpa la partie gauche de son crâne où devait se trouver une masse de cheveux frisés et n’y trouva qu’un désert de peau bosselée sous ses doigts. Sous les regards désolés des infirmières, elle rabattit une large mèche sur le côté nu et se regarda à nouveau.


C’était moche, artificiel et elle avait cette impression à la fois drôle et triste d’être comme ces vieux hommes qui refusent d’accepter leur calvitie en la couvrant d’une mèche plus longue.


Lorsque les deux femmes quittèrent sa chambre en la laissant seule, elle fixait le plafond blanc, notant quelques tâches jaunâtres qui avaient été longuement frottées. Elle se sentait vide et triste.


Mais, en ce moment précis, elle se sentait surtout très seule.


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19 commentaires

Juliette Delh

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Il y a 2 mois

Je me sens tellement mal pour elle... C'est très prenant !

labibliothequedeflavie

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Il y a 3 mois

C'est très touchant. J'ai hâte de voir comment elle va se reconstruire.

Mad May

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Il y a 4 mois

C'est absolument déchirant mais ça tape juste. Aussi bien pour les amis que pour la découverte de son crâne...

maddyyds

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Il y a 5 mois

je te donne un ptit coup de pouce ❤️

Pjustine

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Il y a 5 mois

Très bon concours à toi ! 🤗
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