Nyh De maux en mots Chapitre 2 : Le vide (1/2)

Chapitre 2 : Le vide (1/2)

Il ouvrit le premier carton d’un coup de cutter habile en prenant soin de ne pas abîmer les livres juste en dessous qui n’auraient, peut-être, pas été protégés. Chaque précieux ouvrage était manipulé avec diligence et délicatesse et, à peine déballés, Marc les triait déjà sur des chariots afin de les ranger dans les différents rayonnages. De temps à autre, il prenait le temps de regarder plus en détail les livres lorsque la couverture ou le nom de l’auteur l'intéressaient. Il n’était pas un passionné de lecture mais, parfois, il aimait prendre un temps et se poser en se laissant porter par la prose d’un auteur qui trouvait les mots pour parler à son âme d’artiste.


— Excusez-moi ? Je cherche ce livre, demanda un client en présentant l’écran de son téléphone.


Il regarda les détails de l’ouvrage et sourit poliment à l’homme face à lui avant de s’avancer dans un rayon quelques mètres plus loin.


— Il doit être par ici… marmonna-t-il en se grattant son début de barbe tout en se glissant entre deux étagères dont l’allée était encombrée de chariots plein à craquer.


Il tira à lui le marchepied et réussit à en extirper le fameux livre avant de descendre. Au moment où il posa le pied à terre, un bruit sourd se fit entendre, accompagné d’une faible secousse. Il se tourna pour en découvrir la provenance tandis qu’un deuxième grondement suivit. Le sol commença à trembler et son esprit pragmatique traita l’information, pensant à un séisme.


— Sous les tables ! Tout le monde sous les tables ! s’exclama-t-il en poussant le client vers le meuble le plus proche aussi rapidement que possible.


Une fois certain que toutes les personnes autour de lui étaient en sécurité, il chercha un abri et se précipita dans l’embrasure d’une porte, se rappelant des consignes de prévention qu’il avait apprises des années auparavant lors d’un voyage à Tokyo.


Ce qui lui avait paru durer une éternité ne s’était finalement déroulé qu’en quelques secondes. Il lui avait fallu cinq secondes pour pousser le client sous la table et crier une consigne de sécurité. Quatre secondes supplémentaires pour trouver la porte la plus proche et s’y positionner.


Et il ne restait que douze secondes avant que l’immeuble ne s’écroule sur eux.


Il hurla lorsque le pan de mur l’écrasa, le bruit des gravats s'effondrant autour et sur lui envahissant l’espace et couvrant tous les autres cris, pleurs et exclamations de surprise et de peur.


Lorsque tous bruits et mouvements cessèrent, il haleta, la gorge brûlante et les yeux fermés. Il toussa et sentit un poids douloureux lui serrer la poitrine et le reste du corps. Il pleura, les larmes évacuant miraculeusement la fine poussière de ses yeux meurtris. Autour de lui, tout était noir et un bruit constant aigu se faisait entendre au loin qu’il devinait être des acouphènes provoqué par le vacarme de l’effondrement.


— Quelq… commença-t-il en s'étouffant.


Le poids sur son torse et la simple idée d’essayer de bouger le terrifiait. La douleur, sourde et profonde, était telle, qu’il était persuadé d’avoir au moins quelques côtes fêlées. D’un côté, il était soulagé d’être vivant mais de l’autre, la panique grandit lorsqu’il se rendit compte qu’en dehors de son torse, il ne sentait rien. Puisant dans le peu de courage et de volonté qu’il avait, il chercha à se libérer mais ne put que gémir de douleur, alors il s’immobilisa et prit de petites inspirations, cherchant par là même à calmer son cœur affolé. Il ferma les yeux et posa sa tête contre le sol brisé. Elle glissa un peu et il réalisa avec horreur que ce qui semblait être mouillé sous lui était du sang. Son sang.


Il essaya tant bien que mal de garder son calme, se sachant immobilisé pour une durée indéterminée et il pria d’être sauvé rapidement.


Ce n’était plus qu’un tas de gravats qui l’entourait. Sa vie quotidienne n’existait plus, son train-train quotidien bouleversé par ce qu’il pensait initialement être un séisme, et qui, comprit-il avec le temps, n’en était pas un.


Dans le bourdonnement permanent et le bruit de débris qui continuaient de glisser par endroit, il parvint à entendre des gémissements et des pleurs étouffés. Il voulait rassurer ces gens mais le simple fait de respirer était pratiquement insupportable et la quantité de poussière qu’il avalait lui asséchait la bouche. Il essaya de réguler le débit d’air qu’il inhalait pour trouver un équilibre qui lui permettrait, peut-être, de tenir le marathon qu’était sa survie actuelle.


Méthodiquement, il essaya de tuer le temps pour lutter contre la douleur permanente qui se disputait à la sensation désagréable de ne plus sentir une partie de son propre corps. Il repensait à son dernier voyage en mer, tentant vainement d’imaginer les embruns sur son visage, l’odeur de l’iode et le goût du sel sur ses lèvres. Sa femme n’avait pas voulu l’accompagner en raison d’un mal de mer intense, et cela avait quelque peu gâcher son voyage qu’il aurait voulu partager avec elle, mais la vision de l’étendue bleutée, infinie sous ses yeux, des vagues sous la coque du bateau et du vol des oiseaux marins étaient indescriptibles.


Il sourit au souvenir et sentit le poids sur son torse s'alourdir, inéluctablement, quand bien même il luttait pour garder ses pensées loin de ce qu’il vivait. Il se retenait de paniquer, sachant que cela était inutile dans sa situation. Rien ne pouvait l’aider. Mais plus le temps passait, plus il se sentait anxieux et incertain quant à sa survie.


Il ouvrit les yeux et la vue de la pénombre le fit soupirer. Il ragea intérieurement d’avoir rompu son équilibre respiratoire précaire pour ne rien voir. Ou presque. Une lueur incertaine était visible au loin mais si faible qu’il se demandait même s’il n'hallucinait pas. Il ferma les yeux et se concentra ; l’espoir pouvait être si cruel parfois…


Cependant, en voyant le temps défiler, lent, tortueux, impitoyable, sa panique commença à empiéter sur sa raison.


Il allait mourir ici. Sous les décombres. Peut-être qu’on ne le retrouverait que d’ici des heures ou des jours. Ou peut-être serait-il à tout jamais enfoui dans les gravats, et la pensée d’être déjà dans sa tombe lui serra le cœur et ses tripes. Il essaya de retrouver son calme mais son rythme cardiaque s’emballa et sa respiration rapide le poussa à consommer plus d’oxygène.


Finalement, il sombra dans l’inconscience, vaincu par l'asphyxie et la douleur.


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18 commentaires

Juliette Delh

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Il y a 3 mois

Toujours aussi intense... Comme tu ne mentionnes pas le nom de tes personnages en début de chapitre, ça pourrait être bien d'indiquer le prénom de la personne dont c'est le point de vue en début de chapitre : ça permettrait ainsi à ton.ta lecteur.ice de comprendre tout de suite de qui il s'agit et ainsi, de fluidifier sa lecture :-) Je suis aussi un peu perturbée par la temporalité, car les deux premiers chapitres se passent après le prologue. Peut-être que tu pourrais ajouter une mention en italique en début de chapitre pour indiquer la temporalité ? Du genre "quelques heures plus tôt" par exemple :-)

Nyh

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Il y a 3 mois

Oui, plus loin dans l'histoire, on m'a parlé de la temporalité, et je pense qu'à la prochaine réécriture, je commencerai les chapitres avec la date voir date et heure ! :)

Juliette Delh

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Il y a 3 mois

Ajouter l'heure ça peut être pas mal oui ! Car c'est une donnée qui permet de se plonger encore davantage dans la temporalité des accidents ^^

mima77

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Il y a 3 mois

Ce chapitre est vraiment intense, j'ai eu l'impression d'être à sa place,

Mad May

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Il y a 4 mois

Same here ! Et chapeau, parce qu'on ne se doute pas que c'est une victime de l'attentat au début. ça ajoute encore du seul et du suspens :)

Emmy Jolly

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Il y a 5 mois

On découvre un nouveau protagoniste de l'attentat. C'est toujours aussi prenant, il tente de se maintenir éveillé allant jusqu'à se souvenir de choses agréables mais est-ce suffisant? Tu emploies les bon mots, c'est top!

Nyh

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Il y a 5 mois

Merci beaucoup ! C'est très gentil !
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