Fyctia

Bip. Bip. Bip.

Un son périodique lui parvenait. C’était à la fois rassurant de part sa régularité mais c’était aussi un retour brutal à la réalité. Elle pencha la tête et ce simple mouvement lui donna la nausée. Le monde tournait alors que ses yeux fermés ne discernaient pas la moindre lueur.

Elle voulut se redresser mais, bien qu’elle fut pleine de volonté, son corps engourdi ne semblait pas vouloir répondre à ses commandes.

— Ne bougez pas, fit une voix quelque part autour d’elle.

Elle gémit un petit bruit rauque et douloureux que sa gorge peinait à exprimer. Tout son visage la faisait souffrir alors qu’elle se sentait si éloignée de tout ce qui l’entourait et nageait dans une espèce de mélasse pâteuse à l’image de sa bouche.

Elle sentit qu’une personne aux mains froides, ou chaudes, elle ne distinguait pas vraiment la température, lui prit le bras et passa ce qui semblait être le brassard du tensiomètre avant d’activer la machine qui le gonfla. Même cette sensation habituellement désagréable n’était plus qu’un détail sans importance dans la vague conscience de son esprit.

— Voilà, c’est très bien. Continuez à bien respirer comme vous le faites et vous pourrez aller dans votre chambre.

Elle hocha la tête. Du moins, elle pensait l’avoir fait mais ses mouvements ne voulaient pas vraiment répondre à ses désirs.

— Ne forcez pas, d’accord ? Je reviens vous voir plus tard, reposez-vous.

La personne s’éloigna en silence et elle reporta son attention sur le signal sonore des machines et des ventilations alentours.

Plus le temps passait et plus elle réussissait à comprendre ce qui l’entourait, mais ses yeux refusaient toujours de lui obéir, qu’importe les efforts qu’elle y mettait. Au moins, elle respirait, n’avait pas de poussière partout et l’odeur aseptisée de l'hôpital était presque réconfortante.

Des allées et venues se faisaient entendre parmi les infirmiers et médecins et elle commençait enfin à relier les informations. Elle n’était pas la seule victime et beaucoup d’autres avaient été envoyés dans cet établissement et ceux alentour à entendre les soignants.

Elle réussit à tourner la tête et, malgré son esprit flou et en équilibre sur le fil d’une fragile conscience, elle réussit à ouvrir les yeux. Ce n’était rien dans sa vie, un acte naturel et instinctif, et pourtant, en ce moment précis, il s’agissait de l’une de ses plus belles victoires. Elle aurait pu hurler sa joie et chanter de bonheur, mais la seule idée de sourire lui arrachait déjà des douleurs en dépit de la dose d’analgésiques qui inondaient ses sens.

La lumière tamisée de la salle de réveil était déjà douloureusement vive et elle dû prendre un moment pour s’habituer à l’éclairage. Sa vision lui semblait étrange, comme si l’un de ses yeux était fermé mais elle ne parvenait pas à comprendre ou ressentir ce qui lui était arrivé, alors elle laissa cette pensée de côté, se concentrant davantage sur les mouvements autour d’elle. Une infirmière s’approcha d’elle et se pencha pour la regarder avec un sourire compatissant.

— Bonjour Yarah, comment vous sentez-vous ?

Elle peina à ouvrir la bouche pour parler mais sa voix ne semblait pas vouloir se faire entendre, alors elle ferma lentement les yeux et les ouvrit à nouveau, quelque peu fière de réitérer son exploit.

— Très bien, ne forcez pas. Vos constantes sont stables, on va vous amener dans votre chambre où le médecin viendra vous voir, d’accord ?

Elle acquiesça en clignant lentement des yeux. La fatigue était terrible et le sommeil l’appelait tel un chant de sirènes mais elle tint bon. Et au moment où les bras de Morphée terminaient de l’envelopper, son brancard se mit en branle et elle reprit brusquement conscience, observant d’un œil le paysage qui défilait devant elle.

— On y va, tenez-vous bien ! fit une voix grave aux intonations fatiguées.

Yarah voulut tourner sa tête pour voir plus autour ainsi que l’homme qui poussait son lit mais son corps lui hurlait de rester immobile. Elle gémit un peu de douleur.

— Dès que vous serez installée dans votre chambre, on vous mettra une pompe à morphine pour vous aider à gérer la douleur.

Elle ferma les yeux en espérant qu’il voit et comprenne sa réponse.

La couverture était remontée si haut sur son corps qu’elle ne voyait pas ce qui entravait à ce point ses mouvements, et ne pouvait que supposer qu’il s’agissait du contrecoup des blessures dues aux débris qui avaient comprimé son corps.

Ils arrivèrent devant les ascenseurs après avoir déambulé dans les larges couloirs aux teintes froides et sans personnalités, où seuls régnaient les sons des roues en caoutchouc des brancards crissant sur le sol et celui des crocs en plastique s'agrippant au linoléum.

— Attention, dit-il pour lui-même en allongeant la dernière syllabe.

Il poussa le lit dans le large espace prévu et appuya sur un bouton avant que les portes ne se referment derrière lui, tandis qu’il sifflait doucement une mélodie qu’elle ne reconnaissait pas. La lumière était légèrement plus vive que dans les couloirs qu’ils avaient traversé et les spots lui faisaient mal aux yeux, ou du moins, à son œil ouvert, ainsi elle tourna la tête pour fuir l’agression lumineuse qui irritait son nerf optique sensible et vit un visage sur le mur. Allongée dans un lit, la tête posée sur un oreiller blanc, sa face était couverte de bandages et de pansements et un œil était totalement recouvert. Là où devait se trouver des cheveux, il n’y avait plus qu’une moitié encore présente et dans un état désastreux.

Elle respira plus rapidement.

C’était son visage.