Fyctia
L'épreuve des peurs
Après trois heures de recherche intensive dans ma mémoire, j'ai réussi à écarter différentes parties de ma réelle personnalité. Le médium me tapote délicatement l'épaule pour "me réveiller". Mon premier réflexe est de descendre mon regard sur ma poitrine pour vérifier le nombre d'heures qui me reste. 36:57:06. J'ai bientôt passé ma première demi-journée ici. Je n'ai pas beaucoup de temps à perdre et pour une fois, c'est la réalité. Je n'ai pas essayé de me le cacher à nouveau, j'ai toujours eu peur du temps. On ne sait jamais ce qui peut arriver et je veux être sûre d'avoir terminé tous mes objectifs avant de ne plus être dans la capacité de le faire. Or, avec cet événement qui n'était absolument pas prévu, je risque de mourir sans savoir qui je suis réellement et sans avoir pu dire une dernière fois aux gens que j'aime que je les aime. Un amoncellement de regrets déferle dans ma tête. Plus que juste un oubli d'avoir donné à manger au chat ou le fait de ne pas avoir mangé le dernier cordon bleu du frigo désormais périmé. Je dois m'en sortir pour faire tout ce qui manque à ma liste.
Après toutes ces années où je m'étais plongée dans les études, j'ai perdu le sens des autres plaisirs de la vie. Je ne me suis pas gardée un peu de temps pour moi, je n'ai pas profité et je me sens horrible de dire ça alors que je suis encore jeune. Pourtant, la réalité fait bien plus de mal que ce que je pensais : j'ai perdu des moments précieux en ne me concentrant pas sur ce qui était réellement important. Avec du recul, aujourd'hui, je suis sûre que j'aurais pu concilier études, amusements et passions. L'adolescence n'arrive qu'une seule fois et je l'ai gaspillée sans m'en rendre compte. Je suis une personne qui a conscience du temps. Ce qui est fait, est fait. Maintenant, il faut regarder devant soi et tenter de ne pas faire les mêmes erreurs.
— Il m'est très intéressant de t'écouter philosopher dans ton crâne, mais je crains que tu sois pressée par le temps. Tu es encore bien loin du compte et de la découverte totale de ton moi. Il ne faut surtout pas que tu te maudisses pour le passé, tu ne peux plus rien faire pour changer ça. Concentre-toi sur le moment présent, intervient-il.
— Que dois-je faire désormais ? Si les souvenirs ne suffisent plus, je ne serais sûrement plus capable de faire quoi que ce soit d'autre. Je n'ai vraiment aucune idée de la façon que je pourrais utiliser pour me comprendre. Il y a probablement une infinité de choses qui ne se remarque pas facilement et je doute qu'en 37 heures, je puisse me connaître.
— Ne pars pas défaitiste, c'est un côté qui ne t'appartiens pas.
Je suis surprise, en sait-il plus qu'il ne souhaite me faire croire ? S'il sait celle que je suis vraiment, il devrait m'aider davantage.
— Bien. Je suis motivée. Quelle est la prochaine étape ?
— Comprendre ton rapport avec l'amour.
— Je ne vois pas où est le problème.
— Tu suis en effet certains points de ce que tu penses de l'amour mais quelques fois, tu réagis totalement à l'inverse de ce que tu es par peur de ne pas être comme les autres le voudraient.
— Je sais que j'ai déjà eu des différends avec des personnes qui me sont chères à cause de ça... Mais ce dont je suis sûre, c'est que j'aime tout le monde, je veux aider et je veux faire de la Terre, un lieu paisible et paradisiaque pour exterminer les inégalités sociales.
— C'est bien pour ça que ce lieu existe. Nédusie est le reflet de tes pensées, de tes aspirations, de tes projets et tout ce que tu vois ici, c'est ce que ta vraie toi visualise.
L'antiquaire me fait signe de me relever et de le suivre. Nous sortons de son magasin et nous nous posons un peu plus loin sur la place centrale.
— Ici, je veux que tu trouves tes réponses sur ce qui est faux chez toi. Si tu imagines quelque chose qui ne fait pas partie intégrante de toi, elle ne concrétisera pas. Alors en cas de doute, tu sais comment vérifier.
Il quitte l'endroit et me laisse seule. Je ferme les yeux et tentent d'imaginer mes peurs. Je suppose que je dois faire une différence entre mes peurs réelles et les peurs que je me donne. Je me concentre et cherche ce qui m'effraie le plus. Comme si les images ne suffisaient pas, j'entends des sons qui ne me plaisent guère. J'ouvre les yeux et découvre avec horreur que mes pires cauchemars sont devenus réalité. Alors qu'à ma droite, un perroquet coloré avec un cache-œil noir et un jeune homme que je ne connais que très s'élancent vers moi, à gauche, ce sont deux jumeaux et un homme qui s'approchent à tout vitesse. En face, une cathédrale est apparue et son clocher tombe alors qu'un épais brouillard s'étend sur la place. Je me retourne pour m'échapper, et malgré la visibilité réduite, je peux voir tous mes amis. Je m'approche d'eux pour leur demander de s'enfuir et de ne pas rester là, mais ils me snobent en répétant inlassablement qu'ils ne m'ont jamais aimée. Les voix s'entremêlent dans ma tête. Les sons sont insupportables. Les quatre hommes sont arrivés à mon niveau, le perroquet me lance des bouchons de champagne et mes amis s'éloignent en répétant toujours cette même phrase. Je me protège la tête de mes bras alors que l'un d'entre eux saisit mon bras.
Ma colère fulmine, je hais que l'on me touche. Les trois autres font de même. Chacun de mes membres se trouve tirés. Les larmes montent. Pas pour la douleur, mais parce que cela fait remonter bien trop de démons. Les yeux face aux cieux de Nédusie, je trempe mes lèvres dans le brouillard. Je ne peux plus entendre toutes ces voix, sentir leurs mains sur moi. Le clocher de la cathédrale tombe toujours, comme un film mis au ralenti. Mon meilleur ami s'avance vers moi et sourit de la façon la plus démoniaque que j'ai jamais vu avant de me bloquer toute respiration en me bouchant le nez et la bouche de sa main. J'ai beau tenter de m'enfuir, je n'y arrive pas. Toutes les images me reviennent, je ressens absolument chaque geste comme dans mes cauchemars, comme dans mes souvenirs. Je ferme les yeux, hurlant de douleur psychologique. Je cherche une échappatoire, un moyen de me sortir de tout ça. Je repense au médium, et à ce qu'il m'a dit. En tournant ma tête à ma droite, je reconnais la silhouette qui s'éloigne davantage, elle n'a jamais été proche de moi physiquement et pourtant, il est vrai, j'ai toujours eu peur qu'elle s'en aille. Cette personne m'a toujours fait un bien fou et la voir s'en aller si loin sans pouvoir la retenir me brûle la poitrine.
Dans un élan de sentiments forts incontrôlés, mes pensées disjonctent. Mon corps tombe lourdement sur le sol. Tout ce qui se trouvait autour de moi a disparu en un clin d’œil. Le brouillard s'est dissipé et j'entends à nouveau les enfants jouer à l'extérieur. Je me relève, ne comprenant rien. Le médium revient vers moi et me sourit.
— Tu sembles avoir trouvé ce que tu voulais.
— Je... Je crois que j'ai compris quelque chose. Mes peurs reflètent simplement ce que j'ai vécu ou ce que je ne veux pas que ça arrive...
4 commentaires