Fyctia
2.2 - Alicia
À peine installé derrière le volant, Ezra lance une playlist sur son téléphone. Les enceintes de la voiture se mettent aussitôt à cracher du Imagine Dragons et je me demande à quel point il a dénaturé sa caisse. Il a dû installer un kit Bluetooth car d’après ce que je peux voir, il n’y a aucune commande à portée de main pour le volume. Une radio cassette, un tableau de bord épuré, le fameux « go baby go » caractéristique de la Shelby GT500 sur le pommeau de vitesse… Tout paraît d’époque, même si je sais que ce n’est pas le cas.
Je ne m’y connais pas vraiment en voitures, mais j’étais fascinée par la passion d’Ezra, autrefois. Il a passé des vacances entières dessus avec son grand-père. De nombreux week-end aussi. Et le reste de son temps, il le consacrait à Jake. Et moi.
Je profite qu’il soit concentré sur la conduite pour l’observer discrètement. Son pouce tapote avec nervosité le volant, sa mâchoire est contractée et je m’aperçois que tout son corps est tendu. Ma présence le dérange. Il ne voulait de toute évidence pas de moi dans ses pattes et je suis sûre que cette situation le fait encore plus chier que moi. Manque de bol, nous allons tous les deux devoir faire avec.
Se sentant sûrement observé, Ezra me jette un coup d’œil et je me détourne aussi sec. Pas besoin qu’il se fasse de films. Il m’a bien fait comprendre, il y a des années, qu’il ne voulait plus rien avoir à faire avec moi. J’ai encore du mal à réaliser que je vais vivre sous le même toit que lui. Malgré tout, je suis obligée d’admettre qu’il s’agit de la meilleure solution. Mes parents ont déjà dû jouer de toutes leurs relations pour me faire accepter dans la même université que mon frère. Même si j’avais des amis pour me soutenir sur mon ancien campus, j’ai conscience que j’ai besoin de me rapprocher de mon jumeau. Il va se montrer chiant et surprotecteur, mais ça, je peux gérer. Ce que je subissais depuis quelques mois… Moins.
Après de longues minutes durant lesquelles je regarde le paysage défiler, la musique s’arrête brusquement, m’arrachant à mes pensées.
— On arrive, m’informe-t-il.
Son ton n’est ni sec ni chaleureux. Un chauffeur de taxi m’aurait parlé de la même manière. Au fond, ça me fait un peu mal au cœur. Je sens les cicatrices tirer, mais décide de les ignorer. S’il veut me traiter comme une étrangère, grand bien lui fasse.
Il se gare sur un parking privé et je m’apprête à ouvrir la portière lorsqu’une main chaude se pose sur mon bras. Un courant électrique remonte aussitôt le long de celui-ci, se propage, explose dans ma poitrine. Je me dégage et coule un regard noir vers Ezra.
— Je suis désolé, Alicia.
Ma mâchoire s’en décroche et je reste bouche-bée, comme un abruti de poisson rouge collé à sa vitre. Ses excuses semblent sincères, même si elles ont l’air de lui coûter. Un tic nerveux fait trembler les muscles de sa joue et ses yeux brillent d’une intensité particulière.
— À quel sujet ?
Je m’étonne d’avoir réussi à poser cette question sans rien laisser paraître.
— Tu sais très bien à quel sujet. Je n’ai jamais voulu te faire de mal, mais… C’est compliqué.
— Compliqué ?
Je lâche un rire jaune.
— Ce que tu as fait n’est pas « compliqué ». C’est même tout l’inverse. Et tu sais quoi ? J’en ai rien à foutre. De l’eau a coulé sous les ponts.
— Tu m’en veux, pourtant, remarque-t-il.
Son regard ne me quitte pas et je suis ravie qu’il ne puisse pas entendre les battements frénétiques de mon cœur.
— Ouais, mais pas pour ça.
— Pour quoi, alors ? demande-t-il avec plus de douceur.
Je m’arrache au magnétisme qu’il exerce sur moi, tourne la tête et me mets à observer un chat dans la rue, un peu plus loin.
— Je te prenais pour mon ami. Tu as tout foutu en l’air.
Cet aveu m’arrache une côte et je réalise que cette blessure n’est pas encore totalement cicatrisée.
— Je…
— Si tu dis encore que tu es désolé, je t’en colle une.
— Ce n’est pas ce que j’allais dire, rétorque-t-il, agacé.
— Quoi, alors ?
Il soupire à nouveau. Comme il reste silencieux, je me risque à lui jeter un coup d’œil. Ses doigts serrent le volant au point d’en faire blanchir leurs jointures.
— J’étais ton ami. Et tu étais la mienne. Putain Alicia, tu étais bien plus que ça ! Jake et toi… Vous étiez ma famille !
Je déglutis. Pendant longtemps, nous étions inséparables, tous les trois. Ça m’a manqué à l’instant où ça a pris fin et c’est toujours le cas, aussi débile que ce soit.
— Alors pourquoi…
— Parce que j’étais trop con ! Parce que je n’aurais jamais dû te toucher comme je l’ai fait. Parce que Jake pèterait un câble s’il l’apprenait. Parce que ça me rendait malade de le trahir ! J’ai préféré m’éloigner de toi plutôt que de TOUT foutre en l’air !
Il glisse une main dans ses cheveux, les ébouriffant un peu plus au passage. Il tergiverse et je me tais, ne sachant pas quoi penser de cette confidence.
— J’aimerais qu’on reparte sur de bonnes bases, c’est jouable ou pas ? demande-t-il enfin.
J’étudie sa requête durant quelques secondes. Je n’ai pas envie qu’on se saute à la gorge chaque fois qu’on se verra, ce qui sera fréquent, de toute évidence. D’un autre côté, je n’ai toujours pas digéré la manière dont les choses ont tourné entre nous. Guerre ou paix ? Je ne me sens la force d’affronter aucun des deux.
— On verra, lâché-je finalement en actionnant la poignée.
Je sors de la voiture, suivie d’Ezra qui me rejoint pour sortir mes affaires du coffre. Il me conduit ensuite en silence jusqu’à l’immeuble que mon frère et lui habitent. Haut de trois étages, je remarque vite qu’il n’y a qu’un seul appartement par palier.
Celui qu’ils occupent est situé au troisième. Ezra ouvre la porte pour moi et la tient malgré les valises et sacs qu’il porte. L’entrée donne sur un vaste salon aux murs de brique et aux grandes fenêtres. Un canapé et deux fauteuils prennent un maximum de place devant une table basse, tandis qu’un écran de taille respectable trône en face. Plusieurs consoles de jeu sont posées sur le meuble télé et lorsque je vois les manettes parfaitement alignées, je reconnais l’empreinte de mon frangin. Il est aussi maniaque que je peux être bordélique, ce qui promet de grands moments.
Le coin cuisine est quant à lui équipé d’un retour qui fait office de bar et là encore, tout est à sa place. On s’engouffre ensuite dans un petit couloir et la voix d’Ezra s’élève devant moi.
— Au fond c’est ma piaule. À gauche celle de Jake, à droite la salle de bain. Ici, c’est ta chambre.
Il pousse le battant d’une porte laissée entrouverte, dépose mes valises au sol et se tourne vers moi.
— Si tu as besoin de quelque chose, fais signe.
Il quitte les lieux sans attendre et je me retrouve seule dans cette pièce dépouillée. Il va vraiment falloir que je m’occupe de la déco, parce que pour l’instant, cet endroit est aussi accueillant qu’une cellule de prison.
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A l'Encre de mon Sang
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Jess Swann
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