Fyctia
3 - Alicia
Je ne reste pas longtemps enfermée dans cette chambre sans âme. Celle-ci dispose d’un grand lit sur lequel mon frère a eu l’amabilité de poser des draps, de deux tables de chevet et d’une armoire. C’est dans cette dernière que j’ai vidé l’intégralité du contenu de mes valises, à l’exception de quelques bricoles que je laisse sur le matelas en attendant de leur trouver une place. Je vais avoir besoin d’un bureau pour étudier tranquillement, d’étagères et, dans l’idéal, d’un pouf pour me poser durant mes longues sessions de lecture, ainsi qu’un tapis. Des luminaires ne seraient pas de trop non plus, d’ailleurs. Comme la pièce est assez grande, je pense pouvoir me créer un cocon sympa. Les murs sont blancs, mais ça me va. Je n’aurai qu’à y accrocher quelques cadres art déco pour donner un peu de peps à tout ça.
Satisfaite de mes idées, je file dans la salle de bain. Mon frère (parce que ce n’est pas le genre d’Ezra) utilise un nombre incalculable de flacons, que ce soit pour ses cheveux, son visage ou même son corps, mais je parviens à me faire un peu de place. Je me marre en disposant mes produits d’hygiène féminine dans le placard et pose mes accessoires de coiffure bien en évidence. Cet appart’ pue la testostérone. Il est temps d’y mettre des éléments plus délicats, et si en plus ça fait criser mes nouveaux coloc’, ça n’en sera que plus amusant.
Quand je ressors, je constate qu’Ezra est posé dans le canap’, en train de jouer à FIFA. Si mon frère n’a jamais eu une grande passion pour ce sport, le football fait partie intégrante de ma vie. J’y joue depuis gamine, et pas seulement sur un écran. Je faisais même partie de l’équipe féminine de mon ancienne fac, du moins jusqu’à ce que je me blesse. Lorsque les médecins m’ont donné le feu vert pour reprendre l’entraînement, c’est le reste de ma vie qui est partie en sucette. Je ne perds toutefois pas espoir. Le sport universitaire est de haut niveau et je vais avoir besoin de me remettre en forme, mais si j’ai accepté de rejoindre le campus de mon jumeau, c’est aussi parce qu’ils ont une bonne équipe.
Cependant, là où beaucoup rêvent de devenir la nouvelle Megan Rapinoe, moi je joue pour m’amuser. Je n’ai aucune intention de faire carrière. Je veux juste profiter du peu de temps qu’il me reste pour évoluer dans un contexte sérieux et participer à des compétitions d’envergure. Au terme de mes quatre années de fac, soit je passe pro, soit je passe à autre chose. Dans mon cas, la décision est prise.
Alors que je comptais sortir faire des courses, je reste captivée par la partie d’Ezra. Vu la réactivité de l’IA, il ne joue pas en mode amateur. Malgré tout, il mène. Il doit être super bon pour parvenir à conserver une telle domination.
Intéressée, je m’approche pour mieux voir. Ouais, il n’est vraiment pas mauvais.
— Qu’est-ce que tu fais ? demandé-je à Ezra.
— Je tricote.
— Oh super ! Tu pourras me faire une écharpe ? Il paraît qu’il va bientôt cailler dans le coin.
Concentré, il ne me répond pas tout de suite. Ses doigts volent sur les touches et gâchettes de la manette tandis qu’il dribble un joueur adverse avec habilité. Il fonce ensuite en direction des cages et je me laisse tomber à ses côtés. Sans grande surprise, il marque et gagne quelques secondes plus tard. Ses traits se détendent aussitôt et alors qu’un sourire s’épanouit sur ses lèvres, je ressens à nouveau cet étrange magnétisme. Celui qui me rend fébrile. Celui que je n’ai jamais éprouvé de la sorte avec quiconque. Pas même Sam, mon ex.
Deux billes bleues se tournent vers moi et je sens mon abruti de cœur accélérer. Je me suis volontairement installée très proche d’Ezra, pour le déranger durant sa partie, mais je regrette à présent mon choix. À en juger son regard qui se fait plus intense, lui aussi doit être affecté d’une manière ou d’une autre par cette soudaine proximité.
Je m’écarte sans attendre et me détourne, à la recherche d’un truc à dire. N’importe quoi.
— Ça a l’air compliqué, lâché-je finalement en désignant la manette.
De qui je me moque ? Je suis imbattable à ce jeu. La prestation d’Ezra était plus que correcte, mais je suis sûre que je lui mettrais la misère en un contre un. Ce qui me donne une idée pour le faire chier. Nous avons tous les deux la compétition dans le sang et, même s’il n’a jamais été du genre à me sous-estimer contrairement à d’autres, je pourrais bien l’avoir sur ce coup-là.
— Tu ne joues plus ?
Ah merde, c’est vrai qu’on passait des heures à jouer ensemble, autrefois. J’oublie qu’il me connaît mieux que je ne le voudrais, même si je ne regrette aucun moment que nous avons pu passer l’un avec l’autre dans l’enfance. Jake, Ezra et moi étions surnommés les trois mousquetaires par ma meilleure amie de l’époque, ce n’est pas pour rien.
— Je joue surtout à Candy Crush, maintenant.
Ce bobard lui arrache une grimace et j’avoue avoir moi-même envie de vomir à l’idée de passer mon temps sur cette merde. Je suppose qu’il en faut pour tous les goûts.
— Tu veux… Non. Tu ne mérites même pas de toucher une manette après cet aveu.
Je lâche un rire aussi sincère qu’involontaire, avant de me rappeler à qui je parle.
— Quoi ? T’allais me proposer de me montrer les bases ? Tu ne veux pas m’apprendre la règle du hors-jeu pendant qu’on y est ?
— Eh bien… Tu restes une fille alors… taquine-t-il, le regard malicieux.
Je lui envoie un coup de coude dans le flanc et il éclate de rire.
— Quoi ? C’est dans vos gênes de ne rien capter à cette règle ! insiste-t-il.
Je sais qu’il plaisante. Ezra n’a pas une once de misogynie, ni de machisme, mais encore une fois, il me connaît. Il faut croire que je n’ai pas tant changé, car je réagis toujours au quart de tour.
— Tu veux parier ?
— À quel sujet ? demande-t-il.
— Sur ma victoire à ton jeu de merde.
Que j’adore, soit dit en passant. Mais il n’a pas besoin de le savoir.
— Oh je vois. Tu t’imagines que parce que je me suis excusé, ça veut dire que je suis rongé par la culpabilité au point de te laisser gagner ?
Je souris.
— Non, il faudrait avoir un cœur pour être rongé par la culpabilité. Je n’attends aucun traitement de faveur.
Il hausse les épaules, indifférent. Il semble flairer le piège, mais la tentation d’un affrontement à l’ancienne est trop forte. Plus jeunes, tous les coups étaient permis et nos compétitions étaient épiques. Même moi, j’ai envie de remettre ça.
— Ok. Quels sont les enjeux ?
Heureuse et excitée comme une puce sous amphétamine, je sautille sur place dans le canapé.
— On laissera l’appli’ « Dare » en décider. Tu connais ? réponds-je.
— Vaguement entendu parler… Mais ok. Prend une manette, princesse. Et fais gaffe à ta manucure.
Je lève mon majeur dans sa direction à l’instant où mon frère entre dans l’appartement.
— On dirait que j’arrive au bon moment !
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A l'Encre de mon Sang
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Jess Swann
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Nelyne
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sharplyobjective
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VirgileD
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Charlie Rune
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Il y a 3 ans