Fyctia
- Chapitre 15 -
Renvoyer Aden au manoir me coûta plus d’énergie que je n’aurais crue. Il me restait à peine de quoi rester humaine, soit une dizaine de minutes de répit. J’étais vraiment dans de beaux draps.
Il était hors de question que je reste cacher au Butler. La sensation d’être observée était de plus en plus forte, les fêtards risquaient de débarquer tôt ou tard et je n’avais pas spécialement envie de faire découvrir une nouvelle race à la congrégation de Westwood.
Hâtivement, je me pressais de récupérer mes affaires civiles. Pour éviter qu’on ne me les vole, Godrik avait eu la bonne idée de laisser nos vêtements dans le bureau de son frère. J’avais une chance sur deux pour que la pièce soit fermée, mais vue les circonstances, aucun des deux Bort m’en voudrait si je cassais la poignée.
Je venais d’arriver devant la porte en bois brut quand un frisson me traversa le corps.
Il y avait quelqu’un derrière moi, j’en étais persuadée. Doucement, je me retournais. Pour éviter d’attirer l’attention, je n’avais pas allumé les lumières.
Grossière erreur, car j’étais incapable de dire si j’étais suivie ou si c’était mon imagination qui me jouait des tours. J’avais beau plisser les yeux et rester attentive.
Je ne percevais rien et pourtant, la méchante impression d’être observée restait présente.
Mes dernières brides de magie étaient en train de se consumer, mes oreilles me brûlaient atrocement et je les sentais d’agrandir petit à petit. Je devais rapidement me changer et trouver un moyen pour retrouver le manoir sans être vue.
Sans un bruit, je broyais le mécanisme de la serrure et pénétrais dans le bureau sur la pointe des pieds.
C’était l’unique pièce du bar complétement dépourvue de fenêtre. La décoration était à la fois chic et vieillotte. Elle collait parfaitement avec le maître des lieux. En faisant extrêmement attention de ne rien faire tomber, j’allumais la petite lampe de bureau et quittais mon costume d’époque.
En moins d’une minute, je m’étais délestée d’environ sept kilos de tissus et mon corps tout entier me remercier. Seul Apas ne semblait pas heureux et s’engouffra dans ma poche de jean.
Une fois rhabillée avec les vêtements de la bonne époque, je cherchais du regard quelques choses à mettre autour de ma tête.
En cinq siècles sur terre, j’étais devenue une professionnelle du turban ou du couvre-chef positionnés de telle manière qu’il était impossible de voir mes hélix. C’était un affront à mes ancêtres, il n’y avait pas plus vaniteux qu’un elenwë et un elfe, mais quand on était en cavale, c’était une question de vie ou de mort.
Après avoir balayé la pièce du regard, mes yeux s’immobilisèrent sur une cravate abandonnée sur une pile de carton. L’orange du tissu était tellement de mauvais goût qu’elle ne pouvait pas appartenir à Nicolae. Sans me faire prier, je me dépêchais de l’attraper et entrepris de faire une coiffure avec. D’une main experte, j’enroulais ma longue tignasse autour de la cravate et attachais cette dernière au sommet de mon crâne. La masse de cheveux cachait mes oreilles bien trop grandes et le tissu noué de cette façon me donnait des airs d’Hippie. Avec cette dégaine, personne ne serait capable de savoir que je n’étais pas humaine.
J’étais fin prête à sortir et essayer de retrouver mon chemin dans les bois. Sans être vue, je sortis du Butler et m’éloignais le plus possible de la fête. Quand je fus assez loin des regards indiscrets, je plongeais ma main dans ma poche de pantalon et sortie Apas.
L’esprit siffla de mécontentement. Malheureusement pour lui, c’était le seul à pouvoir m’aider. La lueur verdâtre de son corps était assez forte pour que je puisse voir à un mètre et contrairement à moi, les créatures sylvestres voyaient très bien dans le noir.
- Guide-moi, jusqu’au manoir, lui demandais-je doucement.
Dans un grognement, Apas s’envola dans les airs et n’attendit pas que je le suive. Le vilain me força à lui courir après.
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Quarante minutes plus tard, dégoulinante de sueur et recouverte de boue, je franchissais enfin le seuil du manoir. Courir dans le noir était une véritable épreuve pour moi, j’avais eu un mal fou à suivre Apas et je m’étais retrouvée plus d’une fois par terre à cause des racines des arbres. J’étais d’une humeur massacrante et visiblement, je n’étais pas la seule.
À peine avais-je mis un pied dans le hall que je me retrouvais épinglée au mur par une force invisible. Incapable de riposter et complétement à bout de forces, je me laissais faire et prier silencieusement pour que l’interrogatoire soit réalisé par Nicolae.
- Tu en as mis du temps, grogna Nicolae en sortant de nulle part.
Le jeune homme s’était changé. Il avait abandonné ses vêtements luxueux pour un ensemble noir extrêmement moulant. Il n’y avait pas de place pour l’imagination et comme son frère, c’était un très bel homme.
- M’immobiliser ne sert à rien, répondis-je avec un sourire provocateur. Je ne suis pas ici pour me battre, mais pour discuter.
Une lueur étrange traversa les pupilles émeraude de mon hôte. Son visage était complétement fermé, il était en colère et il y avait de quoi. Mais j’avais tout autant le droit d’être en colère.
- Tu resteras immobiliser tant que tu n’auras pas répondu à cette question : qui es-tu ?
Mes entraves invisibles se resserrèrent un peu plus autour de mes poignets et mes chevilles. La pression douloureuse m’arracha une grimace. Il avait énormément de chance que je n’ai pas assez de magie, sinon il serait déjà à ma place.
- Aerin Weya , Aranel Elerrína*, soufflais-je avant d’ajouter : et toi, Nicolae Bort. Qui es-tu ?
Je vis le visage du jeune homme blanchir et se décomposer. Comme son frère, il comprenait le quenya et savait de ce fait que je ne pouvais pas mentir.
- C’est impossible, s’écria-t-il. Le peuple des elenwen n’existe plus depuis des siècles !
Ses mots me pincèrent le cœur. Une vague de tristesse m’envahit et les émotions que je gardais cacher en moi depuis si longtemps émergèrent.
- Tu as vu les marques dans mon dos ? M’énervais-je. Il y a des siècles de ça, on m’a arraché les ailes ! Sans l’aider des Akins, je serais morte.
Ma colère était tellement puissante, que je sentis une vague d’énergie irradiée dans mon corps. Les murs se mirent à craquer et une drôle de sensation s’empara de moi. Je venais de me libérer d’un poids et étrangement, ça ne me calma pas.
- Je fuis comme un coupable depuis, criais-je si fort que ma voix raisonna dans tout le manoir. Détache-moi et je te montrerais ce qu’une héritière elenwë fait à un sbire du roi maudit !
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Aranel Elerrína* : princesse couronnée des étoiles
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