Fyctia
Timidité
James racle soudainement la gorge et se redresse, les yeux à nouveau rivés vers le lac, les lèvres pincées et les épaules crispées. Bredouille face à mes espoirs, le cœur battant douloureusement dans ma poitrine et la gorge nouée, j’humecte mes lèvres et pousse un long soupir de déception tout en collant mon dos contre le dossier du banc. Je garde ensuite mon attention sur mon masque dont les perles dorées reflètent une lumière jaune. L’enlever c’est comme révéler une partie de son intimité, en cette soirée, car c’est révéler tout son regard, toute la tendresse que l’on peut dissimuler derrière un masque.
- Je t’avoue que t’avoir vu embrasser un autre homme m’a dérouté, avoue-t-il d’une voix voilée.
Je tourne ma tête vers la sienne et constate qu’il est nerveux. Ses mains ne cessent de se tripoter, il humecte souvent ses lèvres et son regard ignore le mien. Que lui arrive-t-il ? Pourquoi tant de tensions semblent le ronger ?
- Pourquoi ça t’a dérouté ? m’intrigué-je.
Son attention se tourne vers moi. Mon cœur rate un battement lorsque nos regards se croisent à nouveau ; nous nous observons pourtant souvent droit dans les yeux, mais là, parmi la pénombre de la nuit, une lumière jaillit de son regard, des étincelles tendres et bienveillantes émanent une douceur qui caresse mon cœur. Je sens une pulsion électrique traverser mon échine et répandre en mon corps un frémissement savoureux.
Il humecte ses lèvres, me toise rapidement puis baisse son regard en passant une main dans ses cheveux châtains, qui paraissent presque noirs parmi toute cette obscurité, parée de cristaux d’étincelles en son dessus, d’horizons lumineux en son bas, qui domine sur les lieux. Il pousse ensuite un long soupir, croise ses bras contre son buste et me répond à voix basse :
- Il y a bien des choses que tu ne sais pas à mon compte.
- J’imagine, répliqué-je en esquissant un petit sourire. Il y a bien de choses que nous souhaitons nous raconter, je pense.
Il m’observe à nouveau droit dans les yeux. Si j’étais niaise et pleine d’espoirs – ce que je le suis, en réalité –, je pourrais imaginer que, là, James éprouve quelque chose pour moi. Des sentiments ? Non, c’est bien trop puissant. Alors quoi ? Peut-être une simple attirance, mais cela me suffit amplement, car ce n’est pas tous les jours qu’un si bel homme soit intéressé par ma personne… si ce n’est que dans mes rêves. Et cela m'apporte tellement de confiance en moi-même… je me dis que, au fond, peut-être que je ne suis pas si laide que je le pensais, même si je le penserai toujours – comme beaucoup de personnes en pensant à elles-mêmes, hélas, car on manque tous de confiance en soi à cause de cette société qui nous pousse incessamment vers la « perfection » physique.
- Oui, mais il y a des choses dont on n’ose pas parler, dit-il d’une voix plus douce.
- Tu caches des sujets tabous ? le taquiné-je.
- Non, non, rit-t-il discrètement. Je n’ai rien à cacher qui soit tabou, si ce n’est que le fait que j’adore humer les parfums féminins dans les magasins. Je pourrais offrir n’importe quel parfum à mon éventuelle petite-amie tant je les adore.
- Et ça serait toi qui t’en aspergerais, c’est ça ?
- Exactement !
Nous rions tous les deux de bon cœur avant que nos deux soupirs s’étendent vers un nouveau silence embarrassant. Je racle à mon tour la gorge et rive mon regard vers le lac qui reflète la lumière argentée de la lune. A en croire la poésie du moment, avec ce décor féerique et cette douceur qui nous effleure, j’aimerais croire que nous sommes dans une sorte de situation romantique où chacun n’ose pas avouer son amour pour l’un et pour l’autre. Mais je ne préfère pas espérer, ni songer à ce moment qui pourrait pourtant être sublime, car je ne veux pas être déçue, ni tomber de haut après avoir trop rêvé. Je pousse donc un long soupir, le souffle saccadé par mes battements de cœur rapides et irréguliers, joins mes mains par-dessus mes cuisses, tente de détendre mes épaules et contemple la beauté du jardin de James.
Je remarque par ailleurs que des statues d’anges ornent quelques recoins parmi toute cette verdure. La plupart ont des ailes amples, portent une robe évasée et semblent se tourner vers le ciel. James serait-il croyant ? Ça ne m’étonnerait pas, en fait, et puis chacun croit en ce qu’il veut… ou ne croit en rien. Pour ma part je reste assez sceptique envers la croyance d’un éventuel dieu, même si je suis très émerveillée par la métaphysique ainsi que les croyances spirituelles.
- Il faut que je te parle, Vicky, me murmure-t-il presque. Mais pas ici.
Je tourne mon regard vers le sien et croise son air presque angoissé. Que lui arrive-t-il… ? Et de quoi veut-t-il me parler ? Et pourquoi j’ai peur, tout à coup ? Enfin… est-ce vraiment de la peur ? Je n’en sais rien : je me sens juste bizarre.
- Euh… oui, d’accord, répliqué-je d’une voix incertaine et en fronçant les sourcils.
- Suis-moi.
Il se saisit promptement de ma main pour l’enserrer dans la sienne. Un frisson délectable traverse tout mon bras lorsque sa paume entre en contact avec la mienne, comme si c’était une sorte d’étreinte, un signe de tendresse… ou d’amour. Nous nous levons tous les deux du banc et il me tire doucement avec lui vers l’entrée de son habitat. Je le suis, les sourcils toujours froncés et l’air intrigué gravé sur mon visage. Où m’emmène-t-il ?
Mon cœur palpite, mes jambes tremblotent, mon ventre se noue et un frémissement ne cesse de faire hérisser mon épiderme. Cette sensation étrange qui me dévore est à la fois douloureuse et délicieuse… surtout délicieuse. Comme si je savais ce qu’il allait se passer, comme si j’étais sûre qu’une belle chose me sourirait… même si, au fond, je ne suis sûre de rien.
Nous entrons dans la bâtisse luxueuse, longeons le couloir d’un pas pressé, ignorons la foule dansante et les nombreux regards qui nous dévisagent avec un air intrigué ou bien de mépris et montons les escaliers pour atteindre le premier étage. Une grande salle, parée d’un sol en marbre ambré, comme au rez-de-chaussée, ainsi que d’une tapisserie rouge ornée d’arabesques rococos ocres et dorées, marquées par quelques filaments de fines perles, est à peine éclairée de deux lampes répandant une faible lumière jaunâtre.
- Suis-moi, m’ordonne James dans un doux murmure.
J’opine et continue à le suivre vers le couloir qui longe la rambarde de l’étage. De là, nous pouvons observer le rez-de-chaussée festif et écouter la musique romantique qui résonne jusqu’au plafond. Vers le bout du corridor, nous en rencontrons un autre, plus petit et étroit, qui débouche vers un nouvel escalier. Nous le montons et arrivons à un étage orné de la même façon que le précédent.
- Ma chambre est là-bas, me dit-il en me montrant du doigt une porte en bois vernis qui est située à quelques pas de nous.
4 commentaires
Landry
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Il y a 8 ans
LikeAMartian
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Il y a 8 ans
Landry
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Il y a 8 ans
WhiteAir
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Il y a 8 ans