Fyctia
Chapitre 12 - Sven
- A mais quel crétin ! s’était écrié Sven lorsqu’il s’était rendu compte de son oubli.
Juste avant le décollage de la navette sensée le conduire dans la Thermosphère, Sven avait reçu un message enchanté.
Depuis l’annonce de son départ, Sven avait été sollicité de toute part, si bien qu’il perdait un peu la boule. D'ailleurs, il ne se souvenait même pas d'avoir programmé ce rappel. Impossible de partir sans ses précieux cahiers, il s’était donc précipité dans les couloirs de la station, et courait maintenant depuis bien trop longtemps. A chaque inspiration, les blessures infligées par le Minotaure le faisaient atrocement souffrir.
Depuis quelques jours, sa vie était sans dessus dessous. Il y avait de quoi perdre la tête. En seulement 72 heures, il s'était fait botter le cul par un taureau de sept mètres de haut, charcuter par trois guérisseurs au talent douteux. Il avait ensuite été recruté par une université prestigieuse de la Thermosphère. Enfin, il avait démissionné de ses fonctions d’apprentis, remis son trousseau au Général Xanto, fêter son départ avec ses amis proches, assister à la mascarade que son père avait organisé pour son départ. Cette épreuve avait été de loin la plus terrible.
Son père, le préfet de l’aile Nord, n’aimait rien de plus qu’organiser des banquets fastueux durant lequel il s’acharnait à humilier Sven publiquement. Dans la station des Hauts du Nord, nul n’ignorait l’aversion profonde du préfet Harris pour le plus jeune de ses fils. Le père des jumeaux n’avait d’yeux que pour Marcus, « mon fils ainé » comme il aimait l’appeler. Malgré ses nombreuses années de favoritisme acharnés, Sven était toujours très affecté par les manigances et la cruauté de son père. Avec l’expérience, le jeune homme avait appris à dissimuler l’emprise quasi intact que son père exerçait sur ses émotions. Cette fois, comme à son habitude, le préfet n’y était pas allé avec le dos de la cuillère. Plus Sven semblait impassible, plus son père faisait preuve d'agressivité et mépris. Car ses manœuvres visaient à déstabiliser Sven, pour lui faire perdre la face et le discréditer aux yeux de tous. Son père n'était jamais plus heureux que lorsque Sven se mettait en colère. Le préfet n'avait jamais pardonner à son fils d'avoir tué l'amour de sa vie.
Avant son départ pour la Thermosphère, Sven avait donc eu le droit à un laïus au sujet de son incompétence face à la menace Minotaure, du danger qu’il représentait pour la nation, de son je-m’en-foutisme patenté et enfin, cerise sur le gâteau, de son ingratitude éhontée. Discours bien évidemment prononcé devant une assistance gênée mais acquise à la cause du préfet. Si quelqu’un n’allait pas manquer à Sven lorsqu’il étudierait à l’université, ça serait bien son père, ainsi que ses horribles banquets. Perdu dans ses pensées, Sven déboula sur le pont 4 éreinté et rouge d’avoir trop couru.
Prête à embarquer, Tania virevoltait au-dessus du vaisseau fuselé dont les réacteurs à matière blanche ne tarderaient plus à ronronner. Let, cheveux roses ébouriffés, collants bariolés, était assise sur sa valise un casque vissé sur les oreilles. Quant à Marcus, il avait déjà noué une conversation amicale avec l’un des mécaniciens du magnifique navire prêt à décoller. Le nez plongé dans l’un des quatre moteurs, Marcus et son nouveau copain d’inspectaient les réacteurs avant le départ.
Non loin de là, droit comme un I et tendu comme un arc, Simon discutait avec l’orpheline chargée d’assister Klock durant son séjour. Pour la première fois, Sven distinguait le visage de cette fille qui, habituellement, se planquait sous une horrible capuche. Aujourd’hui, alors qu’elle s’adressait à Simon, l’orpheline paraissait métamorphosée. Un virage à 180 degrés, plus exactement. Mains sur les hanches et cheveux au vent, elle braquait sur Simon deux grands yeux verts, vifs et intelligents, qui lançaient des éclairs.
- Pas de nouvelles depuis quatre ans, et aujourd’hui tu déboules dans ma vie. Qu’est-ce que tu crois Mars ? Tu penses que tu vas prendre des décisions à ma place ? Après tout ce temps, te la joue pas grand frère autoritaire , s’indigna-t-elle.
- Justement Poa, si ton frère était là, il serait d’accord avec moi, insista l’autre buté.
- Ton pote est mort, fais-toi une raison ! Moi, je me suis résignée. C’était mon frère aussi, rappelle-toi, ajouta tristement l’orpheline.
- Je suis désolé. J’ai peur pour toi, avoua Simon avant de la prendre dans ses bras.
La tendresse dans les yeux du garçon eut raison de la colère de l’orpheline qui se nicha au creux de ses bras avant d’enfouir son visage contre son torse solide. A cet instant, par hasard, le regard de Simon se posa sur Sven. Sur ses traits, toute trace de douceur s’évanouit aussitôt, et ses yeux virèrent au noir tempête, même sa mâchoire pris un pli contracté. Sven se détourna aussitôt. Il avait l’impression d’avoir été témoin d’une scène intime à laquelle il n’aurait pas dû assister.
Simon Mars était une énigme à lui seul. Sven secoua la tête comme pour l'extraire de ses pensées. Malheureusement, le halo de mystères qui entourait ce type ne cesser de piquer sa curiosité, et les questions se bousculaient dans sa tête. A commencer par de multiples interrogations au sujet de son pouvoir hallucinant, Sven n’avait rien dit à personne, pourtant, il était certain de ne pas se tromper ! La capacité de Simon à absorber les réserves magiques des autres magiciens était à la fois inédite et démentielle. Sven avait hâte d’être à l’université pour entamer des recherches à ce sujet. Le jeune homme était persuadé que personne à part lui n’avait deviné le secret de Simon. Et il était prêt à parier que Simon ne souhaitait en aucun cas que cela s’ébruite car ce don était à la fois une force et une faiblesse. En effet isolé de tous, Simon devenait vulnérable et inoffensif. Cette idée arracha un sourire à Sven, si un qualificatif ne s’appliquait pas à Simon Mars, c’était bien celui-ci : inoffensif !
Sur le pont, devant le vaisseau, Jude Klock manqua de piétiner Sven. Il ne s’en excusa pas. D’ailleurs, il ne lui adressa même pas un regard. Le président du Comité magique était un ours mal lécher. Enfin, c’est en tout cas ce que Sven avait toujours imaginé. Mais voilà que Jude Klock semblait, lui aussi, rendre les armes devant les grands les yeux verts de l’orpheline.
- Mademoiselle Bernard, comment allez-vous ce matin ? demanda, affable, le vieux débris.
Mais enfin, quel don avait cette fille ? Celui de charmer les individus masculins les plus désagréables, les plus déplaisants, les plus insupportables peut-être. Sven nota dans un coin de sa tête : à la bibliothèque, mener aussi des recherches sur les charmeur.euse.s de serpent.
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