Fyctia
Chapitre 6 - Poa
A l’annonce de ce châtiment public, Poa se raidit. La simple évocation des combats et des démonstrations de forces à venir l’indisposait. Alors évidemment, la séance de torture qui s’annonçait n’était pas pour lui plaire.
Prise de vertige, elle sentit le sol tanguer un peu. Poa massa ses muscles endoloris. Depuis son étrange malaise, la veille dans la soirée, son corps était devenu douloureux. Par moment, elle avait l’impression que des liens invisibles et tranchants s’enroulaient autour de ses membres et les lacéraient.
Dans la réserve BJ01, lorsque Poa s’était éveillée de sa transe mystérieuse un petit troupeau d’apprentis magiciens se pressait autour d’elle. Marcus Harris, le garçon qui l’avait trouvé inanimée, l’avait interrogé sur les circonstances de son étrange malaise. Malgré sa nervosité, Poa avait donné le change et passé sous silence ses visions de fleurs, d’herbes et du monde d’avant. Comme Marcus était lui-même un peu sonné, il n’avait pas insisté. En bon apprenti, il avait suivi la procédure et laissé un guérisseur l'ausculter. Un sentiment de panique avait alors étreint Poa. Et si ses visions de végétaux avaient laissé une trace quelque part en elle ?
Sans attendre, le guérisseur avait récité les premières phrases d’un sort indolore mais glaçant qui ressemblait à une comptine simplette, répétitive et bourrée de voyelles. Il les avait prononcées d’une voix lisse et monotone à un rythme profond comme celui d’un tambour chamanique. Aussitôt les premières syllabes psalmodiées, tous les muscles de Poa s’étaient alanguis, et une multitude d’étincelles rouge feu avait surgit du néant. Ces poussières ardentes avaient traversé l’uniforme sombre de la jeune fille sans le brûler. Leur intensité s’était alors décuplée et un froid glaçant s’était abattu sur Poa. Sous l’effet de cette lumière rougeâtre, sa peau, ses muscles et même ses os était devenus rougeoyants comme un tison. Plus l’homme avançait dans l’incantation, plus Poa ressemblait à un lampion, et plus le froid se faisait mordant. Enfin, il s’était tu.
- Rien ! Aucune trace d’une quelconque magie mystérieuse, avait-il déclaré à l’attention de Marcus.
Toute la tension accumulée par Poa s’était aussitôt envolée. Si la jeune fille n’avait pas évoqué ces visions de végétaux, c’était car les magiciens et les sorciers connectés aux plantes et aux animaux se voyaient tous, sans exception, condamnés à l’exil.
La crainte inspirée par le vivant était encore vive. Elle datait de l’apparition du flux magique sur Terre, une matière inconsistante aux propriétés surnaturelles qui composaient de deux forces opposées : une substance dense capable d’aspirait la lumière, et qui ressemblait à s’y méprendre à du goudron, la matière noire, et une matière lumineuse et limpide appelée la matière blanche.
Ces forces avaient fait irruption sur Terre lors du solstice d’été, en 2030. Depuis, des scientifiques avaient essayé de comprendre son origine et les circonstances de son apparition mais leurs recherches n’avaient abouti à rien de tangible. Une théorie à la mode prétendait que la contamination s’était faite par l’intermédiaire d’un télescope spatial lors de l’observation directe d’une exoplanète très particulière.
Toujours est-il que la matière noire, qui ne s’animait que dans l’ombre, avait recouvert le monde. Le 21 juin 2030, le temps d’une révolution planétaire, à la faveur de la nuit, cette substance s’était répandue comme une trainée de poudre. A son contact, la plupart des êtres vivants présents sur Terre moururent en un instant. Les autres, ceux qui survécurent, se métamorphosèrent en créatures infernales. Cette nuit apocalyptique avait enfanté une armée d’ombres terrifiantes : makrâlles, cocatrix, chupacabras, furies, lianes étrangleuses et autres créatures mortelles.
Le matin suivant, lorsque les premiers rayons du soleil avait effleuré cet enfer, la matière blanche endormie s’était éveillée. Le long de sa course, le soleil avait charrié cette substance comme une vague salvatrice qui submergea et anéantit les ombres. Certaines d'entre elles tapies dans les grottes et les replis de la Terre échappèrent à la purge. Depuis ce temps, elles hantaient la surface du monde, actives la nuit et dissimulées le jour. Cette nuit-là, sans l’intervention des fondateurs, un groupe de magiciens puissants, l’humanité aurait sans doute périe.
Jude Klock tira Poa de sa rêverie. Evidemment, le chambellan avait nommé la jeune fille au service de l’homme le plus désagréable de toute la délégation, elle qui rêvait pourtant de se tenir éloignée de l’agitation.
- Que va-t-il se passer, demanda le président Klock à l’adresse de l’orpheline.
- Il me semble que c'est assez clair : ils vont battre un garçon à mort, répondit Poa d’un ton tranchant, qu’elle regretta aussitôt.
- Vous n’êtes donc pas tous des barbares, murmura-t-il étonné. Tu n’apprécies pas ce genre de spectacle, gamine ?
Poa n’était pas téméraire au point de répondre. Jude Klock était puissant, il avait le pouvoir de lui nuire si sa réponse ne lui convenait pas. Devant la gêne manifeste de l’orpheline, il n’insista pas. D’ailleurs, il n’en eut pas le temps. Car un coups de gong tonitruants avait retentit.
Le prisonnier condamné au fouet entra dans l’arène. Dans les gradins, la foule huait, criait, insultait le pauvre garçon qui, malgré la peur, marchait d’un pas résolu. De temps en temps, l’un des gardes, jamais le même, le poussait ou tirait sur ses chaînes pour le faire trébucher et offrir à la foule le spectacle tant attendu. Le peuple en délire braillait alors de plus belle. Placé sous bonne garde, il ne risquait pas de s’enfuir. Il y avait dans ce rituel, un effet cathartique indubitable pour le peuple. Et les dirigeants du Nord le savaient pertinemment. Poa eut un haut le cœur en pensant à cette élite au pouvoir, capable des pires atrocités.
A mesure que le prisonnier s'approchait, Poa trouva à sa silhouette lointaine une allure familière. Une angoisse prémonitoire lui comprima le cœur. Et brusquement, elle en fut certaine : le prisonnier n'était nul autre que de Simon, le meilleur ami de son frère, Sacha.
Il avait changé depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu . Ce jour-là, après la crémation de son frère et de son père, il l’avait tenue longtemps dans ses bras. Lorsque Poa s’était dégagée doucement de son étreinte, elle avait lu sur son visage une fureur contenue. Malgré sa rage évidente, il l’avait embrassée sur le front avec tendresse, comme l’aurait fait son père ou son frère. Elle ne l’avait jamais revu depuis. Pourtant, Poa l'avait attendu.
Les gardes et leur prisonnier s’immobilisèrent en bas de la tribune officielle. Là, les yeux noirs de Simon trouvèrent les siens. L’un des soldats hurla : « à genoux ! » Mais le garçon ne l’entendit pas, perdu dans le regard de Poa. L’homme lui assena alors un coup de matraque brutal pour le faire plier. Elle ne put réprimer un petit cri d’horreur.
17 commentaires
Aldokabs
-
Il y a 6 mois
Born Ready
-
Il y a 6 mois
Julie Emilie M
-
Il y a 6 mois