Fyctia

L’arrivée imminente de la délégation magique plongeait les habitants du pôle dans une douce euphorie. Partout, la population célébrait la nouvelle. Dans le Nord, il n’était rien arrivé d’aussi existant depuis des décennies. On observait les dirigeants battre le rappel des espoirs de la magie avec ravissement.

Même les enfants des bas, la station creusée sous la surface de la Terre, se voyaient offrir une chance de participer. En effet, tout citoyen de moins de 18 ans capable de manier la matière blanche était prié de se présenter aux comptoirs magiques pour passer les épreuves de sélections. Les plus habiles seraient ensuite chargés dans des vaisseaux et envoyés dans les hauts, la station au-dessus des nuages, pour renforcer les rangs des apprentis titulaires, et peut-être s'illustrer auprès des émissaires du ministère magique venus recruter de futurs étudiants.

Pourtant, il fallait bien avouer que les deux seules stations du Nord produisaient peu de champions. Seule exception : Max Marnin, l’enfant chéri de l’Arctique, un petit prodige né sous la surface. "Un génie au moral d’acier, un sorcier de la trempe des glaciers du Nord", murmurait la rumeur. Simon, lui ne croyait pas une seconde au mythe de l’enfant chéri. Un mensonge d’Etat probablement relayé par la bourgeoisie des Hauts pour engourdir l’esprit de la plèbe, et surtout masquer le déterminisme sévère qui régnait entre les aristocrates des Hauts et les mineurs des Bas depuis que les ombres s'étaient répandues à la surface du monde, le rendant inhabitable.

Simon connaissait Max Marnin depuis l’enfance, ils avaient tous les deux grandi dans la zone 5 des Bas. A 14 ans, ce prétendu génie ressemblait à un petit animal sauvage. Un jour, sans explication, Max s’était simplement volatilisé. Deux ans plus tard, la légende du génie de la zone 5, le grand Max Marnin, se propageait dans toutes les stations du monde. La rumeur prétendait qu’il étudiait désormais dans l’un des centres magiques de la thermosphère.

Simon, lui, ne visait pas les hautes strates de la planète, pourtant il avait profité de l’effervescence générale pour rejoindre la station des Hauts, en vol stationnaire au-dessus du pôle. Le matin qui avait suivi l'annonce, il s’était présenté au comptoir magique du district 5. Il avait produit quelques sorts complexes mais peu puissants comme il savait le faire. Deux jours plus tard, il embarquait à bord d’un aéronef FG789.

A peine débarqué sur le pont 1, une montagne de muscles, lui était tombée dessus, à lui et à la trentaine d’aspirants magiciens venus des bas.

- Ecoutez-moi bien les petits gars ! On n’est pas dans votre terrier ici. Alors, on se tient correctement et surtout on file droit, aboya la montagne de muscles. A la première fantaisie, je vous envoie à la surface avec les ombres. C’est compris ?

- Oui, bredouillèrent mollement les aspirants.

- Oui, capitaine Xanto, rectifia le molosse.

Aussitôt son discours de bienvenue prononcé, le capitaine abandonna les nouveaux arrivants entre les mains d’un apprenti magicien dénommé Sven Harris. Le garçon, âgé de 17 ans à peine, dégageait une certaine autorité. Il puait à plein nez la famille puissante et les privilèges. Quelques secondes suffirent à Simon pour le mépriser.

Indifférent, l’apprenti passait en revue la horde de nouvelles recrues : âge, puissance, sexe, niveau de connaissances magiques. Arrivé à la hauteur de Simon, il se planta solidement devant lui, en étudiant attentivement sa fiche de renseignements sans laisser paraître la moindre expression. Quand Sven leva enfin les yeux, il surprit le regard noir et hostile de Simon braqué sur lui. Il se fendit alors d’un sourire glacial : « Intéressant », murmura-t-il en se penchant à son oreille. Simon se prit à anticiper avec délectation, le plaisir qu’il prendrait à échapper à la surveillance de ce jeune coq.

Une fois la revue terminée, Sven guida les nouveaux vers le centre d’entrainement de l’aile Est. Alors que le groupe progressait dans les couloirs du centre, Simon profitait de la visite pour cartographier mentalement chaque recoin. Deux heures à peine s’était écoulée depuis leur arrivée sur le pont 4, pourtant, le groupe se structurait déjà. Des alliances se formaient, alors que les prémices de conflits pointaient de-ci de-là. Une fille de petite taille appelée Tania semblait avoir piqué l’intérêt de trois brutes sans cervelles.

Cachée sous une cape, la fille ignorait avec panache leurs insultes. Elle parvenait à esquiver avec brio chaque tentative d’agression. Mais les trois idiots semblaient bien décidés à en découdre. Et l’air autour de ces quatre-là devenait électrique. Simon s’attendait à ce qu’un incident éclate d’une minute à l’autre. "Chacun ses problèmes", pensa-t-il un peu honteux. Même si le rapport de force entre Tania et les trois idiots était totalement déséquilibré, Simon ne pouvait en aucun cas se payer le luxe de s'interposer. Il devait rester sous les radars.

Après la visite des pièces communes, des dortoirs et da zone d’entrainement, ils déboulèrent enfin dans l’immense arène de combat. Là, Sven leur distribua à chacun : un uniforme, de l’eau et un tapis pour la nuit.

- Vous avez cinq minutes pour mettre vos uniformes. Je vous attends ici. Le dernier arrivé assurera le spectacle, lança-t-il en riant de toutes ses dents.

En une fraction de seconde, deux supers coureurs disparurent en laissant derrière eux un nuage de poussière. Trois aspirants se téléportèrent à l’abri des regards, alors que d’autres douées de sorcellerie concoctèrent quelques sorts plus ou moins réussis. Ceux qui restaient, partirent au pas de charge en direction des vestiaires. Simon lui répéta trois fois Ipsou en appuyant sur le S, un sort simple et rafraichissant.

Assis à même le sol de l’arène, dans son uniforme de seconde main, il attendait maintenant que les autres reviennent. Lorsqu'il vit Sven approcher, Simon, inconsciemment, releva les talons de quelques millimètres et bascula le poids de son buste vers l’avant comme un fauve en tension. Ce mouvement presque imperceptible n’échappa pas au regard perçant de l’apprenti magicien qui se positionna au-dessus de lui, l'air menaçant.

- Pourquoi t’es là, demanda Sven sans détour.

Simon ne s’attendait pas à cette question. Déconcerté, il hésita quelques secondes de trop.

- Pour le concours évidement, se reprit-il.

Trop tard, Sven tournait déjà les talons pour se diriger vers le centre de l’arène, là où le reste du groupe patientait.

- Qui est arrivé le dernier, rugit-il visiblement agacé.

Menton relevé, l’air de vouloir défier la Terre entière, Tania s’avança d’un pas presque dansant. Les trois brutes éclatèrent d’un rire mauvais pendant que Sven énonçait ce qui allait suivre.

- Corps à corps. Tous les coups sont permis, précisa-t-il simplement.

Il invita la jeune fille à choisir son opposant. Tania désigna les trois idiots d’un geste quelque peu méprisant. Un silence de plomb s’abattit sur l’arène.