Fyctia
Chapitre 4 (1/2)
Rouen, vendredi 3 avril 1816
Les jours qui séparaient Clémence de son départ pour Paris s’écoulèrent à toute vitesse. Sa mère s’était empressée d’envoyer une lettre à Eveline Jorand, et cette dernière avait répondu tout aussi prestement. La saison parisienne s’achèverait fin mai, leur avait-elle écrit, il fallait donc que sa cousine vienne sans tarder.
C’est ainsi qu’une semaine plus tard, bien plus rapidement que ce qu’avait anticipé la jeune fille, elle se tenait sur le perron de sa maison, deux malles de voyage à ses pieds.
— Fais bien attention à toi, lui rappela sa mère pour la énième fois. N’oublie pas de te rendre utile et, surtout, de respecter les consignes d'Eveline quand vous sortirez dans le monde.
— Oui, maman.
Ses bagages étaient en grande partie remplis de nourriture et de cadeaux à l’intention de leurs cousins parisiens. Le reste était occupé par ses effets personnels, ses vêtements et par les tissus qu’elles avaient achetés ensemble au marché. Au grand malheur de sa mère, la couturière n’avait pas eu le temps de lui confectionner de nouvelles toilettes.
Une berline de voyage tirée par deux cheveux pénétra dans leur rue et s’arrêta en bord de trottoir devant l’imprimerie.
— Ah, voilà madame Guillot !
Tandis que madame Bertin se dirigeait vers la voiture pour saluer son occupante, qui avait accepté d’emmener Clémence à Paris, cette dernière se tourna vers son père. C’était un homme qui, contrairement à sa femme, n’avait pas la parole facile et qui restait souvent silencieux. Cela n’avait jamais gêné sa fille, qui appréciait le calme qu’elle trouvait à ses côtés, surtout quand ils travaillaient ensemble à l’atelier.
Ce matin-là, toutefois, elle ne trouvait pas ses mots et ils restèrent un moment à se regarder d’une manière gênée. Plusieurs jours s’étaient passés depuis leur échange houleux, pourtant les paroles de son père résonnaient encore clairement dans l'esprit de Clémence et elle avait du mal à les lui pardonner.
Elle devait toutefois reconnaître que sa colère ne changeait pas ce qu’elle ressentait pour ses parents. Elle les aimait et rien ne pouvait altérer cet amour.
— Vous allez me manquer, se décida-t-elle à lui dire.
Sa déclaration sembla émouvoir son père qui, dans l’une de ses rares démonstrations d’affection, s’approcha d’elle et lui donna une brève embrassade.
— Tu vas nous manquer aussi, ma fille, dit-il d’un ton bourru. Ne t’inquiète pas pour l’imprimerie, et profite de ton séjour à Paris. Prends le temps de nous écrire, ne serait-ce que pour rassurer ta mère et l’empêcher d’imaginer le pire.
Clémence émit un petit rire, tout en retenant les larmes qui perlaient à ses paupières. Les paroles de son père ainsi que la perspective de quitter pour la première fois ses parents et Rouen la rendaient émotive.
Un valet vint chercher ses deux malles pour les fixer sur le coffre de la berline, et son père et elle rejoignirent madame Bertin qui faisait toujours la conversation à madame Guillot, à travers la porte du véhicule.
— Bonjour, madame, la salua Clémence d’une brève révérence. Je vous remercie d’avoir accepté que je voyage avec vous jusqu’à Paris.
Elle avait déjà rencontré la vieille dame à quelques occasions, au cours des réunions de l’association de charité à laquelle appartenait sa mère, quand celle-ci réussissait à la traîner hors de l’imprimerie. C’était une femme affable, pieuse et très généreuse. Riche veuve d’avocat, également un important propriétaire terrien de la région, elle était très investie dans les œuvres de bienfaisance.
Lors de la réunion hebdomadaire de l'association, madame Bertin avait appris que madame Guillot quittait Rouen pour assister au baptême d’un de ses petits-enfants à Paris. Elle avait sauté sur l’occasion pour lui demander si elle accepterait que Clémence voyage avec elle. La veuve avait accepté, lui évitant ainsi de se rendre à Paris par diligence, en voiture publique, ce qui n’était pas sans inquiéter ses parents.
— Allons, ce n’est rien. Comme je l’ai dit à votre mère, je ne refuse jamais de la compagnie, surtout quand je fais un aussi long trajet. Maintenant, dites au revoir à vos parents, ma petite. Je ne veux pas vous presser, mais il ne faut pas trop tarder si nous voulons atteindre Paris avant l’heure du souper.
L’émotion envahit de nouveau la jeune femme et, en voyant sa mère se mettre à pleurer, elle lutta elle-même contre les larmes. Madame Bertin l’embrassa avec effusion tout en s'essuyant les yeux avec un mouchoir discrètement fourni par son époux, qui se pencha ensuite pour que Clémence puisse l’embrasser sur la joue.
Le valet se rapprocha pour l’aider à monter dans la voiture et referma la portière derrière elle. La jeune femme s’assit en face de madame Guillot, à côté de sa femme de chambre, en essayant de faire bonne figure. Quand la voiture se mit en marche, elle fit un geste de la main à ses parents jusqu’à ce qu’ils disparaissent de sa vue.
— Séchez vos larmes, ma petite, et pensez plutôt à tout ce qui vous attend à Paris. C’est une ville fascinante pour une jeune femme de votre âge, et je parie que vous serez tout aussi émotive quand il vous faudra rentrer à Rouen, lui prédit la veuve avec un sourire entendu, riche d’une expérience qui faisait encore défaut à son interlocutrice.
Clémence acquiesça, même si elle demandait à le voir pour le croire. Elle doutait d’être aussi triste de quitter Paris qu’elle l’était pour Rouen. Mais là où madame Guillot et ses parents avaient raison, c’est que s’éloigner quelque temps de l’imprimerie et de la Normandie ne pouvait que lui faire du bien. Le fait d’être aussi émotive, alors que ce n’était pas du tout dans ses habitudes en temps normal, en était un bon signe.
Le silence s’établit dans l’habitacle du véhicule, qui serpentait dans les rues encombrées de Rouen, avant de s'engager sur la grande route de campagne une fois sorti de la ville. La jeune femme, assise à côté de la fenêtre, laissa son regard errer sur le paysage qui courrait devant ses yeux, sans le voir vraiment, trop occupée à ressasser les derniers événements.
Elle n’avait pas revu Henri de Courville avant son départ pour Paris, contrairement à ce qu’elle avait secrètement espéré. Elle avait tenté de ne pas en être trop attristée, en essayant de se persuader que leurs rencontres n’avaient jamais été destinées à se poursuivre. Néanmoins, profitant d’un moment d’inattention de sa mère, elle n’avait pu s’empêcher de glisser dans ses malles le carnet que le jeune homme lui avait offert, et qu’elle avait commencé à remplir de pensées diverses et de dessins.
Bercée par les cahots de la voiture, fatiguée par les préparatifs de son voyage, Clémence ne tarda pas à s’endormir, la tête posée contre le cuir qui couvrait l’habitacle.
6 commentaires
Laure Blanc
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Il y a 5 ans
Sand Canavaggia
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Il y a 5 ans
Sam Laurent
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Il y a 5 ans