Fyctia
Interlude: New-York
L’air est froid, mouillé, collant. Le bateau ne perd pas de temps, les prochains touristes attendent déjà. Un petit tour et aux suivants; une petite pause devant la demoiselle de cuivre au poing levé, un petit signe de tête admiratif/envieux/sceptique avec une ébauche de réflexion obligatoire sur ce concept fumeux de liberté…
Mais Franz y adhère, lui, il y croit. Il admire et envie, sincèrement. Né au mauvais endroit.
Sur le bateau, la pulsion est trop forte pour être contrôlable, le moment trop solennel. Il sort son téléphone et appelle Alois.
- Hey. Alors ?
- Franz… Attends… Une minute, je suis avec des potes… Ça va ?
- Oui, tout roule. Devine où je suis.
Bruit de fond, voix marmonnée d’Alois qui demande une minute d’intimité, ou quelque chose du genre.
La statue est immobile, bras levé.
- Excuse-moi, c’est un peu fou en ce moment, tellement de choses à organiser…
- Devine où je suis.
- Certainement quelque part de spectaculaire ! (Bruit de portes, voix marmonnée)
- Alois… Tu viens quand ?
- (Silence)
- Tu sais ; on en avait parlé, tu devais venir en milieu de stage, ce qui nous amène au week-end prochain…
- Ecoute…. Franz. Je ne vais pas venir. Tu comprends…
Le bateau tourne le dos à la statue, Franz n’a pas eu le temps de lire l’inscription. Putain de bateaux de touristes, jamais de temps pour les choses qui comptent vraiment. Aucune décence.
- Je ne comprends pas…
- Je sais qu’on en avait parlé, mais c’était dit comme ça, en l’air. On était saouls… J’ai beaucoup trop de travail ici, le spectacle à organiser, tout le monde à mettre d’accord, les acteurs s’entendent pas…
- Tu ne viens pas du tout ?
La pluie remplace la bruine, Franz est chaudement couvert dans le gros manteau gris offert par Maman avant son départ – il ressemble à une armoire dans ce manteau, un tank dépressif, Alois le déteste, il aurait voulu lui en offrir un à lui, bleu électrique et cintré, mais Maman aurait été triste.
- Non, je ne viendrai pas. Tu sais… Je me dis que c’est mieux comme ça. Tu pourras mieux te concentrer sur ton travail. Nous deux, ensemble, c’est entropique, ça ne marche pas. Hein ?
- Ouais. OK. Je comprends.
Il comprend. Alois, gentiment, sans animosité, sans drame, met fin à leur histoire. Il plante Franz à New-York en lui disant que ça ne colle pas, avec la voix la plus sincère et tendre au monde. Aussi tendre que sa peau laiteuse, aussi noire que ses cheveux.
Franz, devant la statue la plus vénérée au monde, vient de se faire larguer comme un débutant – alors qu’ils n’ont jamais été ensemble.
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