Fyctia
Chapitre 16 - Naïs
Le moteur de la moissonneuse-batteuse vrombit dans la nuit silencieuse. La plateforme de coupe trace le chemin de la machine à travers les épis de blés. Seuls les phares transpercent le noir obscur. Assise sur le siège du tracteur suiveur, je suis concentrée. Ma mission est de me caler sur la même vitesse que la moissonneuse et de rester parallèle à sa trajectoire. La remorque que je tracte se remplit au fur et à mesure que les grains sont expulsés du convoyeur. Si je vais trop vite, la récolte peut terminer sa course à même le sol. La réciproque est identique si je roule trop lentement.
Un nuage de poussière flotte autour de moi. J’ai l’impression de naviguer dans le brouillard. Ma vue se trouble à force de fixer un point fictif. J’ai eu le malheur de ralentir l’allure tout à l’heure. Le hurlement du klaxon de la moissonneuse m’a remise dans le droit chemin, après avoir cru mourir de peur. J’ai failli en tomber de mon siège.
Il existe des tracteurs qui sont connectés électroniquement aux machines. Mais c’est bien trop onéreux. Nous devons nous regrouper avec les exploitations voisines pour économiser sur la location de ces mastodontes.
Le champ nord est quasiment terminé. Ma remorque est pleine et je vais pouvoir retourner à la ferme. C’est Fernand, notre voisin, qui va prendre ma place avec un second tracteur. Je le relaierai à mon tour et ainsi de suite pendant une bonne partie de la nuit, et ce pendant plusieurs semaines. Je fais peu récolte nocturne car mes autres tâches sont incompatibles. Il me serait physiquement impossible de tenir la cadence. Mais j’aime y participer de temps à autre. L’ambiance est excellente et cela permet de discuter avec nos voisins.
L’heure de la pause est la bienvenue. Nous allons pouvoir nous restaurer. Ce soir, c’est Charlotte qui nous apporte sandwichs et boissons. Elle est en congés et adore participer à sa façon aux moissons. Je l’aperçois qui fait des appels de phare depuis sa voiture. Chacun stoppe son engin et je saute à pieds joints. Ça fait du bien de fouler la terre des vaches. Mon fessier commençait à fourmiller d’ennui.
— Ça ne fait pas trop longtemps que tu attends ? interrogé-je mon amie en la rejoignant.
— Oh non. Une dizaine de minutes pas plus. On a papoté un moment avec ta mère.
— Tant mieux. Et vous avez discuté de quoi ?
— Du mariage. Elle me disait qu’ils étaient d’accord pour nous prêter un bout de champ. Ils sont adorables. Merci d’avoir demandé d’ailleurs.
— Je t’en prie. Je suis tellement contente pour vous deux !
Après avoir distribuer les encas, on s’installe à l’intérieur de son véhicule. Mon père, Milo et Fernand s’asseyent devant la machine pour rester dans la lumière.
— T’as une mine fatiguée, s’inquiète Charlotte. Tu tiens le coup ?
— Oui ça va. Demain soir, j’irai me coucher en même temps que les poules pour rattraper le retard.
— Fais attention à toi. Je ne voudrais pas que tu y laisses ta santé.
— C’est provisoire. Ne t’en fais pas. Tu sais que j’aime cette période de l’année. D’ailleurs toi aussi, tu es là.
— Oui, mais moi je suis en vacances. Et demain c’est grasse mat’.
— Je promets de faire attention.
— T’as plutôt intérêt.
Je croque dans mon casse-croûte et apprécie le moment. Mon estomac est ravi. Il commençait à crier famine. Un léger silence emplit l’habitacle. C’est apaisant.
— Des nouvelles de ton agriculteur breton ?
Ça n’aura pas duré longtemps. Dommage.
— Oui. Il veut que je participe à un atelier sur Rennes, l’informé-je.
— Quel genre d’atelier ?
— Un atelier culinaire, si j’ai bien compris. On serait plusieurs célibataires à suivre le même cours. Tien regarde.
Je lui montre la bannière sur l’application qui invite à s’inscrire.
— Ca a l’air génial. Tu t’es inscrite ?
— Non, pas encore. A vrai dire, j’hésite.
— De quoi t’as peur ? C’est un plan parfait. Primo, vous ne serez pas tout seul. Ta pudeur ne risque donc rien.
— Tu sais ce qu’elle te dit ma pudeur ?
— Qu’elle n’a pas vu le loup depuis un bail ?
— Tu me fatigues.
— Secundo, si jamais tu te rends compte que c’est un gros naze, y’a d’autres mecs célibataires dispo. Tu n’auras qu’à en prendre un autre.
— Hey, c’est pas de la viande ! m’insurgé-je.
— T’as compris où je voulais en venir, me coupe-t-elle. Tertio, ça te permet de passer à la vitesse supérieure sans prendre de risque. Et quatro, ça te fait sortir de l’exploitation. Et c’est sûrement le point le plus important.
— Je ne sais pas.
— Qu’est-ce qui te fait hésiter bon sang ? s’énerve mon amie.
— Si c’était un faux profil ?
— Et bien au moins, tu seras fixée.
— C’est dans moins de deux semaines. Les moissons ne seront pas terminées.
— Arrête avec tes excuses Naïs !
Je sursaute. Je n’avais pas entendu mon frère arriver.
— Je t’écoute depuis tout à l’heure et tu n’as aucune excuse.
— Tu m’espionnes ? m’agacé-je.
— Non, j’ai surpris la conversation et j’ai voulu connaitre ton choix. Ce n’est pas le bon et Charlotte a raison. Va rencontrer ce mec.
— Mais on a plein de boulot.
— Arrête avec ça. On s’en sortira sans toi pendant un week-end.
— C’est juste un après-midi.
— Profites-en pour partir avec Charlotte. Une fois à Rennes, vous n’êtes plus très loin de la mer.
— Oh mais carrément ! s’extasie celle-ci. Vendu ! Je réserve un truc et on se casse entre meufs ! J’adore !
— Je vois que je n’ai pas mon mot à dire, abdiqué-je.
— Tu nous remercieras plus tard.
Mon frère et Charlotte se tape dans la main, fiers de leur traquenard. Ils me poussent dans me retranchements et ça m’effraie. J’espère que je ne cours pas à la catastrophe.
****
Dans mon lit, vêtue d’un débardeur et d’un shorty, je suis allongée sur le ventre et navigue dans mon téléphone. Country Love me fait de l’œil. Je clique sur l’icône, puis sur la bannière. Le formulaire d’inscription se télécharge et je le parcours rapidement. Il s’agit d’un cours de cuisine de trois heures où vingt célibataires travaillent en petits groupes. A la fin de la cession, nous dégustons ce que nous avons préparé. Effectivement, je ne risque pas grand-chose à y participer. L’inscription validée, je m’empresse de le prévenir.
Une chose est sûre, c'est qu'il attise ma curiosité.
Je me sens fébrile à l’idée de cette rencontre. Et si Fabian n’était pas celui que je croyais.
14 commentaires
Cin_dy
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Il y a 3 ans
Hochet
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Il y a 3 ans
SB13
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Il y a 3 ans
Azélia Charin
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Gottesmann Pascal
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Azélia Charin
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Il y a 3 ans