Fyctia

— Oui, je... Je suis Jaune, dis-je rapidement, en espérant qu'Aésa ne soit pas de la même Couleur.

— Oh ! Cool ! Tu avais l'air... Stressée, fait remarquer Rose en fronçant les sourcils

— J'essayais de faire durer le suspense, rigolé-je.

J'espère que mon rire sonne vrai, au moins pour ajouter un peu de crédibilité à mes paroles ! Mais les filles ne s'attardent pas plus à ma Couleur et passent à celle d'Aésa, qui se retrouve être Violette. Intérieurement, je suis soulagée de savoir qu'aucune ne sera dans mon faux cours.

Les filles continuent de me poser des questions, notamment sur la vie au palais. Comment c'est ? Suis-je libre de faire ce que je veux ?

Je leur raconte mes balades matinales avec mon frère, les heures que je passe dans la bibliothèque,...

Le temps passe tellement vite qu'une cloche sonne, nous faisant sursauter et nous rappelant l'heure du repas. Aésa, Rose et moi descendons les escaliers et nous nous dirigeons vers le réfectoire. Bondé de monde, le bruit des couverts tintant bruyamment, les conversations se mélangeant, quatre longues tables disposées en rang où des élèves sont assis. Et sur les tables, des plats tous plus appétissants les uns que les autres.

Des algues séchées.

Des cristaux de corail.

De l'anémone.

Des gratins de posidonie.

De la padine queue de paon.

De la salade d'halodule.

J'ai l'impression d'être chez moi, attablée avec mes parents et mon frère. Je scrute la salle à la recherche de ce dernier et je le vois me faire signe depuis l'autre côté de la salle.

À côté de lui, quatre garçons sont déjà assis et nous saluent lorsqu'on arrive.

— Salut ! Vous êtes qui ? Et toi, t'es le frère de Nami ? Vous êtes quelle Couleur ? s'extasie Rose.

Aésa et moi nous regardons en souriant, les garçons choqués et interloqués par un tel enthousiasme.

— Moi, c'est Rosalinde, mais appelez-moi Rose parce que sinon tout le monde se trompe et ils m'appellent Rosalinda, Rosa, Rose-Lyne, des trucs dans le genre, enchaîne-t-elle. Et vous savez quoi ? Je suis sûre que mes parents avaient prévu que je sois une Atlante Rose, à cause de mon prénom !

À notre table, il n'y a pas un bruit. Tandis que ma colocataire et moi tentons de ne pas exploser de rire, le poing dans la bouche, le visage rouge, les yeux qui pleurent, les garçons sont abasourdis, tentant probablement de savoir d'où vient autant de bonne humeur.

Finalement, le garçon à côté de Kael se racle la gorge. Ses cheveux noirs lui tombent devant les yeux et quelques mèches jaunes éclatantes perçent cette obscurité.

— Je m'appelle Ciaran. Pas Cian, parce que c'est lui là-bas, dit-il en désignant celui devant moi, mais Ciaran. Et j'suis...

— Jaune ! s'exclame Rose.

Ciaran la regarde, à la fois surpris et inquisiteur.

— Ouaip. Comment tu sais ?

— Tes cheveux.

Une explication simple, mais logique.

— Ouaip.

— Tu dis tout le temps «Ouaip» à la fin de tes phrases ?

— Ouaip.

Je suis incapable de me retenir, et éclate de rire.

Au fur et à mesure du repas, entre deux bouchées d'algues filamenteuses, j'apprends que celui qui est assis à côté d'Aésa est Marin – non le métier d'En-Haut, qui consiste à conduire sur l'eau, d'après les livres. Ses yeux bruns sont accordés à ses cheveux et à sa peau mate. Il manipule la nature.

Celui en face de moi, Cian, je ne peux nier sa beauté. Il a tout du chevalier parfait des contes. Blond aux yeux verts, des pommettes hautes, il m'a tapé dans l'œil. Il est cliché, avec son air rêveur, son sourire éclatant, ses cheveux coiffés d'une perfection surhumaine et cette tendance à se passer la main dedans pour les décoiffer. Terriblement cliché, mais beau gosse. Est-il aussi sage que l'indique sa Couleur, ou est-ce une de ses personnes qui n'en a que pour l'apparence et non pour l'intelligence ?

Et enfin, Axel. Tout chez lui est parfait – dans le sens qu'il n'y a rien en désordre. Ses cheveux soigneusement peignés, ses vêtements ne comportant pas un seul pli et sa chemise boutonnée jusqu'en haut. Calme, je n'ai pas été surprise lorsqu'il nous a dit être Bleu.

Je dérive dans mes pensées, j'essaye d'imaginer comment seront les cours. Les professeurs seront-ils stricts ? Va-t-on avoir une pile de devoirs à remplir pour le lendemain, qui nous feront désespérer, sans aucune pose ? Aurons-nous des classes en commun ? Que va-t-on apprendre ?

Une image d'un oiseau posé sur une branche me parvient.

Une pie, me murmure une voix. Le Roi Lumière.

Lorsque je reviens au présent, mes amis parlent de leur nom.

— Ciaran signifie Jeune homme aux cheveux noirs, dit-il.

— Oh ! Ça te correspond en plus ! Moi ça signifie Rose et doux ! déclare Rose. Et toi Nami, c'est quoi ?

— En latin... Heu, Langue Ancienne, c'est Vague. Et Kael, c'est prairie.

— C'est quoi prairie ? interroge Cian.

— C'est une grande étendue verte, j'explique. Je l'ai lu dans les livres, ajouté-je devant leur visage surpris.

Je ne peux tout de même pas leur dire qu'un roi mort me rend visite en pensées !

— Aésa veut dire le Dragon est plénitude, reprend ma colocataire. Et si mes connaissances en Langue sont bonnes, Marin veut dire Mer, et Cian, Vieux.

— Ancien, je la corrige. Vieux se dit Vetus. Et Axel est Père de la paix.

Les garçons paraissent impressionnés par notre maîtrise de la langue. Je ne peux m'empêcher de me sentir coupable malgré tout, car, tandis qu'Aésa a travaillé dur pour l'apprendre, cette langue est implantée dans mon cerveau.