Fyctia
Prologue
Le regard perdu au loin, je me cramponne de toute mes forces à la rambarde du balcon jusqu'à en avoir mal au doigts. Jusqu'à ce que mes jointures blanchissent et que je ne ressente plus le froid du métal contre ma peau.
Je contemple l'horizon, entre les toits de Paris qui se dressent devant moi, et je me demande si quelque part, sous les tuiles, quelqu'un ressent la même chose que moi. J'imagines que ça doit être le cas. Impossible d'être la seule dans toute la Capitale à avoir l'impression que son monde est en train de s'écrouler. Impossible d'être la seule à avoir perdu toute raison de vivre.
J'aimerais me sentir soulagée en pensant à cette autre personne, celle qui traverse sûrement pire que moi et qui a peut-être déjà renoncé, mais je n'y trouve aucun réconfort. Je me fiches pas mal de savoir ce que Pierre, Paul ou Jacques peuvent penser. Je n'ai jamais été aussi égoïste qu'à cet instant, je me fous de tout et de tout le monde. Tout ce qui compte, là, maintenant, c'est moi et ce que j'ai perdu.
Machinalement, je baisse les yeux sur la cicatrice qui barre mon genou droit et passe ma main dessus, comme on le ferait après s'être cogné, pour atténuer la douleur. Malheureusement, je pourrais frotter mon articulation pendant des heures, rien ne pourrait réparer les dommages qui ont été commis.
Assise sur le garde-corps, mes jambes nues pendantes dans le vide, seulement retenue par une main j'observe la rue en contrebas. La vie continue, les Parisiens s'activent comme toujours, ils vont au travail ou déjeuner entre amis, je ne sais plus quelle heure il est, ni quel jour nous sommes, mais de voir tout ce monde s'agiter quinze mètres sous mes pieds finit de me retourner l'estomac.
Pourquoi est-ce qu'ils vont bien, eux, alors que je suis au trente-sixième dessous ? Ce n'est pas juste ! Je n'ai rien fait de mal, moi aussi je mérites d'être heureuse!
J'ai toujours fait ce qu'il fallait, j'ai suivi les règles et me suis donnée à fond pendant des années - enfin, jusqu'à cette soirée- et tout ça pour quoi ? Pour rien. Je me suis à peine écartée du chemin, je me suis prise à espérer d'un "plus" le temps de quelques heures et voilà ce que je récolte. Non, vraiment, ce n'est pas juste.
Le seul responsable, c'est lui. C'est à cause de lui que je me retrouve dans cet état, et lui continues à vivre sa petite vie tranquille. Je le déteste !
Sans que ce soit prémédité ou vraiment réfléchis, je lâche la rambarde à laquelle je me retenais. Un doigt après l'autre. Lentement. Je me sens attirée par le vide en dessous de moi. Il m'appelle. Penchée en avant, je glisse doucement et quand je suis sur le point de tomber, je ferme les yeux et prend une profonde inspiration avant de me laisser basculer.
Mais je ne tombe pas.
Un bras puissant se referme sur ma taille et me tire en arrière quand moi je voulais aller dans le sens opposé. Je me débats, je frappe, je mords mais ne parviens pas à me défaire de mon "sauveur". Alors, épuisée par la bataille et le manque de sommeil, j'abandonne. Je me laisse hisser au-dessus du garde corps et tirée à l'intérieur de l'appartement. La tête tournée sur le côté, j'aperçois sans le vouloir dans la porte vitrée restée ouverte le reflet de ma silhouette émaciée, très loin de ce qu'elle a pu être autrefois. Et encore une fois, le rappel de tout ce que j'ai perdu me fais craquer. Les larmes coulent sur mes joues sans que je puisse les arrêter, encore et encore, comme si je n'avais pas pleurer depuis des siècles et qu'il fallait que j'évacue le trop plein.
Quand enfin on me pose sur tapis du salon, je relève un regard brouillé vers celui qui se tient accroupi devant moi, le visage déformé par l'inquiétude. Il pose une main apaisante sur ma joue brûlante, et je m'effondre. Lovée dans ses bras, j'alterne crise de larme et coup de sang jusqu'à ce que, vidée, je me mette à somnoler.
- Pourquoi tu as fait ça ? me demande mon père.
Mon coeur se serre en entendant la manière dont sa voix se casse sur ses derniers mots. Je m'en veux de le faire souffrir, mais j'ai perdu tout espoir.
- A quoi bon continuer, maintenant ? Ma vie est foutue.
- Mais non ma chérie, tu as encore tant à faire et à voir.
J'entends ce qu'il me dit, mais je n'y crois pas. Pas un seul instant.
- Tout ça, c'est de sa faute, murmuré-je. Si tu savais comme je le déteste.
Mon père, compréhensif, hoche la tête et dépose un baiser sur ma joue avant de se relever.
- Il n'y peut rien. Et toi non plus. Au fond, tu le sais.
Il réajuste son pantalon et esquisse un pas vers la porte de ma chambre, en claudiquant légèrement. Le pauvre, après avoir passé des heures sur la route, il a dû s'asseoir à même le sol pour consoler sa fille dépressive. La culpabilité m'étreint une nouvelle fois en le voyant s'arrêter sur le seuil de la pièce, les cheveux en bataille et l'air débraillé, lui qui est toujours si soigné. Il me lance un regard inquiet et ouvre la bouche, avant de la refermer aussitôt.
- Tu vas où ? demandé-je d'une petite voix.
- Préparer tes affaires. Tu vas revenir à la maison pendant quelques temps, si tu veux bien.
Pour toute réponse, je hoche la tête mollement, soulagée d'avoir enfin quelqu'un sur qui me reposer.
- Je vais préparer tes affaires, dit-il en se frottant l'arrière du crâne. Tu ne vas pas...
- Non, je ne vais pas sauter. Promis.
Il hésite un instant, regarde tour à tour la chambre, le balcon et moi. Puis finalement, il s'avance jusqu'à la porte fenêtre qu'il verrouille, en prenant soin de garder la clé sur lui.
- Juste au cas où, me dit-il en m'adressant un clin d’œil qui ne suffit pas à cacher son désarroi.
Tu as bien fait, papa. Je ne suis pas sûre que j'aurais tenu parole.
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Emilie May (Bookofsunshine)
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Il y a 5 ans
RIPOST
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Il y a 5 ans
AlienLikeU
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Il y a 5 ans
Camille Jobert
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Elobiblio
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