Fyctia

Léa et moi quittons Ottakring et repartons d’un pas rapide et décidé vers son appartement. J’ai préféré ne pas lui reparler de son passé d’autant que nous digérons encore les dernières informations transmises par Karl qui nous laissent un sentiment mitigé.

Je suis impatiente d’enquêter sur notre quatrième victime, Johanna Luz.

Léa semble plutôt préoccupée par le fait que la cinquième victime a « disparu ».

Et Karl a conclu l’appel en nous informant qu’il voulait profiter de la fin anticipée de la mission de son client pour participer à une Murder Party dans un manoir de Braunau. Il ne sera donc pas joignable de tout le week-end. Il va falloir nous débrouiller seules !

A peine rentrées, nous reprenons notre petit rituel. Je vais inscrire sur le tableau le nom de notre quatrième victime pendant que Léa m’informe de la date de son décès : le 7 août. Je me demande si cette information nous est encore utile.

Puis je reprends ma place habituelle à côté d’Eva sur la table. Elle est déjà très concentrée sur la recherche d’informations liées à notre quatrième victime et je sens que ce n’est pas le moment de lui parler.

Je vais nous préparer du thé et j’y ajoute deux parts de sacher torte que j’ai achetée quand nous étions dans Ottakring. Je sens qu’il va nous falloir des forces pour tenir toute l’après-midi !

- Ce nom de Johanna Luz ne vous dit rien Lisa ?

- Non, pourquoi il devrait ?

- Elle travaillait à l’université de Linz.

- Non ! A l’époque où j’étais étudiante ?

Je reviens rapidement m’assoir à côté de Léa avec le thé et le gâteau. Ma tête bouillonne autour de ce nom qui ne me dit malheureusement rien.

- Non, mais elle y travaillait à l’époque où Enzo et Chris étaient étudiants.

- Mais elle faisait quoi à l’université ?

- Elle était documentaliste à la bibliothèque visiblement.

Je me creuse la tête. Autant lorsque j’étais étudiante, j’ai passé beaucoup de temps à la bibliothèque pour compulser des livres de droit. Autant Enzo ne m’en a jamais parlé.

- Et tu as identifié des proches ?

- Non, elle est assez discrète sur les réseaux sociaux.

- C’est rare ! Sauf si elle a déjà un certain âge.

- Non, elle une petite trentaine d’années visiblement.

Ne pouvant tenir en place, je regarde l’heure. 14h30.

- Tu sais me dire à quelle heure ferme la bibliothèque Léa ?

- A 18h00 le vendredi.

- En partant maintenant et en prenant le prochain train, nous pouvons y être avant la fermeture !

- Je ne sais pas Lisa, je voudrais vérifier quelque chose qui me trotte dans la tête depuis tout à l’heure, ça vous dérange d’y aller seule ?

Non, bien sûr que non, ça ne me dérange pas. Je sens qu’elle est préoccupée depuis l’appel de Karl.

A moins que ce ne soit par ma question sur son passé.

Dans tous les cas, cela lui fera du bien que je la laisse un peu seule. Elle qui aime être solitaire et sauvage comme elle le dit elle-même, je dois l’étouffer depuis une semaine !

Et puis, j’ai maintenant l’habitude de mener l’enquête et je vais en profiter pour aller voir Enzo. Voire peut-être même ma mère demain matin avant de reprendre le train.

Je mets rapidement mes quelques affaires sales dans ma petite valise et une fois encore, je reprends le train pour repartir à Linz ! Je peux vous décrire chaque mètre de paysage urbain ou campagnard le long de la ligne ferroviaire entre Vienne et Linz, tellement je le connais par cœur !

C’est toujours avec un pincement au cœur que je franchis la grille de l’université. J’ai eu l’occasion d’y retourner l’an dernier pour la remise de diplôme d’Enzo. La bibliothèque, en revanche, je n’y ai plus mis les pieds depuis ma période étudiante.

Tout comme le reste du campus, la bibliothèque a été complétement modernisée et ne ressemble plus du tout à celle que j’ai connue. L’atmosphère calfeutrée et sombre d’antan a laissé place à de grandes verrières donnant sur les arbres qui commencent à se parer des couleurs de l’automne d’un côté et sur les autres bâtiments de l’université de l’autre. Malgré la grande hauteur sous plafond et l’organisation en « open space », l’atmosphère reste calme et studieuse. En ce vendredi avant la fermeture, seuls quelques étudiants sont encore présents dans la partie bibliothèque, les autres ayant commencé à investir les espaces de travail collaboratifs qui restent ouverts tout le week-end.

Je me dépêche d’aller questionner les trois salariés de la bibliothèque encore présents avant qu’ils ne partent.

Une fois mes interrogatoires terminés, je ressors sur le campus et en profite pour appeler Léa :

- Bon, ça n’a pas donné grand-chose.

- Pourquoi ?

- Johanna était très discrète selon ses collègues. Tout juste savent-ils qu’elle a perdu ses parents plus âgés il y a quelques années et qu’elle était fille unique. Apparemment, ses parents l’ont eu sur le tard.

- Un fiancé, des amies ?

- Pas que ses collègues connaissaient en tout cas. Je me demandais, ce ne serait pas l’occasion d’utiliser le fameux FraudGPT pour essayer de trouver si une de ses connaissances a touché de l’argent de Labopharm ?

Je sens que Léa a quelque chose à me dire mais qu’elle n’ose pas.

- Léa, tu vas bien ?

- Oui, je viens de remettre la main sur une coupure de presse du Wiener Zeitung. J’étais tombée dessus lors de mes recherches en début de semaine sur les événements marquants de juillet et août 2022. Mais je n’avais pas fait le rapprochement.

- Quel rapprochement ?

- C’est Karl qui m’y a refait penser en affirmant que la cinquième personne ne s’était jamais présentée à Nord Wien Lab pour les tests d’éligibilité. Et j’ai revérifié, Nord Wien Lab est bien situé sur Mainz Strasse.

Je ne vois pas où Léa veut en venir mais elle poursuit :

- Je te lis l’article qui date du 12 juillet 2022 :

« Terrible accident de voiture aujourd’hui sur Mainz Strasse. Vers 10h20, le conducteur, qui se rendait à un rendez-vous médical pour apparemment tester un nouveau médicament, n’a pas pu éviter un camion qui a déboité sur sa droite. Il est mort sur le coup tout comme son épouse. Leur petit garçon, âgé de 9 ans et assis à l’arrière gauche est encore en vie mais son pronostic vital est engagé. Il est dans un profond coma ».