Nicolasm59 Coma Le drame

Le drame

Sentant que je suis extrêmement tendue, Madame Dietrich est allée préparer du thé dans la cuisine. Je me force à respirer lentement en parcourant ce qu’il y a dans la pièce pour me calmer. J’avais commencé à faire des séances de « pleine conscience » à une période où j’avais beaucoup de crises d’angoisse mais cela n’a jamais été très efficace. J’essaye quand même de décrire les lieux. Je suis dans un salon d’une demeure bourgeoise comme il en existe beaucoup à Vienne. Il est décoré avec raffinement et sans ostentation. A quelques mètres devant moi, se trouve la photo d’un homme avec un air grave et j’imagine que c’est Monsieur Dietrich.


Le retour tonitruant de son épouse me remet en tension :


- C’est donc normalement avec votre fils que j’aurais dû avoir cette conversation Madame Gruber mais j’ai compris que ce n’était pas possible…

- Oui, malheureusement, je vous confirme que c’est rigoureusement impossible !

- Soit. Écoutez-moi attentivement, dit-elle d’un ton solennel en me versant une tasse de thé. Il y a eu un drame chez Labopharm. Lors de la première phase des essais cliniques sur un antiépileptique appelé à être un produit phare. Les cinq volontaires sont décédés.


J’en lâche presque ma tasse ! Cinq décès ! J’essaye de lui masquer mon trouble et j’enchaine comme je peux :


- Et votre mari était responsable ?

- Ce type de drame n’était bien évidemment jamais arrivé avant. La phase pré-clinique avait été un succès. Le protocole très strict avait été respecté et les autorités de tutelle avaient toutes donné leur feu vert.


Je ne sais pas si c’est le thé brûlant ou mon émotion mais je commence à transpirer. Je réalise ce que Madame Dietrich est en train de me raconter et je ne me souviens pas avoir entendu parler d’un incident médical avec cinq morts, ça a dû faire la une des journaux !


- Et comment se fait-il que la presse n’en ait pas parlé ?

- Comme le gouvernement avait donné son accord, ils ont étouffé le scandale et Labopharm a donné beaucoup d’argent aux familles des victimes. Après enquête, ils se sont rendu compte que le médicament administré n’était pas le même que celui qui avait été validé. Les données pré-cliniques avaient été modifiées avant le passage à l’essai clinique.

- Mais comment est-ce possible ?

- C’est toute la question ! Et mon mari étant responsable de la sécurité des données pré-cliniques et cliniques pour LaboPharm, il a été immédiatement mis à pied, puis licencié pour faute grave. Il s’est senti directement responsable de la mort de ces cinq pauvres personnes et ne s’en ait jamais remis.


Je déboutonne mon gilet et cherche de l’air. Je suis accablée par cette révélation. Des tonnes de questions se percutent dans ma tête. Un problème de sécurité de données ? Le stage d’Enzo ? Cinq morts ? J’imagine que c’est certainement parce que l’affaire a été étouffée qu’Enzo n’en a pas eu connaissance et qu’il ne m’en a pas parlé ?


- C’est affreux ! Et vous pensez que mon Enzo était au courant de quelque chose ?

- C’est à vous de me le dire Madame ! Mon mari s’est refait le film cent fois dans sa tête et le soir en question, avant que les données pré-cliniques ne soient transférées, il était resté seul avec les deux stagiaires pour revoir leur rapport de stage. Avant de se suicider, il pensait que c’était à ce moment-là que ça s’était passé, même s’il ne savait pas comment.


Mes bouffées et ma suffocation se transforment lentement et sûrement en colère. Je ne sais pas si c’est son ton péremptoire ou ces sous-entendus accusatoires concernant mon Enzo, mais je commence à perdre patience. Comme si cela pouvait être un pauvre stagiaire sans responsabilité ni expérience qui mette à mal un protocole médical !


- Et plutôt que de penser qu’ils sont coupables, pourquoi vous n’avez pas cherché à joindre mon fils ou l’autre stagiaire il y a un an pour leur demander ?

- Parce que mon mari m’avait fait jurer de n’en parler à personne et comme LaboPharm et le gouvernement effacent toutes les traces, il ne voulait pas compromettre des stagiaires sans être certain que ce soient eux les responsables. Mais comme là c’est vous qui êtes venue me voir, c’est différent. Et je sais que mon mari n’aurait pas eu d’objection à ce que j’en discute avec Enzo si c’était à sa demande.


« Sans être certain que ce soient eux les responsables ! ». Encore un homme d’une grande lâcheté qui a cherché à reporter sa culpabilité sur deux pauvres stagiaires ! Je ne sais plus quoi penser.


Enzo ne m’en a jamais parlé et je ne sais même pas s’il était au courant ? C’est certain que s’il était au courant et qu’il se sentait responsable, cela peut expliquer un choc traumatique. Il n’y a qu’à voir le geste désespéré de Monsieur Dietrich. Mais pourquoi cela arriverait à Enzo un an après ?


A chaque fois que j’ai l’impression d’avancer, je vois la ligne d’arrivée s’éloigner et la situation empirer. J’enlève complétement mon gilet et je bois une gorgée de thé alors que Madame Dietrich me regarde d’un air réprobateur. Et c’est dans un moment comme celui-là que je me rends compte à quel point Martha et sa force me manquent. Martha ? Mais oui je sais ce qu’elle aurait demandé !


- Et vous avez conservé les coordonnées de l’autre stagiaire ?

- Mon mari gardait tout. Je vais vous retrouver ça.

- Merci !


J’ai l’impression de sortir d’un match de boxe, tellement je suis sonnée. Et maintenant j’ai des frissons ! Je suis en train de remettre mon gilet quand Madame Dietrich réapparaît :


- Voilà, il s’agit d’un certain Herbert Freudmann, qui habitait Grinzing à l’époque.


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24

24 commentaires

alsid_murphy

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Il y a 17 heures

Like de fin de concours 🙂

Leo Degal

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Il y a un mois

Bizarre affaire... Si on a remplacé le médicament au dernier moment, c'est fatalement un acte malveillant... 🤔 La personne qui l'a fait doit être furieuse que tout ait été étouffé !

Blanche de Saint-Cyr

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Il y a 2 mois

L'intrigue se corse !

Lune34

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Il y a 2 mois

Cinq morts ? Pauvre Enzo, je comprends maintenant pourquoi il a été traumatisé

Naelly2023

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Il y a 2 mois

Vraiment, je trouve ce chapitre un des mieux réussi. On sent son angoisse, qu'elle a peur de ce que cette femme peut lui dire ! Continue dans ce sens, n'hésite pas à en rajouter plus, aussi !

Nicolasm59

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Il y a 2 mois

Merci ! J’essaie de suivre tes conseils

Seb Verdier (Hooper)

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Il y a 2 mois

Le thème est intéressant. J'avais (il y a fort longtemps) un pote qui testait des medocs pour des labos. C'était bien rémunéré mais on ne savait jamais vraiment ce qu'il prenait en réalité... Très bonne idée pour un thriller.

Nicolasm59

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Il y a 2 mois

Oui, le test des médicaments a fait partie des "jobs étudiants" assez prisés à une époque : insouciance et argent facile ? Merci pour tes encouragements !
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