Fyctia
42. Victoria
Samedi 25 mai
Si ça continue, je vais rater mon année à cause de ce crush ridicule pour un peintre renommé de dix ans mon aîné. Je n’ai pensé qu’à ce rendez-vous depuis que nous nous sommes mis d’accord pour nous revoir — ce que j’allais lui dire, ma tenue, cheveux lâchés ou pas.
Après une succession d’actions floues du quotidien, je me hâte enfin dans Central Park en direction de la fontaine Bethesda. Son ange déploie ses ailes, le soleil se réverbère dans l’eau.
Et Sebastian m’attend, un mince sourire aux lèvres.
Mon cœur se bloque dans ma poitrine. Qu’est-ce qu’il est beau ! En jean et t-shirt, il est encore plus sexy qu’en costume. J’ai déjà envie de le sentir contre moi. Je franchis la distance qui nous sépare sur des jambes tremblantes et m’arrête face à lui.
— Désolée, je suis à la bourre.
— Je n’en attendais pas moins de toi.
J’émets un rire étranglé et secoue la tête. La tendresse que je lis sur son visage me chamboule, comme toujours. Je n’hésite plus et me blottis dans ses bras. S’il semble surpris l’espace d’un instant, il se reprend vite, passe ses mains dans mon dos et pose son menton sur le haut de mon crâne. Se rend-il compte à quel point nos corps se joignent à la perfection ?
— Salut, murmuré-je.
— Bonjour, Victoria.
Je me serre plus fort contre lui en prévision du moment où il faudra que je le lâche. Cette perspective me fait déjà trembler. Il place une main à l’arrière de ma tête.
— Merci d’avoir accepté que l’on se voie, continué-je, plus fort.
— Pas de souci. C’est avec plaisir, cela dit, hum, rien n’a changé, pour moi. Je ne veux pas que tu te fasses des idées.
Je soupire et me détache de lui à regret. Je me force à ne plus le toucher du tout — même si je m’y étais préparée mentalement, c’est un supplice.
— Je me doute bien. Tes raisons sont tellement valides que je savais que t’allais pas changer d’avis en deux semaines. Aussi, t’inquiète, je vais pas me lancer dans une entreprise de séduction à ton égard.
— Je n’ai jamais pensé ça non plus, je ne suis pas inquiet. Pas pour ça, en tout cas. J’ai peur de te faire souffrir, par contre.
— Ah, ça… sûrement. C’est pour ça que je voulais te parler aujourd’hui, j’ai besoin… je sais pas trop, en fait, mettre cartes sur table pour ensuite pouvoir tourner la page.
— OK, viens, on s’assoit, déclare-t-il en désignant le large rebord de la fontaine. Il n’y a pas de table, mais ça devrait fonctionner quand même.
Je pouffe et m’exécute.
— Navré, je ne suis pas réputé pour mon humour.
— Ça va, c’est cute.
Nous nous dévisageons en silence. Le soleil brûle mon dos, à moitié découvert par mon top à fines bretelles, et la présence de Sebastian tout à côté de moi s’occupe de brûler le reste. Je prends une grande inspiration et me lance.
— Tu l’auras compris, tu me plais. Beaucoup. Je suppose que ce n’est pas nouveau pour toi, tu dois avoir toutes les filles à tes pieds.
— Pas vraiment. Je ne sais pas ce que tu imagines, Victoria, assène-t-il d’une voix ferme. Je n’ai eu personne depuis mon divorce cet hiver.
Son beau visage se referme. Mince, quelle idiote !
— Désolée, je voulais pas t’offenser. Grrr je suis maladroite, pour tout, comme tu le sais déjà.
Je prends ma tête dans mes mains et tire sur mes boucles.
— Arrête, ce n’est rien. Tu vas abîmer tes beaux cheveux.
Je les lâche et reporte mon attention sur lui. L’encolure de son t-shirt dévoile une chaîne en or que je n’avais pas encore remarquée.
— C’est ça que je comprends pas. On dirait que je te plais et… je comprends pas.
— C’est pourtant simple : ta passion pour l’art et tes capacités d’analyse me fascinent, tes petites gaffes me ravissent, ta loyauté en amitié m’émeut et ton… hum, et je te trouve très belle.
Mes joues s’échauffent, je baisse la tête et lorgne ses sneakers chic à côté de mes Converses défoncées. Nous sommes si différents… Malgré ce qu’il vient de déclarer, il a raison, je le sais : nous n’avons aucun avenir ensemble. Pourquoi ai-je insisté pour le voir aujourd’hui ? Je lui plais, cependant, zut ! Je repousse mes épaules en arrière et capture sa main dans la mienne. Quand il frémit sans la retirer, ça m’enhardit pour continuer.
— On pourrait essayer quand même. Les ateliers sont terminés. Avant, tu risquais pas de sanctions de l’université, avec ton statut d’intervenant extérieur, mais je comprends, c’était un peu gênant. Maintenant, ce serait tout à fait OK.
— Victoria, j’ai dix ans de plus que toi… tu devrais profiter de ta jeunesse au lieu de te traîner un boulet divorcé et papa de deux enfants.
— C’est pas tant que ça, dix ans. Quand tu parles comme ça, on dirait que tu as déjà cinquante piges !
Je caresse la paume de sa main pour atténuer la virulence de ma répartie.
— Du point de vue de quelqu’un de ton âge, c’est pareil. Les responsabilités qu’on a à trente ans et quelques ou à cinquante sont les mêmes : s’occuper de nos enfants, payer les factures, gérer notre carrière. Et encore, pour le premier point, c’est sûrement plus facile à cinquante ans que ça ne l’est pour moi maintenant, avec des garnements si petits.
— Je comprends ça, je suis pas une jeune écervelée, rétorqué-je, sur la défensive. Je sais ce que ça veut dire, avoir des responsabilités.
— Je n’en doute pas et ce n’est pas ça que je voulais dire. Tu vois, je peux être maladroit aussi.
Il ricane durant une seconde ou deux. Deux petites filles passent en courant devant nous, suivies par un homme qui les somme de s’arrêter. Sebastian attend qu’un calme relatif soit revenu avant de reprendre.
— À vingt ans, tu as la vie devant toi. Tous les champs des possibles s’ouvrent, rien n’est fermé. Te mettre en couple avec quelqu’un de plus âgé réduirait ces possibilités. Tiens, je ne suis même pas sûr de vouloir d’autres enfants. Je ne sais pas si tu en veux, de ton côté, ou si tu y as déjà réfléchi, par contre t’engager avec moi pourrait t’enlever ce choix que tu as encore largement le temps de faire.
— C’est à moi de décider de tout ça ! Là tu cites des raisons qui m’empêcheraient, moi, de commencer quelque chose avec toi. Quelles sont tes raisons à toi ?
Sa bienveillance m’exaspère, aujourd’hui ; j’aimerais qu’il se préoccupe moins de mon bien-être et de mon avenir. Il ferme les yeux l’espace d’une seconde et pousse un long soupir douloureux.
— Mes enfants, justement… je crains de les perturber, ils se remettent à peine du divorce. Ma fille est encore très affectée. D’ailleurs, je ne cherche pas de relation, pour être franc. Je n’oserai pas leur présenter quelqu’un, c’est trop tôt, et j’ai peur que ça ressorte dans la presse, si on assiste à un vernissage ou je ne sais quoi. Je vois l’article d’ici là “le peintre et l’étudiante”.
— Tes enfants de deux et quatre ans doivent pas lire les journaux… avancé-je avec pragmatisme.
— Certes. Néanmoins, ils pourraient l’entendre à leur garderie, par exemple… Tu vois bien comment sont les gens.
58 commentaires
Cara Loventi
-
Il y a un mois
Marie Andree
-
Il y a un mois
Alexia Moreno
-
Il y a un mois
Marie Andree
-
Il y a un mois
Le Mas de Gaïa
-
Il y a un mois
Marie Andree
-
Il y a un mois
Gottesmann Pascal
-
Il y a un mois
Marie Andree
-
Il y a un mois
WildFlower
-
Il y a un mois
Marie Andree
-
Il y a un mois