Fyctia
39. Sebastian & Victoria
Jeudi 9 mai — Sebastian
Un seul visage danse devant mes yeux. Une seule voix chantante murmure à mes oreilles. Un seul prénom tourne dans ma tête depuis hier soir.
Victoria.
Une nostalgie lancinante me suit partout. Preuve que ça va vraiment mal : je n’ai pas réussi à peindre.
Pourquoi lui ai-je dit qu’on ne pouvait pas être ensemble ? Je suis obligé de répéter mes raisons à voix haute pour tenter de me convaincre moi-même. L’écart d’âge me paraît important — ce n’est pas le nombre d’années au total qui compte, c’est plutôt le moment où nous nous trouvons chacun dans notre vie. Dans notre cas, ces moments sont très différents, j’en suis persuadé. Les préoccupations d’un étudiant n’ont rien à voir avec celles de quelqu’un qui a une carrière bien lancée. Surtout quand cette personne a déjà deux enfants.
Justement, récupérer Sarah et Ethan à leur garderie élitiste, sélectionnée par Emily, regonfle un peu mon cœur tout flétri. Ils sont ravis de me voir, ma fille se lance dans un compte rendu de sa journée. Je n’arrive pas à suivre, je me perds dans les prénoms : certaines de ses copines se sont disputées et elle doit choisir à qui elle souhaite offrir son allégeance.
Ils prennent le goûter et nous jouons aux Duplo dans la salle de jeux qui fait aussi office de chambre d’amis. Ici, ils peuvent s’étaler, ça me crispe moins s’il y a du bordel. Je n’ai qu’à fermer la porte quand on ne s’en sert pas et j’oublie.
J’aimerais bien faire de même pour mon dilemme avec Victoria. Elle a répondu de manière lapidaire à mes messages d’hier soir, je n’ose plus lui en envoyer depuis. Bien que je la comprenne tout à fait, je suis bloqué. Pourtant elle me plaît beaucoup, c’est indéniable. Les regrets m’étouffent, ainsi que la honte de l’avoir contrariée et la colère contre moi-même. Le manque d’elle, aussi, se manifeste déjà. Ses lèvres douces contre les miennes, son parfum floral, ses doigts brûlants sur mon torse, ses petits soupirs. C’était fantastique.
— Papa ? T'as vu ce que j’ai fait ?
Assis par terre sur un tapis moelleux, je reporte mon attention sur ma fille et sa nouvelle construction Duplo. J’aime bien cette activité, c’est moins salissant que la peinture. Le travail que l’on doit fournir pour structurer les formes est intéressant et on peut également jouer avec les couleurs. D’ailleurs, la production de Sarah, une maison carrée, pourrait mieux mettre en avant certaines des teintes utilisées.
— C’est très bien, ma puce. Les briques sont jolies ensemble. Tu pourrais placer ce cube bleu à la place du rose pour qu’il soit à côté de ce rectangle vert d’eau.
— OK !
— Moi bien aussi ? demande Ethan.
Mon bonhomme a fabriqué un mur de guingois.
— Bien sûr, mon grand. Regarde, il faut juste que tu appuies plus quand tu poses une brique, comme ça.
— Je te montre, Ethan, intervient sa grande sœur, toujours prévenante.
Le sourire de mon petit garçon nous éblouit. À seulement deux ans, il montre une envie époustouflante d’apprendre dans tous les domaines. Ils continuent à jouer tous les deux dans un calme relatif. Je les contemple, le cœur gonflé d’amour et de mélancolie. Ce moment tout simple passé avec eux me convainc que je ne dois pas les brusquer, ça me conforte dans mon idée. Je ne peux pas leur présenter de nouvelle amoureuse pour l’instant. Ils ne comprendraient pas. Sarah espère toujours que nous formerons de nouveau une famille unie avec sa mère. Même Emily semble espérer cela…
Ma vie est bien trop compliquée. J’espère que Victoria en prendra bientôt conscience et acceptera mes réticences sans trop souffrir.
***
Dimanche 12 mai — Victoria
Je fixe mon cupcake d’un air morne. La bonne humeur qu’il évoque grâce à son glaçage rose bonbon et ses décorations turquoise me paraît ostentatoire. J’ai envie de le réduire en bouillie afin de faire disparaître ce bonheur inaccessible qu’il me renvoie au visage.
Nous nous trouvons dans une petite bakery de Greenwich Village. La déco est assortie aux gâteaux et à l’opposé de ce que je ressens : arc-en-ciel et licornes nous entourent. La boutique est moins prise d’assaut que certains endroits plus réputés. Nous avons déniché une place à l’écart afin qu’Ava puisse profiter sans risque de récolter les germes des autres clients. Sous le regard scrutateur de mes deux amies, je me lance dans ma dégustation. Le sucre m’écœure dès la première bouchée et me retourne le ventre, tout comme les effluves qui dansent dans la pièce. Je poursuis : après tout, je suis habituée à avoir mal au cœur depuis notre baiser avec Sebastian.
Respecter sa décision se révèle une tâche ardue. J’ai envie de l’appeler ou de lui écrire et de le supplier pour qu’on se voie. J’aimerais le convaincre de nous laisser une chance. Je me lancerais dans une redoutable entreprise de séduction. Depuis jeudi, j’ai rédigé à maintes reprises un message à son intention avant de l’effacer. Seuls ses enfants m’arrêtent. Ce n’est pas un jeu pour moi, ça l’est encore moins pour eux.
— C’est super bon, hein ? demande Brooke, avec un enthousiasme forcé.
Pas très subtil. Même Ava lève les yeux au ciel : les gâteaux colorés sont assez ordinaires, ici. Je ne leur en veux pas, elles s’inquiètent pour moi depuis mercredi soir et essaient de me changer les idées.
— Ils sont OK, lâché-je, laconique.
Je reprends plutôt une gorgée de mon cappuccino, bien maîtrisé. Je n’ai pas ajouté de sucre et l’amertume du café s’accorde très bien avec mon état d’esprit actuel. Les filles se lancent dans un comparatif des meilleurs cupcakes de New York. Je me rencogne dans mon siège et les laisse parler.
— Je crois que je vais sécher l’atelier de mercredi, déclaré-je à brûle-pourpoint.
Je suis intervenue alors que mes amies reprenaient leur souffle. Elles mettent un instant à réagir.
— Oh non ! s’écrie Brooke. Ne lui accorde pas cette victoire.
— Une victoire ? Ça a rien à voir. C’est juste pour me protéger.
Sa réaction m’étonne. Je n’en veux pas à Sebastian.
— Oui, Brooke, il n’y a pas de gagnant ou de perdant dans cette histoire, intervient Ava, toujours plus tempérée.
— OK, OK, certes. Mais te revoir lui permettra peut-être de se rendre compte de ce qu’il rate.
Je grimace, autant à cause du sucre écœurant de ma pâtisserie qu’à cause de sa remarque.
— Je pourrais débarquer dans une tenue à couper le souffle, maquillée et coiffée à la perfection, que ça changerait rien, je pense. Ses enfants seront toujours sa priorité et nous aurons toujours dix ans d’écart. Et comme il considère que c’est important…
— Tu as raison, excuse-moi, acquiesce Brooke. C’est à toi de voir.
— Oui, c’est comme tu le sens, choupette. Tu peux même décider au dernier moment.
Je hoche la tête et avale une nouvelle gorgée de mon café, décidément bien amer.
— En tout cas, ça me conforte dans mon idée : les relations amoureuses, ça craint ! déclare Brooke, une étincelle vindicative dans ses iris verts.
Mon amie a raison. Seuls le chagrin et la déception sont toujours au rendez-vous.
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