Marie Andree Columbia Blues 38. Victoria

38. Victoria

— Non, m’empressé-je de la détromper. L’envie était mutuelle et c’était extraordinaire. Assez… chaud, très vite.


Elles lancent des « ouhhh » émerveillés tandis que ça palpite de nouveau à l’intérieur de mon ventre. Mince, c’était le meilleur baiser de toute ma vie ! Dois-je me battre pour lui ? Je me laisse tomber en travers de mon lit, allongée sur le dos. Elles me rejoignent, Ava me prend la main.


— Pourquoi t'as l’air triste, alors ? s’enquiert-elle. Il a dit ou fait quelque chose qui t’a déplu, après ?

— Oui, il a dit quelque chose qui m’embête légèrement : on peut pas être ensemble.

— Aïe, désolée bichette.


Rien de plus. C’est donc que cette conclusion est évidente ?


— Attends, tu devrais peut-être reprendre depuis le début, Vee, intervient Brooke. Comment en êtes-vous arrivés à vous embrasser dans une salle de cours à Columbia ? Ça semble… rapide. Ou alors tu as omis de nous dire certains trucs, en plus des textos.

— Pas vraiment, disons qu’au club de blues de son frère, y a eu un moment, hum… étrange.


Je leur relate ses mains sur ma taille, son regard dans le mien et son souffle sur mes lèvres lorsqu’il m’a rattrapée car on m’avait bousculée.


— Je croyais que j’avais rêvé, ce soir-là, mais pas tant que ça, au final, compte tenu de ce qui s’est passé aujourd’hui. Je lui plais, de toute évidence.

— Tu es une petite cachottière ! m’accuse Brooke. De toute façon, rien qu’avec le nombre de messages qu’il t’envoie et la façon dont il te contemple pendant ses ateliers, on n’avait pas trop de doute. Hein, Ava ?

— Tu l’intéresses clairement depuis le premier jour, en effet. Bon, et il s’est passé quoi ce soir ?


Mon compte-rendu débute : notre discussion afin de choisir la meilleure œuvre pour New York Art Life, son souvenir de notre rencontre à son vernissage, l’attirance évidente dans son attitude et l’alchimie folle entre nous. Les filles s’éventent avec leur main à la fin de ma tirade. Elles sont irrécupérables. Ce serait drôle, si le reste n’était pas si triste.


Wow, Vee, ça paraissait fou, comme baiser… commente Ava, l’air rêveur.


Se demande-t-elle si elle vivra cela un jour, elle aussi ? Je n’ai pas le temps de m’attarder là-dessus, car Brooke enchaîne.


— C’est clair ! Je meurs ! Et l’autre abruti a tout stoppé, c’est ça ?

— C’est pas un abruti, répliqué-je avec un soupir.

— Quand même… insiste-t-elle.

— Il a ses raisons, n’est-ce pas, choupette ?


Ava se montre plus diplomate, comme toujours. Je prends une grande inspiration avant de leur fournir les explications de Sebastian, en particulier celles liées à ses enfants. Même Brooke se trouve à court de remarques acerbes à émettre face à tant de rationalité.


— Oh, euh, pas tout à fait un abruti, alors ?


J’émets un son entre le rire et le sanglot.


— Pas tout à fait, non. Le pire c’est que je suis d’accord avec lui.

— Désolée, choupette, déclare Ava en déposant un baiser sur ma main, qu’elle n’a pas lâchée depuis le début de notre discussion.

— Il te plaît vraiment, hein ? murmure Brooke, que la solennité de l’instant semble avoir rattrapée.

— Oui… j’y avais pas réfléchi jusqu’à présent, car j’étais persuadée que je pouvais pas intéresser le grand Sebastian Harper... J’avais tort, de toute évidence.

— Bien sûr ! s’exclame Ava. Je t’avais dit que tes capacités d’analyse l’avaient bluffé dès le début. Bon, tes jolies boucles brunes aussi, je suppose.


Nous pouffons de concert, puis soupirons comme si nous portions toute la misère du monde sur les épaules. Mes yeux ne quittent pas le lustre baroque de ma chambre. J’ai peur que les visages de mes amies reflètent trop mon chagrin, je préfère ne pas les regarder.


— Alors, qu’est-ce que tu vas faire ?

— Avec Sebastian ? Rien. Toutes ses raisons sont valides et elles ne vont pas s’évaporer comme par enchantement. On aura toujours dix ans d’écart, il aura toujours deux enfants et une ex-femme.


Je me redresse et ose enfin faire face à mes deux amies. C’est bien ce que je craignais : la sollicitude inscrite sur leurs traits me pince le cœur.


— Eh, tirez pas des têtes de trois pieds de long ! Une bonne chose ressort de tout ça : la preuve que je vais mieux ! Je laisse derrière moi ma précédente relation pourrie et je suis prête à en débuter une autre.


Les filles se jettent un coup d’œil gêné, pas dupes.


— Je vous promets que je vais bien, affirmé-je d’un ton que j’espère assuré. On mange ?


Mon appétit est pourtant resté dans la salle aux lambris, à Columbia. Je préfère faire bonne figure devant elles. Je ne veux pas les inquiéter — et je dois me convaincre moi-même : il n’y a pas mort d’homme, simplement une minuscule déception. De leur côté, elles vivent des choses bien pires.


Je me lève sans attendre leur réponse et me dirige vers la cuisine, guidée par l’odeur de plats indiens tout juste livrés et qui patientent sur le plan de travail. Nous nous installons à nos places attitrées autour de la table basse. Mes amies gardent leur regard rivé sur leur curry végétarien, comme si c’était le plus beau tableau qui soit et pas un amas orangé mélangé à des grains de riz blanc. Le silence devient vite assourdissant.


Dans un soupir, je m’empare de la télécommande.


— Bon, vous me saoulez, je mets un film.

— Désolée, choupette, confesse Ava, penaude. On sait pas quoi dire.

— Y a rien à dire. Vous devriez être contentes pour moi car j’ai mis derrière moi ce qu’Arthur m’a fait subir.

— Bien sûr ! s’exclame Brooke. On est ravies pour ça ! C’est juste… hum, c’est dommage que ça ne puisse rien donner avec Harper. Il est beau, gentil, attentionné. C’était le gars parfait pour une nouvelle relation.

— C’était tout de même compliqué, lui se trouve à un moment différent dans sa vie, tempère la plus sage de nous trois. C’est jamais facile de débuter une relation dans ces conditions. Je pense que notre Vee a besoin d’un truc pas prise de tête.


Ses mots sont justes et font écho à ceux de Sebastian et à mes pensées, plus tôt. Mon ventre se serre toutefois. Les effluves de nos plats m’oppressent, mon appétit disparaît pour de bon. Ava se penche au-dessus de la table basse depuis son fauteuil et me tapote la main. J’esquisse un faible sourire. Pendant le reste du repas, les filles parlent de leur planning de révisions. Je prends justement l’excuse d’un devoir à relire pour m’isoler dans ma chambre. Même si elles n’en pensent pas moins, elles ne me retiennent pas.


Ça ne loupe pas, mon téléphone vibre cinq minutes après mon installation sur mon lit.

  • Tu es bien rentrée ?
  • Oui
  • Je vois que tu es en train d’écrire depuis deux minutes, si tu cherches une façon innovante de t’excuser, tu peux arrêter. T’es désolé, je sais, moi aussi
  • Merci, je me creusais la tête mais rien ne venait
  • Je m’en doutais. Bonne soirée

Je grimace face à mes messages plutôt arides et hausse les épaules. C’est un grand garçon, il s’en remettra.


Je dois me protéger avant tout.

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44

44 commentaires

Gottesmann Pascal

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Il y a un mois

Protège toi Victoria mais fait quand même comprendre à Sebastian que votre histoire n'est pas impossible. Effectivement les messages sont très froids mais c'est compréhensible vu la situation et Sebastian comprendra.

Marie Andree

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Il y a un mois

Oui là c'est tout frais, c'est normal qu'elle n'ait pas envie de lui parler...

Lys Bruma

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Il y a un mois

Je me demande comment Victoria et Sebastian vont se retrouver mais je crois que c'est à Sebastian de faire un pas vers elle si il change d'avis 🤍

Marie Andree

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Il y a un mois

Tu as raison...

Morphée68

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Il y a un mois

Bon ... espérons qu’il se rendra compte qu’il ne peut pas vivre sans elle... il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! 😆

Marie Andree

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Il y a un mois

C'est ça 👌🤣

WildFlower

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Il y a un mois

Dur dur... Seb va bien déprimer 🥲 C'est excellent cette scène avec les filles, très parlant haha

Marie Andree

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Il y a un mois

Merci pour ta fidélité 😘
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