Fyctia
37. Sebastian & Victoria
Sebastian
Victoria réunit ses affaires éparpillées entre le bureau et les tables et les fourre dans son sac. Je l’imite. La regarder me pince le cœur. Je déteste la faire souffrir ainsi. Ma douleur n’est rien à côté. Car cela ne fait aucun doute : tout à l’heure, dans mon immense loft vide, j’aurai mal. Mes regrets ne me laisseront aucun répit. Quel abruti ! Je m’étais juré de ne pas succomber. Pourtant, quand j’ai compris que je lui plaisais aussi…
Elle se dirige vers la porte de la salle, les épaules basses. Je la suis à une distance respectable. Je ne sais plus comment me comporter avec elle, je n’ose surtout pas réitérer ma proposition de la ramener en voiture. Pourquoi fallait-il que j’emploie un putain de chauffeur ? Ma colère contre Emily gonfle à nouveau, même si c’est injuste dans ce cas précis. J’aurais pu licencier Frank après mon divorce.
Un couloir morne, un escalier, un autre couloir et un deuxième escalier. Nous voici dans le parc de Columbia. La nuit n’est pas tout à fait tombée, un bout de soleil s’accroche encore. Comme moi, quand ma main attrape la sienne malgré ce que je viens de lui dire et sans se soucier que l’on soit vus. Elle me laisse faire. Nous débouchons dans la rue. Le brouhaha du trafic et des passants, qui contraste avec notre huis clos, m’étourdit.
Nous nous arrêtons un peu plus bas, devant un restaurant coréen d’où émanent de forts effluves. Elle n’a toujours pas retiré sa main de la mienne. La gauche s’agrippe à la lanière de son sac à dos. Maintenant, j’ai peur qu’elle me gifle si je lui demande encore une fois pardon. Je m’exécute quand même.
— Je suis navré, Victoria.
— Moi aussi.
— Laisse-moi te raccompagner, s’il te plaît.
— Je vais rentrer à pied, affirme-t-elle, le menton relevé.
— Quoi ? Non !
— Ce n’est pas très loin, j’ai l’habitude de marcher. Tu sais, comme 99 % de gens dans cette ville qui n’ont pas de chauffeur...
Je me raidis et cherche le mépris dans son ton, je ne le trouve pas. Un petit sourire relève le coin de ses lèvres. Elle plaisante, seulement.
— Très drôle. Mais il est tard. Un taxi, au moins ? insisté-je, soucieux.
Je ne veux pas me positionner en homme surprotecteur, toutefois j’aurais vraiment préféré la raccompagner pour m’assurer qu’elle rentre à bon port.
— J’ai besoin de prendre l’air et de réfléchir après ce qu’il vient de se passer.
— Je suis…
Elle m’interrompt grâce à ses lèvres sur les miennes. Juste une minuscule caresse et elle se recule. Je soupire.
— Désolée, tu allais encore t’excuser, je devais trouver un moyen de te faire taire.
— Bien vu.
Nous nous contemplons en silence, nos airs tristes se font le miroir l’un de l’autre. J’aimerais lui répéter à quel point elle me plaît. Ça ne ferait qu’empirer les choses, je suppose. Si seulement la situation était différente…
Une exclamation derrière elle nous fait sursauter tous les deux. Elle caresse ma main de son pouce avant de la lâcher, un frémissement me parcourt.
— Si tu changes d’avis, tu sais où me trouver, déclare-t-elle dans un murmure.
J’ouvre la bouche pour m’excuser encore, elle me devance, la voix plus ferme.
— Ne dis rien, sinon je t’embrasse encore.
J’émets un rire étranglé. Elle m’adresse un dernier hochement de tête, se retourne et se mêle aux New-Yorkais qui rentrent chez eux. Vont-ils retrouver une personne aimée ? Ou seront-ils seuls, comme moi ? Contempleront-ils leurs mauvais choix toute la soirée, un verre de whisky à la main, du blues déchirant en fond sonore ?
Car c’est sans aucun doute de cette manière que je vais passer la soirée.
***
Victoria
Je crois que je pourrais me perdre dans Central Park, ce soir. Où se trouve l’allée principale, déjà, côté ouest ? Si je reviens sur mes pas, est-ce que je retournerai vers Columbia ou est-ce que je me rapprocherai de mon appartement ?
Mon esprit a du mal à appréhender cette réalité bizarre. Sebastian Harper m’a embrassée. J’ai embrassé Sebastian Harper.
Jamais je n’aurais pensé que je puisse intéresser un homme comme lui. Je suis donc surprise, avant tout. Maintenant, je dois décortiquer ce que je ressens pour lui ainsi que les arguments qu’il a avancés. Sa position est très claire : on ne peut pas être ensemble. Même pas pour s’amuser. Je ne souhaite pas quelque chose de sérieux, de toute façon. C’est trop tôt. Le mal qu’Arthur m’a fait est trop vif. Et Sebastian a raison, aussi. Sortir avec un mec divorcé de dix ans mon aîné n’est sûrement pas l’idéal pour renouer avec les relations amoureuses fun et sans prise de tête.
Une chose est sûre, par contre : compte tenu des réactions de mon corps lors de notre baiser, je suis prête à renouer pour de bon avec ma sexualité. Le soir au club de blues me l’avait déjà indiqué, là j’en ai la confirmation. S’il n’avait pas tout stoppé entre nous, je serais allée jusqu’au bout.
La nuit commence à tomber, l’eau s’assombrit, les arbres deviennent plus menaçants. Je repère enfin mon chemin après un énième pont qui surplombe une mare aux canards. Je sors du parc et me retrouve de nouveau étourdie au milieu de cette soirée new-yorkaise. Je comble vite la distance qui me sépare de notre appartement. Mon sac à dos pèse sur mes épaules, tout comme mes regrets. Aurais-je dû insister plus auprès de Sebastian ? Lui montrer qu’on pouvait être ensemble malgré tout ?
À peine ma clé dans la serrure, les filles m’accueillent de la même façon que la dernière fois, quand j’étais restée plus tard pour discuter du tableau terrifiant de Bacon.
— Tu rentres super tard ! juge Brooke. On s’inquiétait !
— Là, il t’a invitée à dîner, c’est pas possible.
— Pas de dîner, non. On s’est embrassés, par contre.
Je m’étonne moi-même. Leur dire n’était pas forcément ce que je voulais.
— Quoiiiii ?
Leurs cris mêlés me font grincer des dents. Je me dirige vers ma chambre, mes mains sur les oreilles pour les protéger. Sans surprise, elles me suivent. Je place mon blouson en jean sur une patère à côté de la porte et pose mon sac sur ma chaise de bureau. Je commence à en sortir consciencieusement ce dont je n’ai pas besoin pour demain. Les filles s’arrêtent sur le seuil et restent silencieuses. Elles sentent que quelque chose cloche et n’osent pas me cuisiner. Leurs regards sur moi finissent toutefois par m’exaspérer.
— Oui ? demandé-je en me tournant vers elles avec un soupir.
— Rien, enfin, Vee, hum… hésite Ava, tu nous fais un peu peur, là. D’habitude, tu ne t’occupes pas de tes affaires de façon aussi….. hum, délicate.
— Tu tires la tête, aussi, remarque Brooke avec moins de diplomatie. Attends, il n’a pas été correct ? Tu ne voulais pas de ce baiser et il a insisté ?
Mon amie serre les poings, ses yeux verts s’assombrissent. Elle est déjà sur le pied de guerre. Son tempérament de feu n’est jamais loin.
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