Marie Andree Columbia Blues 33. Victoria

33. Victoria

Ava se tient toute droite sur son fauteuil. Son café refroidit sur la table basse.


— Vee, c’est pas possible, ça, il faut que je te sorte les vers du nez !

— Désolée, c’est trop marrant.


J’ai tout de même pitié d’elle et lui raconte ma rencontre avec Sebastian et son frère. J’insiste d’ailleurs sur la sympathie de Nicholas et sur la complicité entre eux, qui m’a sincèrement ravie. J’adore les fratries unies, c’est mon petit regret de fille unique.


— OK, là, tu m’as raconté de façon assez factuelle votre conversation, mais je sais pas, moi, vous étiez où à ce moment-là ? Au milieu de la foule ? La musique était forte ? Vous deviez être proches l’un de l’autre pour vous entendre, non ? Y a eu des étincelles ou pas ?


J’envoie un ordre assorti d’une prière à mon corps afin que mes joues ne rougissent pas. L’opération échoue, si je peux me fier au grand sourire qui s’installe sur les jolis traits de mon amie. Son visage toujours pâle s’est également coloré.


— Oh il s’est passé quelque chose ! Ça se voit à ta tête !


Pas vraiment, en plus. Il s’est plutôt passé quelque chose dans mon lit, quand je suis rentrée seule au beau milieu de la nuit.


— Non ! Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Oui, on était proches, à cause de la foule et du volume sonore, oui, il est très beau et sa présence est envoûtante. Mais il ne s’est rien passé, voyons. Comme si une fille comme moi pouvait l’intéresser !

— Oh, choupette, arrête de te dévaloriser. Je trouvais que ça allait mieux, de ce côté-là.

— Ça va mieux, là c’est juste être réaliste. Il a dix ans de plus que nous, il va pas s’intéresser à des étudiantes de vingt piges !

— D’autres étudiantes, peut-être pas, mais toi, oui.

— Tu délires ! Je t’assure qu’il n’y a rien entre Harper et moi.


Est-ce que je mens éhontément à mon amie ? Je crois, oui. Une petite voix dans ma tête m’indique même que je me voile la face. Sebastian était sur le point de m’embrasser, hier soir, quand il me tenait la taille après que quelqu’un m’a bousculé. Cette voix se montre plus agréable que celle, ancrée dans mon cerveau, qui me rabaissait sans cesse ces derniers temps. Pourtant, je sais qu’une hypothétique relation avec Sebastian ne nous apporterait rien. Nous ne nous trouvons pas au même moment dans nos vies.


Ava insiste encore un peu et laisse tomber quand je lui rappelle que nous devons bosser. Avec une grimace, elle capitule, va chercher ses bouquins et revient s’installer sur son fauteuil. Elle préfère toujours travailler dans le salon. Pour ma part, c’est mon lit qui a ma préférence d’ordinaire, toutefois aujourd’hui je sens que je n’arriverais pas à me concentrer si je m’enfermais dans ma chambre. J’imite donc mon amie et réponds avec un haussement d’épaules à sa remarque surprise à ce sujet.


Nous planchons de façon studieuse pendant le reste de la matinée et nous arrêtons à peine pour grignoter des plats vietnamiens. Brooke rentre de l’aéroport dans l’après-midi, nous lui sautons dessus. Elle nous a manqué ! J’accueille aussi avec plaisir cette pause dans mes révisions.


— Ça va, choupette ? s’enquiert Ava.


Elle nous prépare du thé vert en même temps.


— Oui, j’étais contente de voir Aaron.

— Comment va-t-il ? demandé-je.

— Bien, il progresse dans l’utilisation de son fauteuil et a repris beaucoup de force dans les bras. Moralement, j’ai l’impression qu’il va mieux que moi !


Elle sourit sur la dernière phrase ; or, elle est déprimée et toujours en colère, cela ne fait aucun doute.


— Tiens, bois ça, ma choute, déclare Ava en lui tendant une tasse fumante.


Parfois, elle se comporte comme si elle avait des origines britanniques : un thé et tout va mieux ! Je me rassois sur le canapé à côté de Brooke et l’attire contre moi par les épaules.


— Ce que tu ressens est normal. Ça va s’estomper au fil du temps, sans vraiment disparaître, je suppose.

— Oui, c’est ça. Mais l’important c’est qu’Aaron aille aussi bien que possible. D’ailleurs, nous nous sommes mis d'accord sur notre programme de l’été ! Nos parents ont acheté une beach house à Redondo Beach, l’une des plages de Los Angeles, et nous ont proposé qu’on y habite tous les deux pendant les vacances.

— C’est chouette comme idée ! Vous allez pouvoir profiter l’un de l’autre.


Ses projets rassérènent Brooke et le reste de la journée s’écoule dans une ambiance studieuse. Sebastian refait néanmoins des apparitions régulières dans mes pensées.



***************************** Vendredi 8 mars **********************************



Des coups de pinceau furieux et des couches épaisses de peinture ont formé des crêtes et des vallées à la surface de la toile. Pourtant, au centre du salon banal qui y est représenté, tout s’apaise. Ne reste qu’un visage féminin qui absorbe la lumière.


Je me rapproche afin d’en discerner les moindres détails. Les bavardages des invités présents dans la galerie s’estompent autour de moi.


L’expression énamourée de la jeune femme me fascine et réveille un sentiment endormi en moi.


— Qu’en pensez-vous ?


Je sursaute et me tourne vers le propriétaire de cette voix rauque. Mon cœur s’emballe.


Sebastian Harper. Il se murmurait ce matin dans les couloirs de Columbia qu’il allait peut-être honorer de sa présence son propre vernissage — ce qu’il ne fait pas toujours. Quasi-ermite, donc, et peintre autodidacte. Il est sexy en diable, aussi, bien sûr : la trentaine triomphante, barbe de trois jours, tignasse brune, costume qui épouse à la perfection sa carrure athlétique.


Mes joues s’échauffent et je bafouille comme une idiote.


— Bonsoir ! C’est, je… c’est remarquable comment vous avez mis en avant le sujet, sa beauté et l’émoi amoureux qu’elle ressent de façon si flagrante. Le reste du tableau ne compte pas et semble ordinaire, au mieux.

— Vous êtes en train de me dire que tout est laid dans ma toile, sauf cette femme ?


Horrifiée, je plaque une main sur ma bouche — et ruine sans nul doute mon rouge à lèvres. Bien joué, Vee ! Le grand Sebastian Harper t’adresse la parole et tu gâches tout, comme toujours…


— Non ! Pas du tout !

— Je vous taquine. C’était mon intention, en effet. Bravo pour l’avoir perçue.


La lueur admirative dans ses yeux bleus m’enhardit.


— Vous avez capturé de façon presque surnaturelle les sentiments de votre sujet. Je suppose qu’on l’a aimée très fort, pour faire naître une telle expression sur son visage.

— Peut-être.


Je soupire en prenant conscience que l’on parle sûrement d’un ancien amour à lui — la rumeur le dit tout juste divorcé. Son ex-femme, peut-être ?


— Voilà, je suis jalouse de cette personne. Je n’ai jamais aimé ou été aimée ainsi. Je crains que cela n’arrive jamais.

— Vous êtes jeune, il n’est pas trop tard, déclare-t-il avec un haussement d’épaules.


Son sourire empreint de bienveillance me transporte. J’ai hâte d’assister à la série d’ateliers qu’il va animer bientôt à Columbia. J’hésite d’ailleurs à lui en parler, mais il s’éloigne déjà après un dernier geste de la main. Tant pis.


Il m’aura oubliée dans deux semaines, c’est certain.

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34 commentaires

Le Mas de Gaïa

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Il y a un mois

Le flash back m'a un peu désarçonnée. Je vois pas trop ce qu'il vient faire là. La suite répondra peut-être à mes interrogations.

Marie Andree

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Il y a un mois

Oui le découpage Fyctia ne tombait pas bien du coup...

MIMYGEIGNARDE

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Il y a 2 mois

C'est une bonne idée de nous montrer le flashback de leur rencontre ! L'air crépitait déjà entre eux. ✨

Marie Andree

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Il y a un mois

Oui ! Tant mieux si le flashback fonctionne 👌

Gottesmann Pascal

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Il y a 2 mois

C'est surprenant que ce soit pas Sebastian qui complexe à cause de son âge mais Victoria. Elle devrait pourtant se sentir jeune, belle et désirable. Au contraire, elle se voit comme une gamine dénuée d'intérêt. C'est pourtant loin d'être le cas et sa façon d'analyser les œuvres le montre. Elle a une intelligence et une sensibilité qui charment Sebastian chaque jour un peu plus. Je suis sûr que, avec la présence de Victoria auprès de lui, Sebastian arriverait à faire des toiles encore plus extraordinaires.

Marie Andree

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Il y a un mois

Oui tu les cernes parfaitement 👌

WildFlower

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Il y a 2 mois

Sympa ce petit flashback de leur première rencontre ! C'est vrai que l'âge en soi n'est pas le plus gros obstacle, c'est surtout des étapes différentes de la vie et la pression du regard des autres qu'il faut avoir le courage d'affronter...

Marie Andree

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Il y a un mois

C'est tout à fait ça 😔

Julia E. Lorrain

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Il y a 2 mois

😘

Marie Andree

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Il y a un mois

💓
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