Marie Andree Columbia Blues 31. Sebastian & Victoria

31. Sebastian & Victoria

Sebastian


Nicholas glisse la main dans sa barbe, ses yeux se plissent.


— On va dans le bureau, lâche-t-il.


Ma protestation se perd dans le brouhaha de la salle bondée. Il m’entraîne à sa suite. Je jette un coup d’œil alentour, mais je ne distingue pas Victoria. La pointe de regret qui m’attaque alors n’aide pas à me mettre dans de bonnes dispositions pour la discussion à venir. Nicholas me sert mon whisky habituel et s’assoit dans le fauteuil du patron, face à moi.


— Désolé, grand frère, je ne souhaitais pas me montrer irrespectueux envers elle. Le courant passe bien entre vous, c’est tout ce que je voulais dire.

— N’importe quoi. On partage une passion, rien de plus.

— Une passion pour les regards énamourés et les bisous sur la joue ?


Je grogne et serre le poing. Même le liquide qui brûle ma gorge ne réussit pas à apaiser mon esprit, et mon corps, en ébullition.


— Tout équivaut à un jeu, pour toi, n’est-ce pas ? demandé-je d’un ton las.

— Je croyais que tu le savais déjà, confirme-t-il avec un clin d’œil, puis, sur un ton plus sérieux : c’est quoi, le souci ? Les règles de Columbia ?


Le règlement de l’université est très strict. Même si je ne suis pas prof là-bas et ne risque pas de sanctions à proprement parler, sortir avec une étudiante est impensable.


— Oui, je ne veux pas la mettre dans une situation délicate. Nos dix ans d’écart et les enfants sont aussi un facteur. Surtout : je n’ai pas envie de me relancer dès maintenant dans une relation.

— OK, on ne parle pas de se remarier tout de suite là, réplique Nicholas, de la patience dans son intonation. Tu as le droit de t’amuser un peu.

— Pas avec elle, pas à ses dépens.

— Elle veut peut-être s’amuser aussi, tu n’en sais rien. Tu ne la connais pas vraiment, si j’ai bien compris.


Il a raison. Pourtant, je trouve que cela ne lui conviendrait pas. Elle mérite mieux. Bien mieux.


— J’apprends à la connaître… Son ex était un connard, elle a vécu des moments pas cool avec lui.


Je me crispe rien que de penser à lui. Pourquoi certaines personnes se comportent-elles ainsi ? Ça me révolte et me fait me sentir impuissant.


— Justement, réplique-t-il avec enthousiasme. Elle doit avoir besoin d’un truc pas prise de tête, pour se remettre en jambes, si je puis dire.

— Je ne suis pas un truc pas prise de tête. C’est tout le contraire, même, avec deux enfants et une ex-femme.

— Ouais, pas n’importe laquelle, en plus.

— Voilà.


Je pose mon verre sur le bureau, coince ma tête entre mes mains et grogne. Nicholas doit avoir pitié de moi, car il reprend la parole pour nuancer ses propos.


— Eh, je plaisantais. À moitié. Emily n’est pas si terrible que ça. Et des gens retrouvent chaussure à leur pied après un divorce. Ils s’engagent de nouveau et survivent, tu sais.


Je me redresse, soupire et prends une gorgée de ma boisson.


— J’imagine bien… je ne suis pas prêt, cela dit. Sarah et Ethan sont ma priorité. Ils sont encore fragiles depuis le divorce, comme en témoigne la crise de Sarah la semaine dernière. Et si je refais ma vie un jour, je vois plutôt une femme séparée aussi, idéalement qui a déjà des enfants. Moins de pression pour en avoir d’autres, ainsi.

— OK, j’entends tes arguments, acquiesce mon frère.


Il doit me laisser pour gérer un problème d’approvisionnement en rhum au bar. Je le suis et essaie de l’aider. Je n’arrive toutefois pas à me sortir Victoria de la tête. Je n’ose pas aller la voir à sa table : lui parler devant ses amis la mettrait peut-être mal à l’aise. Je me console en me disant que je vais la revoir bientôt, lors du prochain atelier.


J’ai en plus prévu d’utiliser l’un de mes tableaux les plus récents, qui comporte un élément surréaliste. Victoria sera ravie, j’espère. J’ai encore reçu un refus d’une galerie pour cet ensemble de toiles. Après moult hésitations, j’ai conclu que je pouvais en dévoiler une devant mon public de Columbia. Peu importe, de toute façon, elles ne seront acceptées nulle part. Et tant pis si mon agent râle.


La soirée s’écoule au rythme du blues sans que je recroise la charmante gaffeuse.


***


Victoria


Dans un état second après ma rencontre avec Sebastian, je rejoins Nolan et Gloria à notre table. Ils sont adorables tous les deux : ils se tiennent la main et elle a posé sa tête sur ses épaules. Les tatouages dessinés sur les bras du grand brun semblent prendre vie sous les lumières dansantes du club.


— Ça va ? me demande sa petite amie. T’as mis du temps à revenir.

— Oh, euh, j’ai croisé Sebastian Harper.

— Qui ça ? s’enquiert-elle.

— Tu sais, le peintre un peu connu qui anime des ateliers à Columbia ? Brooke ne t’en a pas parlé ?

— Ah, si. C’est bien ce que je pensais, mais je trouvais ça improbable. C’est marrant, comme coïncidence.

— C’est pas du tout une coïncidence, déclaré-je avec un petit soupir, il possède le club avec son frère. Harper’s blues, tu vois ?


Je désigne l’enseigne lumineuse au-dessus du bar. Les yeux de Gloria s’écarquillent. Nolan intervient.


— Oui, tout à fait. Je savais pas que vous le connaissiez.


Je réussis à hausser les épaules de façon nonchalante. Je suis fière de moi. Gloria, les sourcils froncés, ne me quitte cependant pas du regard. Heureusement que ni Brooke ni Ava ne sont présentes ! Elles auraient sans nul doute décelé mon trouble. La jolie influenceuse me connaît moins qu’elles, elle doit juste sentir que je ne me comporte pas comme d’habitude.


— Nous sommes au milieu d’une série d’ateliers sur la symbolique dans la peinture, précisé-je pour me forcer à rester naturelle. C’est la première année qu’il les anime.

— OK, cool, déclare Nolan. C’est drôle que tu sois tombée sur lui, en tout cas.

— Oui, très.


Il ne croit pas si bien dire. Je teste enfin mon cocktail, que Nolan a commandé au bar selon mes instructions durant mon absence. La boisson est délicieuse, sucrée juste comme il faut pour sublimer le goût du rhum, mon alcool favori. Gloria m’observe encore un instant, puis hausse les épaules, comme si percer mes mystères n’était finalement pas si important que cela.


— C’est top, ici, hein ? demande-t-elle plutôt.

— Oui, très sympa, déclaré-je avec sincérité. Je savais pas que le blues pouvait être ma came, avant.


L’endroit se révèle très agréable, mon appréciation n’a rien à voir avec ma rencontre fortuite avec Sebastian.


— On pense que c’est old school alors que pas du tout, renchérit Nolan. Ils ont bien monté leur truc, niveau marketing. Tu peux même trouver leur playlist sur Spotify.

— Leur playlist ?

— Oui, une playlist des must-have, ou must-listen, plutôt, dans le blues moderne. Elle s’appelle Harper’s blues list, tu peux pas te tromper.


J’ai déjà hâte de l’écouter. Je me concentre pour le moment sur le groupe qui vient de débuter son set. Je n’y connais rien, cependant leur performance me semble remarquable. Charismatiques, les quatre musiciens et la chanteuse sont habités par leur musique. Si mes pensées reviennent sans cesse vers Sebastian, que je ne recroise pas, je passe une excellente soirée avec mes amis.

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28 commentaires

WildFlower

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Il y a 2 mois

Elle va pouvoir écouter la même playlist que lui hehe

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Tu ne crois pas si bien dire 🤣

Eva Boh

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Il y a 2 mois

Bien sympa, cette petite lecture, ma Marie. 🥰

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Merci encore ma Eva ❤️

Ella R Hart

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Il y a 2 mois

Un peu de soutien 🥰

Marie Andree

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Il y a 2 mois

💕

IvyC

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Il y a 2 mois

🥰🤩

Marie Andree

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Il y a 2 mois

💕

Lys Bruma

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Il y a 2 mois

J'adore la façon dont tu décris la psychologie de chacun, et la façon dont ils vivent ce début d'attirance différemment. J'ai hâte de lire la suite 🤍

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Merci beaucoup Lys ! Je fais au mieux 😁 J'espère que la suite te plaira également 💕
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