Fyctia
27. Sebastian & Victoria
Vendredi 26 avril - Sebastian
— Vous êtes méchants ! Je veux rester ici avec papa et toi !
Emily essaie de tirer notre fille vers la porte d’entrée, elle riposte en lui frappant les jambes avec ses petits poings fermés. Ses larmes coulent sans discontinuer sur ses joues roses et les miennes butent contre mes paupières.
Cela fait un moment que Sarah n’avait pas fait une telle crise. Je crois qu’elle a été perturbée, car je suis allé les chercher à la garderie tout à l’heure : Emily finissait plus tard son travail. D’ordinaire, nous les récupérons à la fin de la journée lorsque c’est notre tour de garde. Là, elle ne comprend plus et ne veut pas retourner chez sa mère.
Même s’il ne saisit pas exactement ce qu’il se passe, Ethan pleure aussi, chamboulé par les hurlements de sa sœur. Dans mes bras, il s’accroche à mon cou. Seule Emily, grâce à son impressionnante maîtrise d’elle-même, garde un visage composé.
— Pourquoi on reste pas ensemble tous les quatre, comme avant ?
Je grimace, Emily soupire.
— Ma chérie, on t’a déjà expliqué. Papa et moi ne sommes plus amoureux, c’est pour ça qu’on possède chacun notre appartement maintenant.
— Je suis pas d’accord ! C’est trop nul !
— Sarah, arrête de crier, s’il te plaît, tout l’immeuble va t’entendre, réplique Emily.
Je me raidis. Comment peut-elle penser à ça en cet instant, alors que notre fille souffre ? Je lui donne Ethan, regard meurtrier à l’appui, et m’accroupis pour me placer au niveau de sa sœur.
— Désolé, ma puce, on sait que c’est nul et on comprend que tu sois triste. N’oublie pas qu’on vous aime très fort tous les deux, ton frère et toi. Et tu vas t’amuser chez maman, comme tu t’amuses chez moi, d’accord ?
— Oui, mais, on était bien, tous les quatre, déclare-t-elle en reniflant.
C’est fou comme les enfants ne retiennent que le positif. Nous n’étions pas bien. Emily et moi sous le même toit, c’était l’horreur, sur la fin. Nous nous disputions souvent, sur n’importe quel sujet. Nous passions le moins de temps possible ensemble. Pourtant, Sarah se souvient seulement du fait que sa famille était réunie et que son frère et elle n’étaient pas trimballés d’un appartement de l’Upper East Side à l’autre. Je l’attire à moi et la serre fort. Le parfum de noix de coco de ses cheveux me donne envie de pleurer.
— Je t’aime, chaton, murmuré-je dans son cou.
Elle hoche la tête et renifle de nouveau. Quand je me relève, les yeux d’Emily brillent — c’est rassurant, elle peut encore ressentir des émotions, de toute évidence. Elle prend une inspiration profonde et se penche vers moi pour chuchoter à mon oreille.
— Pour éviter ce genre de scènes, tu connais la solution…
Je reste planté au beau milieu de mon entrée, la bouche ouverte. Qu’est-ce que c’est cette déclaration cryptique au possible ?
Ils finissent par partir et je me retrouve seul, encore une fois, dans mon appartement trop grand. Je range machinalement deux trois jouets qui trainent dans le salon et me rends dans leurs chambres pour vérifier que tout est à peu près en ordre. Je m’assois sur le lit de Sarah et me saisit de l’une de ses peluches, une licorne grise et violette. Son chagrin me lacère le cœur, la culpabilité m’étouffe, ainsi que la colère contre Emily. Ces enfants formidables méritent de bien meilleurs parents que nous.
Je pousse un long soupir, rejoins mon atelier et tourne en rond pendant une poignée de minutes. Chose rare : aucun de mes travaux en cours ne m’attire et aucune nouvelle idée ne me vient. Je fais demi-tour et retourne dans le salon, où je lance une playlist déprimante de blues et me sers un verre de whisky.
Avachi dans l’un des fauteuils qui font face à l’immense baie vitrée, je contemple ma solitude autant que Manhattan qui se dévoile à mes pieds. C’est vendredi, je pourrais rejoindre Nicholas au club. Je n’en ai pas la force. J’hésite à lui envoyer un message pour m’épancher sur ma vie familiale ratée, mais je ne veux pas l’embêter. Il doit se préparer à une soirée de folie là-bas — j’espère, du moins.
Dans ma tête défile encore l’image des joues baignées de larmes de Sarah, ses accusations justifiées résonnent sous mon crâne. Je dois trouver quelque chose à faire pour les éloigner. Je ne regarde que très peu la télé, seulement des documentaires sur l’art de temps en temps. Au cinéma, je trie les films, pas grand-chose ne trouve grâce à mes yeux ces dernières années.
Je sors mon téléphone de la poche de mon jean et commence à scroller sur Instagram. Je n’arrive pas à m’intéresser aux œuvres présentées dans les comptes des artistes et des galeries que je suis. Elles me font toutefois penser à Victoria. Sans réfléchir plus avant, je lui envoie un message.
***
Victoria
Le bordel était devenu too much, même pour moi. Après une belle balade dans Central Park, j’ai ressenti le besoin de ranger ma chambre. Comme si la quiétude du parc m’avait inspirée. Je parviens à un résultat presque acceptable — pour moi, en tout cas —, quand ça vibre sur mon bureau. J’enfourne un dernier sweat dans mon dressing, contemple la pièce avec la satisfaction du devoir accompli et m’empare de mon téléphone. Il manque de me tomber des mains lorsque je lis le nom de l’expéditeur.
Sebastian Harper.
Que veut-il dire par là ? Je fronce les sourcils et m’allonge sur mon lit.
S’il commence à taper sa réponse sans attendre, il doit s’y reprendre à plusieurs reprises pour la formuler, car les petits points à l’écran viennent, s’en vont et reviennent. Le message s’affiche enfin.
Sa détresse transparaît malgré la concision de son texte. Un poids tombe au fond de mon ventre. Cette pauvre puce, victime innocente d’un énième divorce ! Je n’ose imaginer ce qu’ils ont traversé et ce qu’ils traversent encore, de toute évidence.
Il me surestime, clairement. Quel sujet pourrais-je choisir ?
C’est la pire question qu’il pouvait trouver !
Je pouffe et sens mes joues qui s’échauffent en même temps. Depuis que les ateliers de Sebastian ont débuté, la terre, ou ma vie, a dévié de son axe établi. Que s’est-il passé pour que j’en arrive à échanger des messages avec le nouveau maître de la peinture figurative ? Une analyse intéressante délivrée le premier soir, le malaise d’Ava ensuite. Est-ce seulement cela ?
66 commentaires
Le Mas de Gaïa
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Il y a un mois
Marie Andree
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Il y a un mois
MIMYGEIGNARDE
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Marie Andree
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IvyC
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Gottesmann Pascal
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Marie Andree
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