Marie Andree Columbia Blues 26. Victoria & Sebastian

26. Victoria & Sebastian

Victoria

Je manque de m’étouffer avec un morceau de viande.


— N’importe quoi ! couiné-je. Il peut avoir qui il veut et il s’intéresserait à moi ? C’est du délire.

— Pourquoi pas ? Il apprécie ton œil pour l’art. Pour un peintre, je suppose que c’est important.

— Clairement.


Ava hoche la tête en face de moi. Ses traits sont moins tirés qu’à l’ordinaire ces temps-ci, je crois que son nouveau traitement lui convient. Elle est aussi très satisfaite du kiné qui s’occupe d’elle trois fois par semaine. Il n’empêche qu’elle m’exaspère, en ce moment précis.


— Il apprécie peut-être ça chez moi, mais ça ne suffit pas pour être attiré par quelqu’un. Déjà, on a au moins dix ans d’écart, il doit me trouver immature ou je ne sais quoi. Même au niveau de mon style vestimentaire, par exemple.

— De toute façon, la question importante c’est : est-ce qu’il te plait ? demande Brooke, les joues rosies par l’excitation de notre discussion.


La voir enjouée malgré son inquiétude quant à l’avenir incertain de son frère me ravit également. Je m’octroie toutefois une bouchée de shawarma et quelques cuillerées de riz aux lentilles pour me donner le temps de réfléchir. Son regard doux et perçant, son parfum… Ma main semble me brûler encore suite à notre infime contact, quand j’ai enlevé la ceinture de sécurité tout à l’heure. Je décide de botter en touche et tente de garder un ton neutre.


— Il est pas mal, par contre le style costard-chaussures chic ce n’est pas mon truc. Je préfère les jeans et les Converses.

— Quand même ! C’est le sosie de Sebastian Stan, avance Brooke, l’acteur qui interprète le meilleur pote de Captain America dans les films Marvel. Tu les adores !

— J’ai un faible pour l’acteur qui joue Loki, confié-je en toute sincérité.

— Han, oui, j’avoue, il est pas mal aussi, confirme Ava.


Nous restons silencieuses un instant pour célébrer la beauté et le talent de Tom Hiddleston, cet être extraordinaire.


— Ne crois pas t’en tirer à si bon compte ! reprend mon amie, décidément en pleine forme ce soir. Alors, Harper et toi ?

— Il n’y a pas de « Harper et moi » ! C’est ridicule !


Ça virevolte, pourtant, dans ma poitrine. Des papillons, des lucioles, que sais-je. Il y a des vrilles, des sauts périlleux sur un trampoline, des arrêts pour rêvasser et des démarrages au quart de tour.


Jamais je ne pourrai plaire à un homme aussi accompli que Sebastian Harper. Ce n’est pas grave : tout ce que je retiens, c’est que la présence d’Arthur au-dessus de mon épaule, en train de me juger sans cesse, s’estompe peu à peu.

***

Sebastian


Quel moment difficile, tout à l’heure !


J’espère que Victoria ne m’a pas trouvé trop indiscret. Je ne voulais pas m’immiscer dans sa vie privée, j’ai seulement eu très peur de sa réaction face au tableau de Bacon. Quel choix pourri ! Qu’est-ce qu’il m’a pris de sélectionner cette œuvre terrible ? Je ferme les yeux et renverse ma tête contre le siège de ma voiture. Frank se racle la gorge. C’est mauvais signe.


— L’est marrante, votre élève.

— Oui, très. Enfin, je ne suis pas leur professeur, c’est une série d’ateliers que j’anime en tant qu’intervenant extérieur.

— OK.


Je grimace en mon for intérieur. Mon fidèle chauffeur n’a que faire de cette distinction ! Je croise son regard scrutateur dans le rétroviseur.


— Nous sommes restés discuter plus longtemps après l’atelier, précisé-je, à cause d’un problème personnel qu’elle rencontrait. Ses amies étaient parties, j’ai donc préféré la raccompagner. Désolé, d’ailleurs, pour ce retard d’une petite heure. Vous devez mourir d’envie de rentrer chez vous.


Pourquoi ai-je ressenti le besoin de me justifier ? Je secoue la tête, navré par ma propre attitude.


— Y a pas de mal, il est pas si tard.

— Merci, Frank.


Il opine et ne renchérit pas. Sa curiosité est piquée, c’est certain. Je commence à le connaître toutefois, il ne se trouve jamais dans le jugement. C’est rafraichissant d’ailleurs, quelqu’un comme lui par rapport au reste de mon entourage : mon ex-femme, mon agent, ma mère. Je me crispe en pensant à cette dernière, qui m’attend chez moi. Je lui ai envoyé un message pour la prévenir que j’avais un peu de retard.


Nous arrivons justement. Je souhaite une bonne nuit à Frank et lui rappelle que je n’ai pas besoin de lui demain : je vais travailler de chez moi et n’ai aucun rendez-vous. La garderie des enfants se trouve seulement à quelques blocs de mon appartement, nous y allons à pied chaque jour. Je me réjouis déjà de la journée qui m’attend. J’espère être productif et en ressortir avec au moins une nouvelle toile finalisée.


Le portier de l’immeuble, Donovan, me tient la jambe comme à son habitude. Une fuite d’eau au cinquième, cette fois-ci. Je l’écoute en émettant des « oh » et des « ah » bien placés, récupère mon courrier et parviens à m’éclipser. Dès que j’ouvre la porte, une petite furie blonde s’accroche à mes jambes. Son frère n’est pas loin derrière.


— Papa ! s’exclame Sarah.


Je m’accroupis et écarte les bras, ils s’y jettent tous les deux. Je ferme les yeux pour savourer le sentiment de plénitude qui m’étreint alors. Les cheveux lâchés de Sarah me chatouillent le cou, l’odeur de bébé d’Ethan me transporte dans un monde lointain où les soucis n’existeraient pas.


— Bonsoir, mes loustics. Vous avez été sages avec grand-maman ?

— Bien sûr, déclare ma fille, déjà aussi sûre d’elle qu’Emily.

— Ils ont été très sages, confirme ma mère, apparue derrière eux.

— Tant mieux.


Je me redresse, Ethan dans mes bras, et me dirige vers le salon. Les enfants ont mangé et portent leurs pyjamas. Avec Madeline Harper, on ne rigole pas avec ce genre de choses. Je me laisse tomber sur le canapé avec mon fils ; il échappe à mon emprise et court rejoindre sa sœur de l’autre côté du tapis. Ils savent que c’est leur dernier moment de jeu avant le dodo.


— Tu rentres tard… remarque ma mère, toute droite sur le fauteuil en cuir face à moi.

— Désolé, l’atelier a duré un peu plus longtemps que prévu, nous avions un débat passionnant.


C’est à peine un mensonge. Je ne vais certainement pas lui parler de la fascination étrange que m’inspire Victoria. Notre discussion était privée, de toute façon.


— Tu travailles trop, mon chéri ! Je te le dis tout le temps.


En effet.


— Oui, maman, je sais.

— J’avais demandé à Mathilde de faire plus de vol-au-vent, comme je venais ici ce soir. Je t’en ai laissé.


La cuisinière à domicile de ma mère est Française, s’il vous plaît !


— Merci. Je mangerai une fois qu’ils sont couchés.

— Bien. Promets-moi que tu ne vas pas commencer à peindre avant de manger…

— Promis. Tu me connais trop bien, maman.

— Évidemment, je suis ta mère !


Je souris et lui serre doucement l’épaule après m'être levé pour tenter de rapatrier mes deux monstres dans leurs chambres. Après son départ, je leur lis trois histoires, reviens à plusieurs reprises pour des câlins supplémentaires et rejoins enfin mon atelier. Tant pis pour les vol-au-vent de Mathilde.

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57

57 commentaires

JULIA S. GRANT

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Il y a un mois

Vol-au-vent, s’il vous plaît ! 😋🤤

Marie Andree

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Il y a un mois

Mais oui ! Il est bizarre mon Sebastian 🤣

WildFlower

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Il y a 2 mois

Comme prévu, Vic sera difficile à convaincre ^^ Frank commencerait-il à se douter de qqch ? 🧐

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Frank est très perspicace, donc c'est fort probable.

MIMYGEIGNARDE

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Il y a 2 mois

J'aime beaucoup car on prend le temps de s'attacher aux personnages individuellement. Chaque petit rapprochement est pépite. Très réussi ce slow burn. 😊

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Merci beaucoup Mimy, ton commentaire me ravit ! 💓

MIMYGEIGNARDE

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Il y a 2 mois

Et c est une fan de slow burn qui parle ^^

Anaïs Tehci

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Il y a 2 mois

🥰

Marie Andree

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Il y a 2 mois

💓

Lys Bruma

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Il y a 2 mois

On s'attache vraiment aux personnages, même les secondaires, j'aime toujours autant ton histoire, j'ai hâte de lire la suite 🤍
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