Marie Andree Columbia Blues 24. Victoria

24. Victoria

Sebastian me contemple, la tête inclinée d’un côté. C’est si facile de se confier à lui.


— T'as raison, bien sûr, c’était pas de ma faute. Mais Arthur avait tellement bien fait son travail de sape que pendant un moment je croyais vraiment que tout était de ma faute.

— Il te rabaissait, c’est ça ? Enfin, si tu ne veux pas en parler, je comprendrai.

— Je n’aime pas en parler, car la honte est toujours présente. Comment j’ai pu supporter si longtemps son attitude ? Comment j’ai pu le laisser dézinguer ma confiance en moi comme ça ? Je suppose que c’est une histoire banale : le mec bien sous tout rapport, très gentil au début, dont le comportement se dégrade peu à peu. Critiques, brimades, chantages à la rupture, jalousie complètement déplacée. Tu vois le genre…


J’esquisse un vague geste de la main. Sebastian, lui, serre les poings.


— Je vois tout à fait et je ne comprends pas comment on peut traiter ainsi une fille comme toi.


Une fille comme moi ? Que veut-il dire par là ? Je décide de botter en touche.


— Je crois qu’il traite tout le monde comme ça. De façon insidieuse, tout doucement, au fur et à mesure, jusqu’à ce qu’on pense qu’il y a que lui qui peut nous aimer. Alors que c’est tout le contraire de l’amour, ce type de relations. C’était pareil pour son meilleur ami, par exemple.


J’ai essayé de parler avec Paul, à l’époque. Encore trop aveuglé par leur très longue amitié, il n’a rien voulu entendre. Il n’était pas prêt à ne plus avoir Arthur dans sa vie. Je me demande s’il se trouve toujours sous son emprise. Je devrais peut-être le contacter. Or c’est trop douloureux, ce serait se rapprocher un peu trop de mon bourreau.


— Oui, je vois. Je suis navré que cela soit tombé sur toi.

— Merci, mais y a pire comme situation, je suppose.

— Il y a toujours pire, ça ne veut pas dire qu’on n’a pas le droit d’admettre que l’on souffre ou que l’on est en colère, et de se faire épauler par ses proches.


Je hoche la tête. Il est si bienveillant !


— Du coup, tu comprends pourquoi j’ai pas participé lors de ton précédent atelier. Le thème que t’avais choisi ne me disait rien du tout. L’amour, quelle horreur !


Je frémis de dégoût à la pensée du corps d’Arthur sur moi. Sebastian plisse les yeux et se rapproche encore.


— Victoria, tu… Hum, je vais vraiment me montrer indiscret : est-ce qu’il était violent, aussi ?


Il est très attentif. Est-ce pour cela qu’il retranscrit à la perfection les expressions des visages sur ses tableaux ? Probablement. Bien que sa sollicitude me touche, je sens mes joues qui s’échauffent. Je ne veux pas lui mentir, pourtant je n’ai pas envie de lui parler de mes calamiteux rapports sexuels avec Arthur !


— Non, juste violent dans ses mots, déclaré-je en priant pour que ma voix ne me trahisse pas. C’était suffisant pour détruire ma confiance en moi.

— J’imagine.


Ses épaules se relâchent de manière ostensible, il passe une main dans ses cheveux. Son regard me caresse.


— Je vais formuler une banalité, sincère je t’assure : tu mérites bien mieux que ce type, Victoria.


Mon cœur se comporte de façon curieuse : il saute dans ma poitrine sans m’avoir demandé mon avis au préalable.


— Merci, c’est… J’en doute, mais merci.

— Je t’en prie, arrête de douter. Tu l’as dit toi-même, il agit toujours ainsi. Je comprends néanmoins que ce soit difficile de faire confiance de nouveau, à toi-même et à autrui. Je suis donc navré d’avoir remué ces mauvais souvenirs.

— Pas de souci, tu pouvais pas savoir. Et je vais de mieux en mieux, au moins je réussis à en parler, à présent. L’année dernière, je m’avouais pas à moi-même ce que j’étais en train de vivre.

— Je comprends.


Je pousse un soupir et enfile mon blouson. Il est tard, je ne souhaite pas le retenir plus longtemps.


— Je te raccompagne avec ma voiture, déclare-t-il quand il saisit mon intention.

— Non ! Je veux pas vous déranger, ton chauffeur et toi.

— Vraiment, c’est à peine un détour. J’habite sur Park Avenue au niveau de la quatre-vingt-quatrième rue, nous coupons par le parc pour nous y rendre.


Les plus beaux quartiers, sans surprise. Les moments surréalistes s’enchaînent ce soir, car je décide d’accepter, sans tergiverser. Les émotions ressenties lors de l’atelier et à l’instant en discutant avec lui m’ont épuisée, j’ai hâte de rentrer chez moi.


— OK, merci.


Son sourire éclatant récompense mon lâcher-prise. Nous attrapons chacun nos affaires et quittons la salle. Tout comme le silence nous escorte dans les couloirs du département d’histoire de l’art, le vacarme de la rue nous accueille quand nous laissons l’enceinte de l’université derrière nous. Son chauffeur nous attend un peu plus haut, appuyé contre la berline noire, les bras croisés. Son costume très strict et son crâne rasé lui offrent une façade pas commode, pourtant quelque chose d’indéfinissable dans ses yeux trahit une gentillesse certaine.


— Frank, nous allons raccompagner Victoria chez elle, à la même adresse que l’autre fois, 50 ouest, quatre-vingt-dix-septième rue.


Je réprime un hoquet de surprise. Il se souvient de notre adresse ? Bizarre, il doit avoir une excellente mémoire, en plus de toutes ses autres qualités. Frank acquiesce et m’ouvre la portière arrière, je grimace. Je ne comprends pas moi-même pourquoi j’ai accepté. D’habitude, j’aurais marché un peu pour me vider l’esprit après cette discussion éprouvante. Je crois juste que je n’avais pas envie de me retrouver seule. J’ai besoin de réconfort, ce soir, et Sebastian Harper, j’en suis certaine, est la personne idéale pour ça.


Nous nous installons côte à côte. Mal à l’aise malgré tout, je tire trop fort sur ma ceinture et la bloque. Je jette un regard en coin vers Sebastian, il n’a pas fait attention, ouf. Un petit son horripilant résonne alors dans l’habitacle.


— Mademoiselle, je crois que votre ceinture est pas attachée, remarque Frank bien inutilement.


Je tire le plus doucement possible dessus et parviens enfin à en insérer le bout à l’endroit idoine.


— Désolée ! Voilà, c’est bon. Et appelez-moi Victoria, s’il vous plaît.


Il grogne, Sebastian ricane. Je lui jette une œillade meurtrière. Il m’observe alors, la tête penchée d’un côté. Son examen me paraît si intense que je baisse le regard, les joues en feu, et fais mine de m’intéresser à la poche avant de mon sac à dos.


— Le quartier où vous habitez vous plait ? me demande-t-il.


Je suppose qu’il trouvait le silence gênant, du coup il se rabat sur des platitudes.


— Oui, c’est chouette. Chaleureux, vivant et calme en même temps. Je sais pas comment l’expliquer. Et toi ?

— Hum, vivant et trop coincé ?


J’émets un petit rire. Forcément, il réside dans l'un des coins les plus chic de New York.


— Je vois. T’as tes enfants aujourd’hui ?


Son visage s’éclaire d’un coup. Il est encore plus beau.


— Oui ! Ma mère les garde chez moi, là. J’ai hâte de rentrer.


Il me faut une poignée de secondes pour me rendre compte de ce que sa réponse implique.

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64 commentaires

JULIA S. GRANT

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Il y a 2 mois

Quoi ? Quoi ? Elle implique quoi sa réponse ?

Marie Andree

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Il y a un mois

😁

MIMYGEIGNARDE

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Il y a 2 mois

Harper est le parfait boyfriend ! J'adore. Je peux pas m'empêcher de me demander s'il a quelques défauts ? ^^

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Mais oui ! 😁 Il est très maniaque et trop absorbé par sa carrière et son art, ce qui lui a coûté son mariage, quand même...

Anne-Charlotte Raymond

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Il y a 2 mois

Bien, bien, les choses se mettent en place tout doucement entre eux, il y a beaucoup de respect et de timidité à la fois, c'est parfaitement green flag. Sebastian est même tellement parfait que, paradoxalement, il en devient presque suspect ;-). Je me demande quel est son passé amoureux à lui : il n'a pas l'air de reconnaître les premiers signes de la passion chez lui comme s'il avait été la "proie" de toutes ses femmes et petites amies précédentes, un peu comme s'il avait été coincé à chaque fois, entraîné dans des histoires sentimentales et n'avait pas pu vraiment choisir l'élue de son coeur jusqu'à présent. Je m'interroge aussi sur les obstacles que tu as prévus sur la route de ce joli petit couple. Bravo. Bonne fin de journée de Noël.

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Disons que les obstacles sont déjà là, en fait... 🥴 Merci pour tes remarques et pour ta fidélité. ♥️ Je suis contente que ça te plaise !

Anne-Charlotte Raymond

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Il y a 2 mois

Ah, c'est l'effet de la lecture fractionnée, désolée. J'ai surtout retenu la tendresse et la complicité qui existe dès le premier moment entre tes héros, leur attraction mutuelle qui est très bien rendue. Victoria doit surmonter son expérience malheureuse avec le pervers narcissique, j'imagine que c'est cela l'obstacle principal. Hâte de voir comment Sebastian va l'aider concrètement face à ce fantôme du passé.

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Ah ne t'excuse pas, je voulais dire que les obstacles étaient présents depuis le début mais sous-jacents, et plutôt du côté de Sebastian, en réalité. Tu verras ! 😁

Lys Bruma

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Il y a 2 mois

Sebastian est tellement prévenant avec Victoria, c'est trop mignon 🤍 et très green flag 💚

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Tant mieux si je ne suis pas hors sujet. 😁 Et merci Lys pour ta fidélité ❤️
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