Marie Andree Columbia Blues 21. Sebastian & Victoria

21. Sebastian & Victoria

Sebastian

Je referme la porte sur Emily et ma mère et prends une grande inspiration, comme si j’avais été en apnée jusqu’à présent. Dans le salon, le volume sonore est toujours très haut et le capharnaüm m’affole. Je suis pourtant soulagé de me retrouver seul avec mon frère et mes enfants. Du blues tout doux sort des enceintes.


Ils sont mignons tous les trois. Nicholas est assis par terre, sur le tapis persan qu’Emily avait choisi pour contrebalancer notre mobilier moderne. Il construit un Duplo avec Sarah, tandis qu’Ethan joue à la marchande. Il se propose à lui-même les fruits et les légumes, c’est adorable.


— Tu vois, ce n’était pas si terrible, remarque mon frère alors que je m’écroule dans le canapé, où il me rejoint.

— Oui, tu as raison.


Sarah se lève et nous indique qu’une idée lui est venue et qu’elle va chercher d’autres Duplo dans sa chambre. Je grimace et n’ose toutefois pas l’en empêcher : c’est jour de fête, je rangerai demain.


— Maman s’est révélée plus pénible qu’Emily, murmure alors Nicholas.

— C’est vrai. Je ne sais pas ce qu’elle avait, Em était très aimable. C’est louche.


Il hausse les épaules. Ethan délaisse sa marchande, attrape son nouveau bâtiment Duplo, en perd seulement deux ou trois pièces et rejoint sa sœur dans sa chambre. Je ne vais peut-être pas passer mon dimanche à ranger le salon.


— Elle veut sûrement que vous vous remettiez ensemble, poursuit mon frère, impitoyable.


J’éclate de rire. Comme il ne m’accompagne pas dans l’hilarité, je m’arrête aussi abruptement que j’avais commencé.


— Tu ne plaisantes pas, remarqué-je, atterré.

— Non. Je n’en sais rien, mais c’est toujours une possibilité, après une séparation.

— Pas entre Emily et moi !

— Pourquoi pas ? Vous vous êtes mariés, vous avez eu deux enfants. Vous avez bien dû apprécier quelque chose chez l’autre à l’époque. Elle pourrait se dire que c’est la chose la plus raisonnable à faire.


Je fixe les ballons bleus répandus dans la pièce et considère ses paroles un instant.


— C’est ce que tu penses ? demandé-je. Qu’on devrait se remettre ensemble ?

— Non, absolument pas ! Mais ce n’est pas à moi de décider.


Je ne renchéris pas. Cela me semble toutefois inconcevable qu’Em envisage cette possibilité. Tous ses reproches, la passion qui s’était éteinte entre nous bien avant que l’on se sépare, nos disputes incessantes, son adultère. Qui voudrait rempiler après ça ? J’écarte cette idée dérangeante. La voix de Nicholas et la teneur de sa question suivante me font sursauter.


— Tu as rencontré quelqu’un ?

— Toujours pas. C’est le calme plat.


Je réponds du tac au tac alors même que l’image de Victoria s’impose dans mon esprit. Impossible de le nier, elle me plait. C’est pourtant à la fois un mensonge et une vérité que je viens de servir à mon frère adoré : j’ai rencontré quelqu’un et ça ne donnera jamais rien. Une jeune étudiante ne s’embarrasserait pas d’un divorcé et père de deux enfants tel que moi.


Nicholas reçoit un message à cet instant, ce qui me sauve d’un éventuel examen approfondi de ma réponse. Il part pour le club et un long samedi soir là-bas.


Je suis partagé entre le regret de ne pas pouvoir l’accompagner et le bonheur d’avoir mes deux amours pour moi tout seul. Nous jouons encore un peu ensemble. L’étape du bain, toujours redoutée, se déroule plutôt bien. J’essaie de leur faire ingurgiter autre chose que des restes de gâteau. Nous nous installons dans la chambre d’Ethan, aux jolis tons verts, pour lire l’histoire-avant-le-dodo.


Malgré la quantité de sucre qu’ils ont ingéré, ils s’endorment facilement. Je rejoins alors mon atelier. Mu par une inspiration soudaine, je reprends le tableau avec les visages d’enfants dans leur école. Je réussis à atteindre un résultat satisfaisant en suivant le conseil de Victoria, qui était d’inventer un mini-background à chaque personnage afin de bien saisir leurs attitudes et expressions.


Je me couche tard, trop tard, et m’endors avec une délicieuse sensation de plénitude.

***

Dimanche 21 avril

Malgré mes monstres qui me réveillent à l’aube, je savoure leurs petits corps chauds dans mon lit. Au milieu du joyeux capharnaüm du petit déjeuner, je repense soudain au tableau sur lequel j’ai avancé dans la nuit. Un besoin irrépressible de vérifier si je n’ai pas déliré et produit n’importe quoi me saisit. Je sors Ethan, qui avait fini son biberon, de sa chaise haute et me rends dans mon atelier.


— Soyez sages, les chouchous, je reviens !


Je n’ai pas rêvé, la toile trône bien sur le chevalet principal. Bien que des retouches doivent être effectuées, l’essentiel y est. Le résultat va même au-delà de ce que j’avais imaginé. J’extirpe mon téléphone de la poche de mon vieux jean et n’hésite pas une seconde. Je prends une photo du visage que je préfère : un petit garçon qui fait le brave mais chez qui l’on décèle de la vulnérabilité dans son regard brun. J’ouvre ma conversation avec Victoria et lui envoie l’image.


La journée s’écoule ensuite de façon délicieuse et chaotique avec mes deux trésors.

***

Victoria

La lumière du matin qui frappe le coin de mon bureau, en face de mon lit, m’hypnotise.


J’essaie d’avancer sur la préparation d’un devoir sur l’art carolingien avant que les filles ne se lèvent. Même si je les adore, j’apprécie parfois de retrouver la quiétude de l’appartement. Ces moments sont rares. Je rêve toutefois de savourer mon premier latte de la journée — je n’ai pas osé utiliser notre broyeur à grains dont le bruit de mise en route réveillerait les morts.


Mon téléphone vibre alors sur ma table de chevet. Bizarre, à cette heure-ci, un dimanche. Un problème avec mes parents, peut-être ? Les mains tremblantes, je l’attrape et découvre la notification sur l’écran d’accueil. Je réprime un cri de surprise, vérifie que je porte bien mes lunettes et déverrouille mon portable pour ouvrir le texto. Non, c’est bien Sebastian Harper qui m’envoie un message un dimanche à 8 h du matin. Pire, il y a une photo d’un bout de tableau.


Mon cerveau affolé doit fournir d’incommensurables efforts de concentration pour déchiffrer le texte qui l’accompagne.

  • Salut, je tenais à te remercier : grâce à ton conseil j’ai réussi à appréhender la scène dont je t’avais parlé, celle avec plusieurs enfants dans leur école. Je t’envoie même une preuve. Attention, si tu la diffuses à qui que ce soit et que mon agent l’apprend, elle me tuera et toi avec. À tes risques et périls…

Je pouffe et manque de m’étouffer à cause de ma poitrine comprimée.


Oui, j’ai du mal à respirer : le grand Sebastian Harper vient de m’adresser un bout de l’une de ses œuvres en cours d’exécution. Personne ne l’a vue à part moi — je suppose. Même sur l’écran minuscule de mon téléphone et malgré la faible qualité de ce cliché pris à la va-vite, le rendu est à couper le souffle.


Je ne comprends pas ce qu’il se passe. Qu’ai-je accompli de si extraordinaire pour mériter l’attention de cet homme ?

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31 commentaires

Le Mas de Gaïa

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Il y a un mois

Contente de les retrouver. J'ai fait une pause lecture depuis les fêtes, mais je vais essayer de rattraper mon retard ;)

Marie Andree

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Il y a un mois

Merci Julia pour ta fidélité ❤️

MIMYGEIGNARDE

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Il y a 2 mois

Tellement excitant ! Je le serais à la place de Victoria. 🤭

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Moi aussi ! 😅

Alyssa Well

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Il y a 2 mois

🫶🏻🫶🏻🫶🏻❤️

Marie Andree

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Il y a 2 mois

💓

JULIA S. GRANT

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Il y a 2 mois

Youpiiii 🤩😘

Marie Andree

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Il y a 2 mois

😁😘

Gottesmann Pascal

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Il y a 2 mois

J'aime beaucoup cette atmosphère chaleureuse et même Emily est sympathique. Peut être même trop d'ailleurs. Les enfants sont des amours mais peut-il en être autrement. L'excitation de Victoria est tellement compréhensible. Elle se sent privilégiée d'avoir le droit, en avant-première, d'admirer la dernière toile de Sebastian.

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Je crois que tu as raison pour Emily... 😁🧐
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